Cinéma

Cyril Collard, le héraut des années sida (5)

Mort trois jours avant sa glorification aux césars, Cyril Collard a connu un rayonnement fulgurant, en 1993, grâce à son film Les nuits fauves. Vingt ans plus tard, qui se souvient encore de ce James Dean français?
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par Christophe Dutoit

«J’ai fait l’amour avec Laura sans lui dire que j’étais séropositif. C’était comme dans un rêve, comme si j’avais oublié que ce virus faisait partie de moi. Tu sais, j’ai l’impression qu’il ne peut rien lui arriver, parce qu’on va s’aimer…» Le 21 octobre 1992, Les nuits fauves font irruption dans les salles parisiennes. Comme un coup de poing dans l’estomac. Agé d’à peine 35 ans, Cyril Collard joue et dirige ce drame autobiographique tiré de son second roman, vendu à 100000 exemplaires. Quelques mois plus tard, il entrera dans la légende. à suivre…

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L’Iran, ce pays où le cinéma a trouvé un terreau naturel

La 28e édition du FIFF bat son plein à Fribourg. Des cinéastes iraniens ont choisi des films de leur pays. Cette sélection présente une des cinématographies les plus importantes au monde. Une-Separation

par Eric Bulliard

Il y a trois ans, le film a fait figure de phénomène: Une séparation remportait un immense succès public et critique, décrochant entre autres l’ours d’or à Berlin, le césar et l’oscar du meilleur film étranger. Ce drame poignant d’Asghar Farhadi rappelait que le cinéma iranien fait partie des plus riches du monde. L’exceptionnelle rétrospective du Festival international de films de Fribourg (FIFF) propose de le découvrir en profondeur, jusqu’aux racines.

Exceptionnelle par son envergure: 17 films, dont trois courts métrages, offrent un panorama qui va de 1963 à aujourd’hui. Exceptionnelle aussi par sa démarche: le FIFF a demandé à quatorze des plus grands cinéastes iraniens de désigner les films qui ont compté pour eux, pour leur pays, pour sa cinématographie.

Au final, leur classement comprend 27 films. Après d’innombrables efforts, le FIFF a déniché des copies de 17 d’entre eux. Tellement exceptionnel que ce programme sera repris par l’Edinburgh International Film Festival, puis par la cinémathèque de Toronto.

Que peut-on voir dans ce panorama? Par exemple, trois films d’Abbas Kiarostami (né en 1940), un des plus grands cinéastes vivants (palme d’or à Cannes en 1997 avec Le goût de la cerise): Close-up (1990, lire ci-dessous), The traveler (1974) et Where is the friend’s home? (1987), qui l’a révélé à l’Occident.

«La vache» en numéro un
Mais on y découvre aussi A few kilos of dates for a funeral, de Saman Salur (né en 1976), prix spécial du jury à Locarno en 2006. Une tragicomédie hors du temps, magnifiée par un noir et blanc superbe. Ou encore The runner (1990), d’Amir Naderi (né en 1946). Une merveille, qui mêle parfaitement émotion et esthétique: on ne sait plus si l’on est d’abord subjugué par l’histoire de ces enfants qui survivent tant bien que mal dans le Golfe persique, par le jeu extraordinaire de ces jeunes acteurs ou par les cadrages déments.

Et puis, il y a The cow (1969), de Dariush Mehruji (né en 1939, dont est aussi projeté le fellinien Hamoun, de 1990). Sans doute le film le plus marquant du cinéma iranien, si l’on en croit le classement: il est arrivé en tête du palmarès établi par les réalisateurs. Dans un petit village, un homme très attaché à sa vache ne se remet pas de sa disparition et commence à se comporter comme un ruminant.

Fiction et réalité
The cow rappelle parfois le néoréalisme italien et pose diverses questions sociales et politiques, en plein régime du shah. Comme l’écrit Kaveh Bakhtiari (Suisse d’origine iranienne, réalisateur de L’escale, également projeté au FIFF) dans le programme du festival: «Bien des choses ont été écrites au sujet du film, mais ma fascination reste la suivante: comment supporter la réalité de sa propre vie?»

Une particularité saute aux yeux en parcourant ce panorama: nombre de ces films (P like pelican, The house is black, Close-up, The night it rained…) démontrent que le cinéma iranien aime brouiller les frontières entre réalité et fiction. Avec un naturel étonnant à nos yeux d’occidentaux. Comme si, là-bas, cette frontière n’avait pas vraiment de sens. Comme si inventer une histoire, la raconter ou la montrer était la même chose.

La métaphore naturelle
Au-delà du destin tourmenté de l’Iran, de sa révolution de 1979, de ses guerres, cette «Histoire du cinéma iranien par ses créateurs» permet ainsi d’approcher cette culture si riche, si méconnue. Comme l’explique Thierry Jobin, directeur du festival, dans sa présentation, le cinéma a trouvé dans ce pays un terreau favorable: «Par la dimension métaphorique de l’immen-se culture perse depuis ses origines, l’Iran était sans doute l’un des pays pour lesquels le ciné-ma devait devenir un mode d’expression naturel.» Sans oublier que ce sens de la métaphore se révèle utile quand il s’agit de contourner la censure… Une méthode qu’a refusée, par exemple, Mohammad Rasoulof (lire encadré).

Contrairement au cinéma européen, celui d’Iran n’est donc pas «un dérivé de littérature ou de théâtre, mais un prolongement si logique [de cette dimension métaphorique] qu’il a immédiatement touché à la subtilité et au sublime», poursuit Thierry Jobin. Pas un cinéma de mots ou de concepts, mais d’images et de symboles. C’est aussi ce qui le rend si surprenant, si nourrissant.

www.fiff.ch

Bloqué dans son pays
Directeur du FIFF, Thierry Jobin avait la gorge nouée, lors de la cérémonie d’ouverture, quand il a dédié cette 28e édition à l’Iranien Mohammad Rasoulof (né en 1973). Son film, Manuscripts don’t burn, fait partie de la compétition officielle (avec un autre long métrage iranien, Fish and cat, de Shahram Mokri). Vainqueur du prix de la critique 2013 à Cannes, il évoque une tentative d’assassinat par le régime iranien, en 1995, qui visait un bus occupé par une vingtaine de journalistes et d’écrivains.

Cet appel à la liberté n’a pas été apprécié en Iran. Déjà condamné en 2010 à six ans de prison et vingt ans d’interdiction de tourner (peine réduite en appel), Mohammad Rasoulof a cru que le climat s’était apaisé dans son pays: alors qu’il n’avait prévu d’y passer que quelques jours à l’automne dernier, il y est toujours. Les autorités l’ont privé de son passeport.

L’insoutenable et la poésie
fiffhouseThe house is black (1963). Considérée comme la plus grande poétesse persane du XXe siècle, Forough Farrokhzad se lance en 1963 dans le cinéma. Ce premier film sera son dernier: elle meurt quatre ans plus tard, à 32 ans, dans un accident de voiture. Un seul film, donc, mais quel film! Vingt-deux minutes seulement, mais quelles vingt-deux minutes! Tourné dans une léproserie, souvent à la limite du soutenable, The house is black montre ce que personne ne voudrait voir: des visages rongés par la maladie, des hommes, des femmes, des enfants défigurés, mutilés.

Dépassant la fascination malsaine, le film amorce une réflexion sur la laideur: elle est omniprésente, lâche une voix off en ouverture, «mais si l’homme fermait les yeux sur elle, il y en aurait encore bien plus». La force de The house is black se situe dans l’extraordinaire juxtaposition de l’horreur et de la poésie, à travers les mots de Forough Farrokhzad elle-même, mais aussi de la Bible et du Coran. Difficile d’oublier ces enfants ravagés par la maladie qui rendent grâce à Dieu pour leur avoir donné des mains…

Jeudi, 15 h 05, Cap’Ciné 6, suivi d’une table ronde sur le cinéma iranien

 

 

Dans le silence, l’émotion
fiffstilllifeStill life (1974). Bien sûr, pour nos yeux formatés au cinéma occidental, on pourrait croire qu’il ne se passe rien. Mais, comme le répète volontiers Freddy Buache, fondateur de la Cinémathèque suisse, à propos d’Antonioni: «Ceux qui disent qu’il ne se passe rien ne savent pas regarder.» En réalité, il se passe énormément de choses dans Still life. Et d’abord du cinéma.

Ours d’argent et Prix FIPRESCI à Berlin en 1974, Still life est le deuxième film de Sohrab Shahid Saless (1943-1988), que le FIFF présente comme «l’une des figures les plus importantes du cinéma iranien, mais aussi l’une des plus oubliées en Occident». Mort en exil à Washington, il signe ici une œuvre profondément émouvante, à travers un vieux garde-barrière et son épouse, solitaires dans leur modeste maison, près du chemin de fer. Ils ne demandent rien de plus que de poursuivre cette existence sans histoire. Mais leur vie bascule le jour où le brave homme est poussé à la retraite, remplacé par un employé plus jeune.

Vendredi, 14 h 30, Cap’Ciné 6

La virtuosité intelligente
fiffcloseupClose-Up (1990). Les classements ne veulent pas toujours dire grand-chose. Mais quand même: en 2012, dans le palmarès des 50 plus grands films de l’histoire du cinéma établi par près de 850 professionnels, Close-up apparaît au 42e rang. A égalité avec Certains l’aiment chaud de Billy Wilder et Pierrot le fou de Jean-Luc Godard.

Signé Abbas Kiarostami (Palme d’or à Cannes en 1997 avec Le goût de la cerise), Close-up est à la fois un documentaire tiré d’une histoire vraie, une célébration du cinéma, une réflexion sur cet art, sur le mensonge et la vérité, mais aussi la démonstration d’un cinéaste qui joue en virtuose du dispositif narratif.

Un cinéphile (Hossain Sabzian) se fait passer pour le réalisateur Mohsen Makhmalbaf et fait croire à une famille qu’il veut tourner un film avec eux. Démasqué, soupçonné d’en vouloir à leurs biens, il finit en prison, où Abbas Kiarostami va le trouver. Il tourne aussi lors de son procès, pour, au final, réaliser un vrai film, avec les vrais protagonistes d’un faux projet…

Vendredi, 12 h 15, Cap’Ciné 6

 

 

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FIFF: le cinéma, de l’Iran à la Russie, de la crise aux catastrophes

Quelque 110 films seront projetés à l’occasion du Festival de films de Fribourg du 29 mars au 5 avril. à suivre…

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American bluff: Américain, oui, bluffant, non

americanhustleSeule l’industrie du cinéma américain est capable de produire un long métrage comme American hustle (ou American bluff en français, car ça sonne mieux que «racket à l’américaine»). En effet, les Français en auraient tiré un mélo entre la maîtresse et la régulière, les Anglais un drame social sur fond de crise politique, les Hongkongais une mise en abyme de l’arnaqueur arnaqué… De cette histoire vaguement authentique, le grand Hollywood a tiré un film entre thriller et comédie romantique, qui a réussi le tour de force d’être nominé à dix reprises aux prochains oscars. Et ça, seuls les Américains en sont capables…

En 1978, un bellâtre arriviste du FBI (Bradley Cooper, pas mal en insupportable beau) contraint deux arnaqueurs à collaborer avec lui pour piéger des politiciens corrompus. Pour échapper à la prison, Irving Rosenfeld et son amante Sydney Prosser acceptent de jouer à ce jeu dangereux, à l’insu de l’épouse bafouée.

Tour à tour fragile, machiavélique, ingénue, sensuelle, jalouse, démunie, Amy Adams est épatante, et pas seulement parce qu’elle bat le record du monde de présence à l’écran sans soutien-gorge.

Avec une esquisse pareille, les frères Coen auraient mis en évidence ces magnifiques loosers, De Palma aurait imaginé un brillant vacarme d’uzis mitrailleurs, Soderbergh aurait tourné Ocean’s 15… Mais, après Fighter et Hapiness therapy, David O. Russel se contente d’une mise en scène poussive, au mieux désordonnée, au pire complètement chaotique. Et tant pis.

Bref, de cette divertissante parodie qui ne pensait pas en être une, il n’y a que trois éléments à tirer: les acteurs, les acteurs et les acteurs. Dès son apparition en grassouillet dégarni, Christian Bale montre que son jeu d’acteur va bien au-delà de son incarnation des récents Batman. Jusque dans son tic récurrent de réajuster ses lunettes, il est simplement éblouissant. A ses côtés et hormis sa splendeur, Amy Adams est encore plus épatante, et pas seulement parce qu’elle bat le record du monde de présence à l’écran sans soutien-gorge. Lauréate du Golden Globe pour ce rôle, elle est tour à tour fragile, machiavélique, ingénue, sensuelle, jalouse, démunie, sans jamais surjouer, sans jamais perdre la moindre parcelle de crédibilité. En un mot: sublime.

Et quand ces deux-là donnent par-dessus le marché la réplique à Jennifer Lawrence (irrésistible en hystérique cocue), Jeremy Renner (quelle coupe de cheveux!) et Robert De Niro (même pas crédité au générique), on se dit que c’est bien beau, les acteurs, mais que c’est encore mieux quand ils sont correctement mis en scène…

par Christophe Dutoit

American bluff, de David O. Russel, avec Christian Bale, Amy Adams, Bradley Cooper, Jennifer Lawrence…

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Telle fut notre année 2013

Que reste-t-il des films, livres, disques, spectacles découverts tout au long de l’année? Retour sur nos coups de cœur les plus marquants.adele

par Eric Bulliard et Christophe Dutoit

Un film, un seul, suffit à rendre exceptionnelle l’année cinématographi­que. Un film prodigieux d’intensité et d’équilibre entre la puissance émotionnelle et la rigueur formelle. Palme d’or à Cannes, La vie d’Adèle, d’Abdellatif Kechiche est «le film de la semaine, du mois, de l’année, du siècle», selon Eric Libiot, critique de L’Express, qui dit rarement des bêtises.

à suivre…

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Lionel Baier, une comédie pour parler d’espoir

Lionel Baier était à Bulle jeudi pour présenter son film, Les grandes ondes (à l’ouest). Entretien avec un réalisateur qui voit dans la comédie «la forme de politesse du cinéma». à suivre…

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Bagdad Café, sur la route vers nulle part

 

Un lieu, une œuvre (7). Quelque part dans le désert californien, le Bagdad Café continue d’accueillir les nostalgiques du film qui, à la fin des années 1980, a marqué toute une génération.

Bagdad

Par Eric Bulliard

Au départ, il y a Bagdad, un hameau du désert californien, sur la Route 66. Nommé ainsi parce que, paraît-il, le climat rappelle celui de l’Irak. Entre 1912 et 1914, il a connu 767 jours de suite sans une goutte de pluie, record des Etats-Unis. Un coin sympa, en somme. C’est là que le réalisateur allemand Percy Adlon a choisi de situer son Bagdad Café, sorti en 1988. à suivre…

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«Le mépris»: et Godard filma Bardot…

Un lieu, une œuvre (6). En 1963, l’incroyable maison Malaparte, à Capri, accueille le tournage du Mépris. Sous l’œil des paparazzi, la rencontre entre Godard et la star Bardot donne naissance à un film inoubliable.
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par Eric Bulliard

Le 17 mai 1963, l’équipe du Mépris débarque à Capri, pour une semaine de tournage. Assistant de Jean-Luc Godard, Charles Bitsch a déniché sur l’île, au large de Naples, une maison hors du commun, qui deviendra un élément clé du film. On l’a baptisée la Casa Malaparte, du nom de l’écrivain qui l’a fait construire, mort six ans plus tôt. Depuis, la villa est abandonnée. Officiellement, elle est léguée à la République de Chine. En réalité, elle est laissée au vent, au sel de la mer, au soleil brûlant. à suivre…

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Chelsea Hotel, le sommet du surréel

Un lieu, une œuvre (5). Haut lieu de la contre-culture américaine, l’hôtel Chelsea a servi de cour des miracles pour tout ce que la bohème comptait comme artistes à New York durant le XXe siècle.chelseaout

par Christophe Dutoit

«Le monde se sépare en deux: ceux qui pensent que l’hôtel Chelsea est le paradis sur terre. Et les autres», raconte un des commensaux* qui vit depuis des lustres dans ce mythique hôtel new-yorkais, situé au 222 ouest de la 23e rue, entre la 7e et la 8e avenue, en plein cœur du Manhattan. à suivre…

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Fabienne Radi, la curiosité fertile

RadiLe sous-titre l’indique: il est question d’art contemporain, de cinéma et de pop culture. De quoi effrayer le lecteur potentiel… Erreur: à la prise de tête stérile, Fabienne Radi préfère la légèreté intelligente, la distance pertinente. à suivre…

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Naissance d’un classique: derrière les chefs-d’œuvre, la sueur et les doutes

Série d’été dans La Gruyère en 2012, les épisodes de Naissance d’un classique ont été compilés dans un livre, verni ce samedi soir.© Mélanie Rouiller

par Sophie Roulin

«Un chef-d’œuvre, qu’il soit signé Michel-Ange, Francis Ford Coppola, Victor Hugo ou Bruce Springsteen, est, comme le veut un vieil adage, plus une question de transpiration que d’inspiration.» C’est par ce constat qu’Eric Bulliard lançait en juillet dernier la série d’été des pages culturelles de La Gruyère. à suivre…

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Fantômas, la force obscure

On pense connaître Fantômas, marqué à jamais par les films avec Jean Marais et Louis de Funès. Erreur! Il est d’abord un symbole qui a inspiré avant-garde et surréalisme. Une édition complète des romans originaux donne à voir le vrai visage du monstre.fantomas

par Romain Meyer

– Fantômas!
– Vous dites?
– Je dis… Fantômas.
– Cela signifie quoi?
– Rien… et tout!
– Pourtant qu’est-ce que c’est?
– Personne… mais cependant quelqu’un!
– Enfin, que fait-il ce quelqu’un?
– Il fait peur!!!

Le dialogue introductif de Fantômas dit déjà tout du personnage, insaisissable, multiple, omniprésent et omnipotent. Fantômas, empereur du crime, maître de l’effroi, réceptacle parfait de la négation du monde. Tout à la fois période, sentiment, frayeur de civilisation, il incarne le Mal. Croquemitaine de la fin de la Belle Epoque, le personnage est aujourd’hui réduit le plus souvent aux films d’André Hunebelle, tournés dans les années 1960 avec Jean Marais et Louis de Funès. Trois pantalonnades à mille lieues des personnages originaux. Pourtant, quel destin il a vécu auparavant!

Fantômas a tout connu: le cinéma dès 1913, la bande dessinée, le feuilleton radiophonique, le pastiche (le Signé Furax de Pierre Dac et Francis Blanche). Avec des déclinaisons italiennes ou mexicaines. Mais Fantômas est d’abord une création romanesque de Pierre Souvestre et Marcel Allain. Le duo écrira 32 romans, entre 1911 et 1913, soit une moyenne d’un par mois (!). Trente-deux histoires machiavéliques qui n’avaient jamais été rééditées dans leur version originale.

Textes remaniés
Après la mort de Pierre Souvestre en 1914, Marcel Allain retravaille les textes. Par la suite, certains éditeurs taillent dans le récit pour le faire correspondre à des formats de poche, allant jusqu’à retrancher près de 400 pages à l’histoire originale… Les titres seront modifiés dans les années 1930, en mentionnant chacun le nom de Fantômas, beaucoup plus vendeur. Travesti, affadi, raccourci ou ridiculisé, le maître du mal avait de bonnes raisons de vouloir retrouver, plus d’un siècle après, son éclat d’origine. C’est chose faite grâce à la première compilation intégrale des 32 romans originaux réalisée par Matthieu Letourneux et Loïc Artiaga, publiée en huit volumes chez Bouquins. Les deux premiers viennent de sortir.magrittefantomas

On a oublié à quel point ce personnage au loup et au chapeau haut de forme – pas de masque bleu! – figure dominatrice de la littérature populaire du début du XXe siècle, a marqué les avant-gardes artistiques de son époque. Pour Blaise Cendrars, «Fantômas, c’est L’Énéide des temps modernes». Guillaume Apollinaire le rejoint et s’abandonne à cette admiration dans Le Mercure de France du 16 juillet 1914: «Fantômas est, au point de vue imaginatif, une des œuvres les plus riches qui existent.» En compagnie de Max Jacob, Apollinaire fondera d’ailleurs la «Société des amis de Fantômas» en 1912.

Un roman à voir
Libertaire, bafouant les lois et la morale, antihéros de la marge, Fantômas devient synonyme de modernité, de renouveau de la matière poétique. Ce qui fascine, c’est sa capacité d’occuper aussi naturellement les derniers moments du feuilleton populaire – à la suite des Mystères de Paris d’Eugène Sue – et les premiers pas du cinéma, dès 1913, sous la caméra de Louis Feuillade. La modernité de Fantômas tient aussi à son caractère «cross média», totalement inédit à l’époque. La richesse de ce roman – «écrit n’importe comment, mais avec beaucoup de pittoresque» selon Apollinaire – vient d’abord de son étonnante multiplicité artistique.

Fantômas, c’est la ville, celle qui, en s’illuminant à l’électricité, cache ses poubelles dans les ombres, là où naît l’imaginaire macabre, là où prolifère le sordide.

Autre modernité: son ancrage dans sa réalité contemporaine. Les nouveautés techniques – voiture, métro, téléphone – sont partie prenante de l’intrigue. Fantômas, c’est la ville, celle qui, en s’illuminant à l’électricité, cache ses poubelles dans les ombres, là où naît l’imaginaire macabre, là où prolifère le sordide. La plupart des «cas étranges» présentés sont tirés des journaux et rangés par les auteurs dans «l’armoire aux trucs», pour être ressortis au bon moment. Avec l’avantage de parler aux lecteurs d’alors.fantomascover

Dans leur préface, Loïc Artagia et Matthieu Letourneux dévoilent les autres conditions de production. La vitesse est le maître mot: vitesse du récit pour retenir le lecteur, mais aussi d’écriture. Plu­sieurs centaines de pages sont fabriquées chaque mois, car Fan­tômas sort directement en roman bon marché. Une révolution dans l’édition populaire. Souvestre et Allain n’écrivent pas: ils dictent… Les ouvrages sont enregistrés sur des rouleaux de cire de quelques minutes, à chaque fois effacées et réutilisés…

L’inconscience du mal
Ce sont toutes ces modernités qui fascinent les avant-gardes. Et après eux les surréalistes, qui l’érigent en une figure légendaire: son surnom d’«homme aux 100 visages» ne rejoint-il pas en négatif l’Ulysse de L’Odyssée, «l’homme aux mille ruses», ou Protée le métamorphe? Aragon y voit le représentant de la beauté moderne, Ernst Moerman un alter ego. La peinture s’empare aussi du personnage. Magritte surtout. Investissant les souterrains de Paris, régnant sur la population des égouts, Fantômas apparaît comme un nouveau Minotaure, une entité infernale incarnant les sombres circonvolutions de l’inconscient. Mythes et psychanalyse…

Personnage dépourvu de substance – il est mauvais parce qu’il est mauvais, sans autre motivation – Fantômas constitue d’abord la justification de ressorts scénaristiques: il favorise le suspense, les retournements alambiqués voire délirants.

Des nombreux «méchants» populaires de cette époque d’avant-guerre, il sera le seul à connaître le privilège des arts «sérieux»: exit Zigomar, même le grand Fu Manchu, le génie maléfique chinois à l’origine de l’expression «le péril jaune», n’a pas reçu tant d’honneur. Personnage dépourvu de substance – il est mauvais parce qu’il est mauvais, sans autre motivation – Fantômas constitue d’abord la justification de ressorts scénaristiques: il favorise le suspense, les retournements alambiqués voire délirants. C’est ce qui le remplit de sens, que le succès du duo Jean Marais-Louis de Funès a voilé, et que réhabilite une nouvelle lecture.

Pierre Souvestre et Marcel Allain, Fantômas, édition intégrale, tomes 1 et 2, établie et présentée par Loïc Artiaga et Matthieu Letourneux, Bouquins, 1312 et 1280 pages

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Gatsby, plus tapageur que magnifique

leopar Karine Allemann

Dans de grands mouvements vertigineux, la caméra monte, descend, remonte et redescend, puis ondule d’une pièce bondée à l’autre, dans la magnifique maison de Long Island, où Jay Gatsby reçoit ses invités. Nous sommes en 1922, la société new-yorkaise s’étourdit d’alcool prohibé et de jazz. Le milliardaire, lui, ne lésine devant aucun excès. Pour adapter le roman de F. Scott Fitzgerald – déjà porté à l’écran en 1974 avec Robert Redford dans le rôle-titre – le réalisateur australien Baz Luhrmann n’hésite pas non plus à en mettre plein les yeux. Avec un bonheur inégal. à suivre…

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The Grandmaster, beau au-delà du raisonnable

grandmasterVirgile et Wong Kar-wai, même combat. Sur son lit de mort, le poète latin a demandé à ce qu’on brûle l’Enéide inachevée. Parce qu’il aurait voulu la parfaire. Dans les festivals, le réalisateur hongkongais présente son film et repart avec la bobine sous le bras. Parce qu’il a toujours une séquence à refaire. Perfectionniste jusqu’au bout des photogrammes, Wong Kar-wai est un esthète de l’image mouvante. Son dernier travail d’orfèvre en témoigne comme jamais. The grandmaster est beau, ineffablement beau, beau à en perdre la raison. à suivre…

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Interdit aux plus de 18 ans

Saoirse Ronan ( Melanie / Wanda) en 'THE HOST (La huÈsped)', basada en la obra de Stephenie Meyer Il y a le supplice de la goutte d’eau… ou Les âmes vagabondes. C’est selon, le résultat est le même. A intervalles réguliers, une goutte d’eau tombe sur le front d’un condamné maintenu immobile sur une planche. Jusqu’à la folie. Avec ce film, c’est pareil. à suivre…

Posté le par Eric dans Cinéma, Critiques Déposer votre commentaire