L’Iran, ce pays où le cinéma a trouvé un terreau naturel

La 28e édition du FIFF bat son plein à Fribourg. Des cinéastes iraniens ont choisi des films de leur pays. Cette sélection présente une des cinématographies les plus importantes au monde. Une-Separation

par Eric Bulliard

Il y a trois ans, le film a fait figure de phénomène: Une séparation remportait un immense succès public et critique, décrochant entre autres l’ours d’or à Berlin, le césar et l’oscar du meilleur film étranger. Ce drame poignant d’Asghar Farhadi rappelait que le cinéma iranien fait partie des plus riches du monde. L’exceptionnelle rétrospective du Festival international de films de Fribourg (FIFF) propose de le découvrir en profondeur, jusqu’aux racines.

Exceptionnelle par son envergure: 17 films, dont trois courts métrages, offrent un panorama qui va de 1963 à aujourd’hui. Exceptionnelle aussi par sa démarche: le FIFF a demandé à quatorze des plus grands cinéastes iraniens de désigner les films qui ont compté pour eux, pour leur pays, pour sa cinématographie.

Au final, leur classement comprend 27 films. Après d’innombrables efforts, le FIFF a déniché des copies de 17 d’entre eux. Tellement exceptionnel que ce programme sera repris par l’Edinburgh International Film Festival, puis par la cinémathèque de Toronto.

Que peut-on voir dans ce panorama? Par exemple, trois films d’Abbas Kiarostami (né en 1940), un des plus grands cinéastes vivants (palme d’or à Cannes en 1997 avec Le goût de la cerise): Close-up (1990, lire ci-dessous), The traveler (1974) et Where is the friend’s home? (1987), qui l’a révélé à l’Occident.

«La vache» en numéro un
Mais on y découvre aussi A few kilos of dates for a funeral, de Saman Salur (né en 1976), prix spécial du jury à Locarno en 2006. Une tragicomédie hors du temps, magnifiée par un noir et blanc superbe. Ou encore The runner (1990), d’Amir Naderi (né en 1946). Une merveille, qui mêle parfaitement émotion et esthétique: on ne sait plus si l’on est d’abord subjugué par l’histoire de ces enfants qui survivent tant bien que mal dans le Golfe persique, par le jeu extraordinaire de ces jeunes acteurs ou par les cadrages déments.

Et puis, il y a The cow (1969), de Dariush Mehruji (né en 1939, dont est aussi projeté le fellinien Hamoun, de 1990). Sans doute le film le plus marquant du cinéma iranien, si l’on en croit le classement: il est arrivé en tête du palmarès établi par les réalisateurs. Dans un petit village, un homme très attaché à sa vache ne se remet pas de sa disparition et commence à se comporter comme un ruminant.

Fiction et réalité
The cow rappelle parfois le néoréalisme italien et pose diverses questions sociales et politiques, en plein régime du shah. Comme l’écrit Kaveh Bakhtiari (Suisse d’origine iranienne, réalisateur de L’escale, également projeté au FIFF) dans le programme du festival: «Bien des choses ont été écrites au sujet du film, mais ma fascination reste la suivante: comment supporter la réalité de sa propre vie?»

Une particularité saute aux yeux en parcourant ce panorama: nombre de ces films (P like pelican, The house is black, Close-up, The night it rained…) démontrent que le cinéma iranien aime brouiller les frontières entre réalité et fiction. Avec un naturel étonnant à nos yeux d’occidentaux. Comme si, là-bas, cette frontière n’avait pas vraiment de sens. Comme si inventer une histoire, la raconter ou la montrer était la même chose.

La métaphore naturelle
Au-delà du destin tourmenté de l’Iran, de sa révolution de 1979, de ses guerres, cette «Histoire du cinéma iranien par ses créateurs» permet ainsi d’approcher cette culture si riche, si méconnue. Comme l’explique Thierry Jobin, directeur du festival, dans sa présentation, le cinéma a trouvé dans ce pays un terreau favorable: «Par la dimension métaphorique de l’immen-se culture perse depuis ses origines, l’Iran était sans doute l’un des pays pour lesquels le ciné-ma devait devenir un mode d’expression naturel.» Sans oublier que ce sens de la métaphore se révèle utile quand il s’agit de contourner la censure… Une méthode qu’a refusée, par exemple, Mohammad Rasoulof (lire encadré).

Contrairement au cinéma européen, celui d’Iran n’est donc pas «un dérivé de littérature ou de théâtre, mais un prolongement si logique [de cette dimension métaphorique] qu’il a immédiatement touché à la subtilité et au sublime», poursuit Thierry Jobin. Pas un cinéma de mots ou de concepts, mais d’images et de symboles. C’est aussi ce qui le rend si surprenant, si nourrissant.

www.fiff.ch

Bloqué dans son pays
Directeur du FIFF, Thierry Jobin avait la gorge nouée, lors de la cérémonie d’ouverture, quand il a dédié cette 28e édition à l’Iranien Mohammad Rasoulof (né en 1973). Son film, Manuscripts don’t burn, fait partie de la compétition officielle (avec un autre long métrage iranien, Fish and cat, de Shahram Mokri). Vainqueur du prix de la critique 2013 à Cannes, il évoque une tentative d’assassinat par le régime iranien, en 1995, qui visait un bus occupé par une vingtaine de journalistes et d’écrivains.

Cet appel à la liberté n’a pas été apprécié en Iran. Déjà condamné en 2010 à six ans de prison et vingt ans d’interdiction de tourner (peine réduite en appel), Mohammad Rasoulof a cru que le climat s’était apaisé dans son pays: alors qu’il n’avait prévu d’y passer que quelques jours à l’automne dernier, il y est toujours. Les autorités l’ont privé de son passeport.

L’insoutenable et la poésie
fiffhouseThe house is black (1963). Considérée comme la plus grande poétesse persane du XXe siècle, Forough Farrokhzad se lance en 1963 dans le cinéma. Ce premier film sera son dernier: elle meurt quatre ans plus tard, à 32 ans, dans un accident de voiture. Un seul film, donc, mais quel film! Vingt-deux minutes seulement, mais quelles vingt-deux minutes! Tourné dans une léproserie, souvent à la limite du soutenable, The house is black montre ce que personne ne voudrait voir: des visages rongés par la maladie, des hommes, des femmes, des enfants défigurés, mutilés.

Dépassant la fascination malsaine, le film amorce une réflexion sur la laideur: elle est omniprésente, lâche une voix off en ouverture, «mais si l’homme fermait les yeux sur elle, il y en aurait encore bien plus». La force de The house is black se situe dans l’extraordinaire juxtaposition de l’horreur et de la poésie, à travers les mots de Forough Farrokhzad elle-même, mais aussi de la Bible et du Coran. Difficile d’oublier ces enfants ravagés par la maladie qui rendent grâce à Dieu pour leur avoir donné des mains…

Jeudi, 15 h 05, Cap’Ciné 6, suivi d’une table ronde sur le cinéma iranien

 

 

Dans le silence, l’émotion
fiffstilllifeStill life (1974). Bien sûr, pour nos yeux formatés au cinéma occidental, on pourrait croire qu’il ne se passe rien. Mais, comme le répète volontiers Freddy Buache, fondateur de la Cinémathèque suisse, à propos d’Antonioni: «Ceux qui disent qu’il ne se passe rien ne savent pas regarder.» En réalité, il se passe énormément de choses dans Still life. Et d’abord du cinéma.

Ours d’argent et Prix FIPRESCI à Berlin en 1974, Still life est le deuxième film de Sohrab Shahid Saless (1943-1988), que le FIFF présente comme «l’une des figures les plus importantes du cinéma iranien, mais aussi l’une des plus oubliées en Occident». Mort en exil à Washington, il signe ici une œuvre profondément émouvante, à travers un vieux garde-barrière et son épouse, solitaires dans leur modeste maison, près du chemin de fer. Ils ne demandent rien de plus que de poursuivre cette existence sans histoire. Mais leur vie bascule le jour où le brave homme est poussé à la retraite, remplacé par un employé plus jeune.

Vendredi, 14 h 30, Cap’Ciné 6

La virtuosité intelligente
fiffcloseupClose-Up (1990). Les classements ne veulent pas toujours dire grand-chose. Mais quand même: en 2012, dans le palmarès des 50 plus grands films de l’histoire du cinéma établi par près de 850 professionnels, Close-up apparaît au 42e rang. A égalité avec Certains l’aiment chaud de Billy Wilder et Pierrot le fou de Jean-Luc Godard.

Signé Abbas Kiarostami (Palme d’or à Cannes en 1997 avec Le goût de la cerise), Close-up est à la fois un documentaire tiré d’une histoire vraie, une célébration du cinéma, une réflexion sur cet art, sur le mensonge et la vérité, mais aussi la démonstration d’un cinéaste qui joue en virtuose du dispositif narratif.

Un cinéphile (Hossain Sabzian) se fait passer pour le réalisateur Mohsen Makhmalbaf et fait croire à une famille qu’il veut tourner un film avec eux. Démasqué, soupçonné d’en vouloir à leurs biens, il finit en prison, où Abbas Kiarostami va le trouver. Il tourne aussi lors de son procès, pour, au final, réaliser un vrai film, avec les vrais protagonistes d’un faux projet…

Vendredi, 12 h 15, Cap’Ciné 6

 

 

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