The Grandmaster, beau au-delà du raisonnable

grandmasterVirgile et Wong Kar-wai, même combat. Sur son lit de mort, le poète latin a demandé à ce qu’on brûle l’Enéide inachevée. Parce qu’il aurait voulu la parfaire. Dans les festivals, le réalisateur hongkongais présente son film et repart avec la bobine sous le bras. Parce qu’il a toujours une séquence à refaire. Perfectionniste jusqu’au bout des photogrammes, Wong Kar-wai est un esthète de l’image mouvante. Son dernier travail d’orfèvre en témoigne comme jamais. The grandmaster est beau, ineffablement beau, beau à en perdre la raison. Même la pluie semble avoir pris des cours de direction. Des ralentis magnifiant, des corps qui s’envolent, des coups de poing fulgurants, le vent dans les cheveux qui s’affolent.

Si bien que… car il y a un «si bien que» dans cette histoire, c’est-à-dire une conséquence à tout ça. Quand le beau s’arrête, c’est la gueule de bois. La perfection esthétique enivre, elle grise, elle ensorcelle. L’écran retrouve sa blancheur et voilà qu’on n’est plus très sûr de ce que l’on a vu. La raison a du mal à faire le tri dans l’histoire, dans ce chassé-croisé épique, entre chroniques chinoises, passion amoureuse et bagarres.

Si le cinéaste a tourné pendant trois ans, c’est pour nous en mettre plein la vue. Il est comme ça Wong Kar-wai, il s’occupe des mirettes avant de penser aux cervelles.

Si la raison a du mal, c’est que la sensation est primordiale. Si le cinéaste a tourné pendant trois ans, c’est pour nous en mettre plein la vue. Il est comme ça Wong Kar-wai, il s’occupe des mirettes avant de penser aux cervelles. On peut s’en offusquer. On peut aussi profiter de l’ivresse, d’autant que le flacon est sans danger.

Le film compose une fresque dédiée aux arts martiaux chinois en retraçant le destin romanesque et néanmoins véridique d’Ip Man. Un homme qui a connu la monarchie, l’avènement de la République, l’invasion japonaise, la guerre civile, l’exil à Hong Kong, la richesse et la pauvreté, la famille et la popularité, la séparation et la solitude. Comme si cela ne suffisait pas, Ip Man a également été l’un des premiers mentors de Bruce Lee, le plus grand combattant qui n’ait jamais joué des pieds et des mains sur un écran de cinéma.

Pour incarner le maître du Wing chun, impossible de jouer la comédie, même quand on s’appelle Tony Leung. L’acteur a donc pratiqué l’art martial en question pendant quatre ans. Le résultat est visible dans chaque séquence, jusque dans la contraction de ses mains solides, jusqu’au sourire confiant qu’il affiche entre deux coups de pied retournés. A ses côtés, Zhang Ziyi est tout aussi époustouflante dans le rôle, fictionnel cette fois, de Gong Er.

Les motifs remplissent si bien le cadre que chaque plan est l’affaire d’une composition minutieuse, d’une charpente de couleurs, d’un jeu de floutage permanent entre le premier et le second plan.

Faut-il être fan de kung-fu pour aller voir le film? Un peu, beaucoup, mais pas passionnément. The grandmaster laisse l’impression d’une visite au musée. Les plans sont travaillés comme des tableaux. Wong Kar-wai filme de près le plus souvent. Les motifs remplissent si bien le cadre que chaque plan est l’affaire d’une composition minutieuse, d’une charpente de couleurs, d’un jeu de floutage permanent entre le premier et le second plan. On s’en rappelle comme des œuvres à part entière. On pourrait presque leur donner un titre: La procession dans la neige, L’affrontement sur le quai, Le duel au pavillon d’or

Et puis, les combats ne remplissent pas le film entièrement. Il y a les échappées mélancoliques, les envolées romantiques. En gros plan sur un filet de musique, des regards qui se cherchent et des lèvres entrouvertes nous rappellent que Wong Kar-wai est éternellement In the mood for love.

par Yann Guerchanik

The grandmaster, de Wong Kar-wai, avec Tony Leung, Zang Ziyi
notre avis: ♥♥♥

 

 

Posté le par Eric dans Cinéma, Critiques Déposer votre commentaire

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