Telle fut notre année 2013

Que reste-t-il des films, livres, disques, spectacles découverts tout au long de l’année? Retour sur nos coups de cœur les plus marquants.adele

par Eric Bulliard et Christophe Dutoit

Un film, un seul, suffit à rendre exceptionnelle l’année cinématographi­que. Un film prodigieux d’intensité et d’équilibre entre la puissance émotionnelle et la rigueur formelle. Palme d’or à Cannes, La vie d’Adèle, d’Abdellatif Kechiche est «le film de la semaine, du mois, de l’année, du siècle», selon Eric Libiot, critique de L’Express, qui dit rarement des bêtises.

Et Gravity? Ah oui, c’est vrai, il y a eu Gravity, aussi. Entre nous, là, à tête refroidie et de retour sur terre, est-ce qu’il valait tout ce ramdam? Excellent souvenir en revanche des nouveaux délires de Quentin Tarantino (Django unchained) et de Martin Scorsese (Le loup de Wall Street), ainsi que de Blue Jasmine, intelligente relecture d’Un tramway nommé Désir par Woody Allen, avec une Cate Blanchett époustouflante.lune

Du côté des livres, le cru se révèle goûtu. Enorme coup de cœur pour un bref roman fribourgeois, La lune assassinée: avec ce premier livre, Damien Murith a signé une œuvre d’une densité extraordinaire. En France, en début d’année, Marie Ndiaye démontrait qu’elle avait digéré son Goncourt de 2009 avec Ladivine, roman vertigineux, presque effrayant sous sa fausse placidité. Philippe Jaccottet a trié ses notes et observations pour livrer de nouvelles merveilles (Taches de soleil ou d’ombre).

Lors de la pléthorique rentrée littéraire, Tristan Garcia a sorti un Faber, le destructeur poignant. Boris Razon a retracé la maladie qui l’avait laissé provisoirement tétraplégique dans un terrifiant Palladium. Avec une précision glaciale, Pierre Jourde est revenu sur sa mésaventure dans son village d’origine (La première pierre), où les habitants l’ont chassé à coups de pierres, après un livre censé leur rendre hommage.

Il y en aurait tant à citer encore: les retours du très habile Colum McCann (Transatlantic), du sulfureux Tom Wolfe, avec un impressionnant Bloody Miami, du savoureux Jean-Philippe Toussaint (Nue). On se souviendra aussi du plaisant Goncourt, Au revoir là-haut, de Pierre Lemaitre, qui tombe pile-poil, à la veille de l’avalanche de commémorations de la Grande Guerre.

Ancien reporter, Sorj Chalandon mérite une double mention: pour Le quatrième mur, visite du Liban en guerre qui a reçu le Goncourt des lycéens, et pour Mon traître. Cette évocation du conflit irlandais et d’une amitié brisée, a été portée au théâtre par un metteur en scène de 36 ans, Emmanuel Meirieu. C’était en avril, à Vidy, et l’on en sortait avec la certitude d’avoir vu le spectacle de l’année. Côté scène toujours, souvenir brûlant du passage de la troupe de Carolyn Carlson à Equilibre, avec Inanna.

En musique, les Anglo-Saxons tiennent la grande forme (lire ci-dessous), mais, du côté francophone, pas d’extases inoubliables. C’était une année comme ça. Ou plutôt comme ci, comme ça. Le dernier Saez (Miami) est très bien, mais reste loin du sommet de Messina. Bertrand Belin a déployé son charme si particulier dans la poésie dépouillée de Parcs, mais qui écoute Bertrand Belin? Alex Beaupain, Vincent Delerm, Bernard Lavilliers, Gaëtan Roussel ont sorti d’excellents albums, mais pas de ces chefs-d’œuvre qui vous remuent les tripes et vous laissent tourneboulés. Pas de Vie d’Adèle, quoi. EB

Renouveau sous influence
Par chance, 2013 ne se résume pas à Beyoncé, Miley Cyrus, Arcade Fire et Daft Punk. Et encore, ces deux derniers groupes n’ont pas accouché, eux, d’albums consternants, mais d’objets simplement trop mercantiles pour être honnêtes…

Honneur aux «dinosaures»: le 8 janvier, date de son soixante-sixième anniversaire, David Bowie sortait à la surprise générale un single Where are we now? suivi, deux mois plus tard, de l’album The next day. Frais comme une rose, le chanteur anglais y revisite ses propres influences, pour un come-back phénoménal.

Autres sexagénaires anglais sur le retour, les membres originaux de Black Sabbath (avec Ozzy Osbourne) ont renoué avec leurs vieilles ténèbres. Dans une forme éblouissante, les trois rescapés des sixties (!) ont sorti 13, un album qui condense l’héritage que leur ont pillé des hordes de hard-rockers.

Toujours sexagénaire, mais Canadien, Neil Young a donné cet été à Paléo l’un de ces concerts qui entrent instantanément dans la légende. Avec son fidèle Crazy Horse, le Loner a joué avec les éléments et provoqué un ouragan digne de Woodstock. Bruitiste et sauvage, il a conclu son set avec une version hallucinée de Like a hurricane, durant laquelle il a affronté le vent et la pluie avec sa vieille Les Paul et une vieille rage d’adolescent en colère.

Lanegan la classe
Un peu moins âgé, mais tout aussi mythique, Nick Cave a également donné à Nyon une prestation d’anthologie. Longtemps confinée dans les bas-fonds underground, sa musique sort enfin de l’ombre et convertit les masses, aussi bien avec les excellents titres de son dernier album Push the sky away, qu’avec ses vieilles rengaines telles The mercy seat ou The weeping song.

Tout à l’inverse de cette bête de scène, le crooner américain Mark Lanegan a livré un concert mémorable en octobre à l’Octogone de Pully. Ultrastatique (stoïque?) derrière son micro, le baryton a rendu hommage à la musique américaine durant nonante minutes, sans aucun jeu de lumière ni autre artifice que sa voix envoûtante et un groupe à l’unisson. Comble de sincérité, l’ancien pote de Kurt Cobain et collaborateur régulier des Queens of the Stone Age est venu signer des autographes au bar à l’issue du concert, accordant un petit mot jusqu’au dernier des spectateurs… La classe!

Au pays du chaos organisé
En temps normal, on se serait largement contenté de ces quelques galettes. Mais ce serait compter sans le retour après vingt ans de mutisme de My Bloody Valentine, l’avènement comme chanteur de Johnny Marr, (guitariste légendaire des Smiths), ou la sortie de Like clockwork, énième chef-d’œuvre des susmentionnés Queens of the Stone Age.

Mieux encore: rarement la première écoute d’un disque n’aura été aussi marquante que celle d’Hesitation marks, le dernier-né de Nine Inch Nails. Comme pris dans la spirale de cette transe hypnotique, l’auditeur est plongé sans ménagement dans un voyage intense au pays du chaos organisé.k7

Dernier clin d’œil à deux groupes fribourgeois au sommet de leur art. Honneur aux filles avec Kassette et son excellent troisième album, Far. Et mention spéciale au rock dans sa plus extrême expression avec le second opus de Cortez, emmené par le Bullois Grégoire Quartier. CD

 

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