Bagdad Café, sur la route vers nulle part

 

Un lieu, une œuvre (7). Quelque part dans le désert californien, le Bagdad Café continue d’accueillir les nostalgiques du film qui, à la fin des années 1980, a marqué toute une génération.

Bagdad

Par Eric Bulliard

Au départ, il y a Bagdad, un hameau du désert californien, sur la Route 66. Nommé ainsi parce que, paraît-il, le climat rappelle celui de l’Irak. Entre 1912 et 1914, il a connu 767 jours de suite sans une goutte de pluie, record des Etats-Unis. Un coin sympa, en somme. C’est là que le réalisateur allemand Percy Adlon a choisi de situer son Bagdad Café, sorti en 1988.

En réalité, le film n’a pas été tourné à Bagdad. Tout simplement parce que le village n’existe plus. Il a compté jusqu’à 600 habitants, avec église, poste, librairie et, évidemment, le fameux café. Mais le hameau a été peu à peu abandonné, en même temps que la Route 66. Le bistrot a fermé en 1968 et, aujourd’hui, Bagdad n’est qu’un bout de désert anonyme, avec quelques tombes et un arbre. Les dernières habitations ont été démolies en 1991.


Agrandir le plan
Rien à voir, rien à faire, donc, à Bagdad. Pour trouver le lieu du tournage, il faut se rendre à une heure de là, à Newberry Springs. Presque une métropole, en comparaison, avec ses 3000 habitants. Température moyenne en été: 42°C. Sympa. Et, à la sortie du village, ce troquet improbable. Il a survécu grâce à tous ceux qui, émus par le film, ont voulu voir si par hasard Jasmin et Brenda faisaient toujours des tours de magie…

Une ligne droite sans fin et soudain un troquet rouge improbable. Avec 75% de clients français

Peu connu aux Etats-Unis

L’histoire du restaurant mériterait son propre scénario. Elle débute comme celle de tant d’autres diners qui ont poussé le long de la Route 66. Celui-ci voit le jour dans les années 1950 et s’appelle Sidewinder Cafe. Quand, en 1973, l’autoroute I-40 ouvre à quelques dizaines de mètres de là, les clients se font rares. Le bistrot est même fermé de 1975 à 1982.

Le réalisateur Percy Adlon, les comédiens Jack Palance, Marianne Sägebrecht et CCH Pounder investissent les lieux en 1987. Dans le film, le Sidewinder devient Bagdad Café, en référence au bled perdu où est censée se passer l’action. Jasmin, une touriste allemande, est abandonnée par son mari après une dispute et se retrouve dans ce café-motel paumé. Une amitié va naître entre la patronne acariâtre et Jasmin qui, avec sa simplicité bonhomme, va transformer le bistrot et ses habitués.

Visuellement, le film paraît aujourd’hui un peu vieillot. Mais le charme de son atmosphère, de son faux rythme et de cette amitié délicieusement bien-pensante opère toujours. Immense succès en Europe, il reste quasiment inconnu aux Etats-Unis. Une série télévisée en a été tirée (avec Whoopi Goldberg), mais s’est rapidement arrêtée. D’ailleurs, Andree Pruett, la patronne actuelle, estime que seuls 5% des visiteurs sont américains. Alors que les Français forment 75% de sa clientèle.

Pour les autruches

Tout un poème, cette Andree Pruett… Entre deux cars de touristes, quand le café retrouve l’ambiance «roots» qui fait son charme, elle vous racontera peut-être comment elle est arrivée ici. Après le film, le café avait repris son rythme tranquille. Un des propriétaires successifs avait bien essayé de le renommer Bagdad Café, sans succès. Quand Andree Pruett et son mari Harold le rachètent en 1995, il s’appelle à nouveau Sidewinder.

A croire qu’elle narre son existence selon son humeur: on raconte qu’Andree a été scripte à Hollywood ou professeure d’arts dramatiques. Ou encore qu’elle tenait une boîte de nuit en Alaska, quand son mari posait des pipelines… Une chose est sûre: c’est son époux (décédé en 2002, deux mois après leur fils) qui voulait vivre dans le désert. Le couple est arrivé à Newberry Springs, parce que monsieur cherchait un terrain pour élever des autruches.

En passant, ils apprennent que le café du coin est à vendre et trouvent amusante l’idée de reprendre un bistrot au milieu de nulle part. Ils lui redonnent son nom de cinéma, Bagdad Café. L’élevage d’autruches fera long feu: ils deviennent restaurateurs et (un peu) guides touristiques.

Pour la nostalgie

Dès le début, les Français viennent en pèlerinage. Mais ils se contentent de jeter un œil par la fenêtre, sans oser pousser la porte, raconte Andree Pruett. Et elle ajoute «Je suis sortie et je les ai amenés à l’intérieur.»

Signalé dans Le Guide du routard (entre autres), le Bagdad Café est devenu une étape incontournable pour les nostalgiques qui croient trouver l’Amérique authentique en parcourant la Route 66 en Harley. Tous ont droit au sourire de la patronne. Avec un peu de chance, elle vous montrera le script de la suite de Bagdad Café, écrite par ses soins, qu’elle espère voir tourner un jour. Il paraît qu’elle en vend des exemplaires, aussi.

www.therealbagdadcafe.com

 

 

 

A la fois authentique et touristique

Il faut imaginer le vent brûlant, la poussière. Au loin, les camions de la I-40: parallèle à la Route 66, l’autoroute, ouverte en 1973, a causé la mort de nombreux motels et restaurants, qui avaient poussé le long de la mother road.

Sortie d’autoroute 18, à Newberry Springs, 20 miles à l’est de Barstow, Californie. A mi-chemin entre Los Angeles et Las Vegas, en plein désert de Mojave. A première vue, le bled ne compte que quelques maisons et caravanes délabrées. Il paraît que près de 3000 personnes vivent par ici, mais où sont-elles?Bagdadbis

Il faut imaginer un horizon sans fin, une ligne droite et, à gauche, soudain, une baraque rouge au toit de tavillons. Un panneau annonce que «ce restaurant mondialement connu a été le lieu de tournage du film de 1988, Bagdad Café, qui est devenu le nom du restaurant en 1995». Ce n’est pas de la grande littérature, mais au moins, c’est clair: nous y sommes. Pas de station-service, en revanche, ni de château d’eau ni de motel: l’écriteau est toujours là, les bâtiments aussi, mais abandonnés. Tout comme la caravane en aluminium du peintre-hippie Rudi Cox (Jack Palance).

Même Albert de Monaco…

A l’intérieur, drôle de sentiment. L’endroit paraît «dans son jus», avec son bar en formica, ses sièges en skaï et deux ou trois habitués à la gueule burinée. «Welcome to Bagdad Café», lance Andree Pruett, la blonde et souriante patronne. Mais à cette authenticité se mêle un kitsch ultratouristique: les murs sont recouverts de cartes de visite, de bouts de billets du monde entier (de France surtout), de T-shirts, d’écharpes et de maillots de foot…Bagdadter

Dans un coin de cet invraisemblable bric-à-brac, devant une photo de John Wayne, les livres d’or s’entassent. Il doit y en avoir quinze, vingt, trente peut-être. Il paraît que même Albert et Stéphanie de Monaco ont signé, quelque part.

Touristes en masse

Andree connaît son job… et quelques mots de français. Impossible de repartir avant la traditionnelle photo derrière le comptoir. A peine le temps de prendre place que le juke-box (oui, c’est un de ces endroits où l’on trouve encore un juke-box!) lance Calling you, la scie qui sert de b.o. au film. Interprétée par la chanteuse de gospel Jevetta Stelle la chanson évoque «a desert road, from Vegas to nowhere». Et il faut avouer que l’on se sent bien, presque seuls au milieu de ce nulle part.

Sortie fumer une cigarette sur le perron, une dame hors d’âge revient en courant: «The bus is coming!» C’est un groupe de touristes belges, appareils photo en bandoulière. Branle-bas de combat dans le café: la patronne et le serveur disposent les bibelots-souvenirs sur le comptoir, relancent «I’aaaaaaaaaaam caaaalling youuuuuuuuuuuuu». On repassera pour l’authenticité. Il est temps de reprendre la route.caravane

 

 

Une réussite sans suite

Sorti fin 1987, Bagdad Café a été le film d’une génération (au moins). César du meilleur film étranger en 1989, il a réuni 2,3 millions de spectateurs en France. Mais qui saurait citer le nom du réalisateur? Et des acteurs?

Venu du documentaire, Percy Adlon signait là une réussite unique. Ce cinéaste allemand, né en 1935, a continué de tourner (son Mahler auf der Couch date de 2010), mais sans retrouver le succès de Bagdad Café. Qu’il a prolongé en l’adaptant en comédie musicale, en 2005, avec Jevetta Steele (interprète de la chanson Calling you) dans le rôle de Brenda.

De son côté, Marianne Sägebrecht (excellente en Jasmin) s’est fait remarquer deux ans plus tard dans La guerre des Rose. Par la suite, pas grand-chose… Si ce n’est le rôle de Bonnemine dans l’Astérix de Claude Zidi. Quant à CCH Pounder (Brenda), après Psychose 4 et Robocop 3, elle a surtout fait des apparitions dans des séries, comme Urgences et Revenge. Le film a en revanche relancé Jack Palance (1919-2006), éternel second rôle de westerns et producteur américain dans Le mépris de Godard, 25 ans plus tôt: en 1990, il recevait un oscar pour l’ensemble de sa carrière.

bagdadPalance

 

Posté le par admin dans Cinéma, Un lieu – une œuvre 8 Commentaire

8 Réponses à Bagdad Café, sur la route vers nulle part

Ajouter un commentaire