Jean-Louis Donzallaz passe le relais à la quatrième génération

Actif depuis plus de trente-six ans à Romont, Jean-Louis Donzallaz tire sa révérence à la fin de l’année. Le dernier magasin de photos indépendant du canton ferme ses portes, mais les activités photographiques sont reprises par sa fille Aurore Rost.

par Christophe Dutoit

Jean-Louis Donzallaz le dit lui-même: «Je suis le dernier des Mohicans.» Entendez par là que le Romontois tient le dernier magasin de photos indépendant à avoir pignon sur rue dans le canton de Fribourg. Le 28 décembre, l’enseigne de la Grand-Rue 42 baissera une dernière fois son rideau. A 72 ans, Jean-Louis Donzallaz ferme boutique et passe le témoin à une quatrième génération (lire ci-dessous). Après un rafraîchissement des lieux, sa fille Aurore Rost reprendra en effet les activités photographiques dès le mois de février 2018.

«Depuis toute petite, on me dit que je reprendrai un jour le commerce, avoue la jeune femme. Ici, il y a tout pour bien faire. Alors, pourquoi ne pas tenter l’expérience?»

Dans la grande tradition, elle proposera divers services: cartes d’identité, portraits en studio, retouches photographiques, montages, transferts de films super-8, cartes de visite ou articles publicitaires. «Je poursuis les mêmes activités à l’exception de la vente, car je ne suis pas trop technicienne. De toute manière, le marché de l’appareil photo s’est déplacé dans les grandes surfaces et, surtout, sur internet.»

De son côté, Jean-Louis Donzallaz ne quitte pas totalement le bateau. «Je continuerai de faire des reportages de mariage ou de fête.» Sa fille renchérit: «Il aura aussi davantage de temps pour faire de la photographie pour lui.»

Rayon photo de la Migros
Passionné de photographie, le Glânois a travaillé durant dix ans au rayon photo de la Migros de Romont, avant de reprendre le magasin en 1981. «On a ouvert à la Grand-Rue 42, au-dessus d’anciennes caves à fromage. A l’époque, certains venaient encore nous demander du sel au dépôt.»

Depuis 1968, date de son premier engagement, Jean-Louis Donzallaz a officiellement photographié 370 mariages. «Et combien de divorces, vous voulez me demander, n’est-ce pas? rigole-t-il. Eh bien, je ne sais pas.» Pour avoir participé à autant de noces, le boute-en-train se fait connaître de toute la Glâne. «A l’époque, le photographe était toujours le dernier rentré, après le café noir. J’en ai connu des sacrées vedettes, je peux vous dire!»

Dans le bistrot ou à l’église
Surtout, Jean-Louis Donzallaz est de toutes les fêtes de musique, de toutes les premières communions, de toutes les confirmations, de toutes les médailles Bene Merenti. En un mot, de tout ce qui fait le sel d’une vie de village. «Pour un reportage, je rentrais peut-être avec 1000 à 2000 photos. Ma femme Claudine m’aidait à les trier et on en tirait jusqu’à 1500, qu’on exposait sur des panneaux, dans le bistrot ou l’église du village, raconte le photographe. Son épouse renchérit: «Il fallait faire vite. Les gens commandaient les images qui les intéressaient. On les leur envoyait. Puis il fallait facturer, parfois envoyer des rappels…» Aurore Rost suit la conversation avec une étincelle dans le regard. «J’ai connu ça depuis toujours.»

En près de quarante ans, la photographie a radicalement changé. «Aujourd’hui, chacun fait les siennes. Mais l’appareil ne sait disposer les membres d’une fanfare», sourit malicieusement Jean-Louis Donzallaz, pas peu fier d’exhiber ces musiciens en rang d’oignons, alignés au cordeau sur des bancs. «Parfois, il fallait laisser des places libres pour les absents. Et on les rajoutait par la suite avec Photoshop.»

A Romont, il y a eu jusqu’à quatre photographes en même temps. C’est qu’il y avait du travail, notamment dans l’industrie. «Aujourd’hui, on fait développer en moyenne deux films par semaine. Les gens ne savent plus où aller autre part. A l’époque, on envoyait en moyenne cinquante films par jour au laboratoire. Kodak nous livrait deux fois par jour…» Devant la porte, la boîte à films fait office de vestige, bientôt de pièce de musée. Tout comme l’enseigne aux couleurs jaune et rouge, si omniprésente il y a encore vingt ans, si désuète aujourd’hui. Le monde change, il faut s’adapter.

Paul Plexi et les Armaillis
D’ailleurs, le conseil et la vente d’appareils ont, de longue date, fait le succès de la maison. «Les gens arrivaient et demandaient: “Il est là, monsieur Donzallaz?”» raconte son épouse. Les passionnés venaient de loin, parfois de Genève. «De nos jours, certains viennent demander des renseignements au magasin, ils disent qu’ils vont réfléchir et ils finissent par acheter sur internet. Nous, on essaie de fidéliser notre clientèle.»

Dans son studio, des portraits: la conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey, lors de sa visite à la Fille-Dieu, en 2004. «Je ne compte plus les conseillers d’Etat qui sont venus autour de cette table.» Mais aussi des portraits de groupe des Armaillis de La Roche – «je les photographie depuis quarante ans!» – ou d’un adorable bout de chou sur fond bleu. «Oui, c’est bien Paul Plexi, le chanteur. Il est venu donner un concert dans notre magasin pour nos trente-cinq ans.»

A Romont depuis 1938
Après un apprentissage à Bâle, Adolphe Geisel (1909-2003) pratique la photographie à Davos, à Lugano, à Saint-Brieuc et à Sainte-Croix, avant d’installer définitivement son commerce à Romont, à l’avenue de la Gare, en 1938. «Geisel, c’est la figure du photographe, explique Florian Defferrard, qui supervise l’archivage du fonds Donzallaz, acquis par la commune de Romont en 2015 (La Gruyère du 12 décembre 2015). Il cherchait toujours à faire des belles images.» Passionné de voile et père de quatre filles – «qui ont fait tourner la tête à tous les jeunes Glânois» – Geisel a fait construire, par les architectes Dumas et Honegger, une maison entièrement dédiée à la photographie: «Avec le magasin et sa vitrine au rez, la partie habitation, le studio photo et le laboratoire, explique l’archiviste. Un des rares exemples d’une telle construction en Suisse.»

En 1970, son apprenti Michel Bourquard reprend l’enseigne pour une dizaine d’années. Puis il s’installe à Los Angeles et devient «le photographe des stars à Hollywood», explique Jean-Louis Donzallaz. Taylor Swift, Angelina Jolie, Jennifer Lawrence, Rita Ora, Mila Kunis (parmi tant d’autres) ont posé devant son objectif. Pas mal pour un gamin d’ici.

Puis Jean-Louis Donzallaz installe son magasin à la Grand-Rue. «En trente-six ans, il a constitué la mémoire de la Glâne, explique Florian Defferrard. Jean-Louis aime sa région. Il a un ancrage tellement fort ici. Il a façonné un patrimoine visuel unique et irremplaçable.» Avec la passation de témoin à sa fille Aurore Rost l’année prochaine, l’atelier fondé par Adolphe Geisel fêtera ainsi ses huitante ans d’existence.

Posté le par admin dans Photographie Déposer votre commentaire

Ajouter un commentaire