Sébastien Kohler: «Dix secondes, c’est comme du cinéma, mais arrêté»

Musicien électronique et enseignant à l’HEMU, le Lausannois Sébastien Kohler expose une série de portraits hors du temps au Musée suisse de l’appareil photographique, à Vevey. Rencontre.

par Christophe Dutoit

«Un jour, j’en ai eu marre de faire de la musique tous les jours. Il y avait comme un trop-plein. Alors, j’ai fait de la photographie.» Il y a chez Sébastien Kohler cette frénésie pour l’expérimentation, cet intérêt convulsif pour la nouveauté, cette envie indomptable d’être créatif. Frère du DJ Mandrax, le Lausannois produit de la musique électronique depuis le milieu des années 1990. Il a même connu le succès avec le duo Shakedown et son tube At night en 2002. En outre, il enseigne toujours la musique assistée par ordinateur à la Haute Ecole de musique de Lausanne (HEMU). Mais, dans les interstices de sa vie, il pratique la photographie, dans une tanière, à deux pas du Musée de l’Elysée.

«J’ai découvert la photographie il y a une dizaine d’années. J’ai essayé toutes sortes d’appareils, j’ai appris à développer les films moi-même.» Eh oui, bien que l’homme soit électronicien de formation, il trouve le numérique «très ennuyeux» et choisit la photographie conventionnelle, argentique, à l’ancienne. «La révélation [c’est le cas de le dire], ce fut l’exposition de Sally Mann, en 2010, au Musée de l’Elysée.»

Dès lors, il s’intéresse à ce procédé au collodion humide, mis au point en 1851 par l’Anglais Frederick Scott Archer. Des négatifs sur verre qu’il présente sous la forme d’ambrotypes – des images qui apparaissent positives sur un fond noir – au Musée suisse de l’appareil photographique, à Vevey, jusqu’au 14 mars.

«Je repère mes modèles dans mon entourage plus ou moins pro­che. Je cherche des personnalités, des gueules. Rassurez-vous, je n’aborde pas les jolies filles sur les terrasses.»

«Il y a quelques années, j’ai acheté à un vieux photographe lausannois un appareil à pla-ques de verre et j’ai appris à
le manipuler grâce à des tu­toriels sur Youtube, raconte l’homme âgé de 48 ans. Aux Etats-Unis, plein de gens utilisent encore ces techniques ancestrales et partagent volontiers leurs secrets sur des forums.»

Sébastien Kohler adopte un canevas très précis, notamment en raison de l’exiguïté de son atelier. Le modèle est assis, la tête appuyée sur le repose-tête. «Je les repère dans mon entourage plus ou moins pro­che. Je cherche des personnalités, des gueules. Rassurez-vous, je n’aborde pas les jolies filles sur les terrasses.»

Une seule photo
Avec sa voix douce, mais déter­minée, il explique toujours sa démarche à ses modèles avant la prise de vue. «L’idéal est de ne faire qu’une seule photo. Je recherche ce moment. J’essaie de trouver la meilleure attitude. Tout est assez contrôlé.»

Dans son laboratoire adjacent, où fleurent bon les odeurs de fixatif, il coule lui-même son émulsion. Puis, avant qu’elle ne sèche, il procède à la prise de vue. «La pose dure une dizaine de secondes. Le modèle doit se concentrer pour ne pas bouger. Ça provoque un déplacement de son narcissisme. C’est comme du cinéma, mais arrêté.»

Dix secondes, c’est court et c’est long dans une vie. «Compter jusqu’à dix, c’est palpable. Cela donne une profondeur au portrait. Dix secondes, c’est une moyenne de qui vous êtes…» Même si l’image est floue. «Je vois si la photo est réussie avant de la faire. Tout est question d’équilibrisme. La réussite tient à un fil, mais quand ça marche, c’est très gratifiant.» Le résultat est unique, originel, non transformable, non retouchable, non recadrable. A l’état pur.

Classement personnel
«Durant longtemps, j’ai fait ces portraits sans vraiment savoir pourquoi. Je les rangeais dans des tiroirs. A un moment précis, ça a pris sens.» Dès lors, Sébastien Kohler les trie selon un classement très personnel: les séducteurs, les tristes, les colériques, les angoissés… «Ai-je réussi à prendre ce qu’il y avait à prendre? se demande-t-il sans cesse. Certaines belles personnes ont tendance à trop maîtriser leur côté séducteur. Elles m’intéressent moins que les mélancoliques…»

«Ai-je réussi à prendre ce qu’il y avait à prendre? se demande-t-il sans cesse. Certaines belles personnes ont tendance à trop maîtriser leur côté séducteur. Elles m’intéressent moins que les mélancoliques…»

A Vevey, il expose 54 portraits, en ligne, de manière à la fois très frontale et très épurée. Pas de légende, pas d’indication sur l’identité de ces personnages énigmatiques. Sont-ils déjà des spectres? Peut-être, dans la transparence de leur image, si mystérieuse. «Vais-je continuer compulsivement à faire ces portraits? s’interroge Sébastien Kohler. Je ne sais pas encore. Peut-être en tâche de fond, pour ne pas perdre la main. De toute manière, je ne gagne pas ma vie avec la photographie. Je ne vends pas mes images. J’ai totalement écarté la composante argent. Je veux être créatif à 100%.»

Actuellement, le Lausannois travaille sur une série de natures mortes, des images d’une ville fictive construite à l’aide de bouteilles en plastique par l’artiste Sébastien Théraulaz. Une sorte de Metropolis en noir et blanc qui colle parfaitement à son esthétique cyber rétro.

«Comme en musique, je répète ce qui me plaît. Ce n’est pas un truc de branchés. Mais je m’exprime avec la méthode qui m’intéresse. On ne vit qu’une fois, j’ai la chance de faire ce qui me plaît.»

Vevey, Musée suisse de l’appareil photographique, ma-di, 11 h-17 h 30, jusqu’au 14 mars 2018,
www.cameramuseum.ch

 

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