Deux jeunes Bullois au zénith de la photographie suisse

L’exposition du 21e Prix de jeunes talents vfg fait halte à Renens. L’occasion de rencontrer deux talentueux photographes bullois, la lauréate du 1er prix Laurence Kubski, et l’étudiant Vincent Levrat, tous deux issus de la formation de l’ECAL.

par Christophe Dutoit

«J’ai un peu dû vaincre ma timidité pour envoyer mes images. Heureusement que le concours était anonyme…» Après trois quarts d’heure d’une discussion enflammée, jeudi, juste avant le vernissage de l’exposition, il faut se rendre à l’évidence: Laurence Kubski l’a sacrément bien soignée, sa timidité.

Lauréate du 21e Prix de jeunes talents vfg en juin 2017, la Bulloise était ravie que l’exposition fasse sa troisième étape dans les locaux de l’Ecole cantonale d’arts de Lausanne (ECAL), là où elle a consécutivement acquis son bachelor en design graphique et son master en direction artistique.

A Renens, elle montre les huit images de sa série Domesticate, qui lui a valu le 1er prix. Une collection d’histoires entre des animaux et des hommes, en partie réalisée lors d’une résidence de cinq mois à Hong Kong. «J’ai eu le luxe d’avoir du temps», raconte la jeune femme de 31 ans, désormais installée avec son époux à Lausanne.

Huit images sagement encadrées, avec huit légendes, à lire aux sens propre et figuré. Devant quatre étranges boîtes centrées sur un fond rouge, elle explique: «En Chine, il existe une tradition millénaire de garder sur soi, comme un porte-bonheur, un petit criquet dans une boîte. Or, quand il est bien au chaud, il se met à chanter…»

Entre l’idée de départ et la réalisation de la photo, Laurence Kubski vit une aventure digne d’un film des frères Coen. «Il n’y avait plus de criquets à Hong Kong, alors je suis allée en acheter à Shanghai. A l’aller, la douanière ne comprenait pas le CH de mon passeport. Elle lisait: “China, China!” J’ai dû lui montrer la Suisse sur Google Maps… Au retour, j’ai passé les criquets illégalement. Et ils se sont mis à chanter dans le train. J’ai vécu les dix-neuf heures les plus longues de ma vie.»

Schéhérazade bulloise
De retour à Hong Kong, elle s’ingénie à photographier cette étrange habitude que certains ont de se promener en ville avec des cages à oiseaux et de les suspendre dans les parcs. «Durant un mois, je suis allée chaque semaine voir ces gens pour les convaincre de prendre des photos. Enfin, j’ai eu le droit d’installer mon matériel.»

Devant un drap immaculé, elle photographie ces cages finement sculptées dans des bois précieux. «C’est une pratique assez masculine, pour montrer qui a la plus belle.» Finalement, elle comprend que ce n’est pas la cage, si sublime soit-elle, qui fait sa valeur, mais bien la qualité de chanteur des oiseaux, qui se défient l’un l’autre dans ces karaokés surréalistes.»

Des histoires de cet acabit, la Schéhérazade bulloise en raconterait jusqu’au bout de la nuit. Allez, encore une: «Toujours à Hong Kong, une vieille croyance taoïste dit que manger des animaux vivants prolonge l’existence. Sur un marché, on vend des crabes le thorax ouvert, pour montrer que leur cœur bat encore.» Des crabes magnifiques, comme on n’en voit que dans des aquariums de zoo, qu’elle n’avait évidemment pas les moyens de s’offrir. «Je m’arrangeais pour me les faire prêter. Je payais des pourboires au serveur d’un bar pour qu’il me traduise ma demande en cantonais et je la tendais aux marchands. On se moquait un peu de moi, mais je parvenais à photographier ces animaux avec mon installation, avant de les rendre au marché.»

A chaque fois, elle a sélectionné une image «parmi les innombrables ratés». Comme ce portrait de son traducteur à Tokyo, là où elle a installé son studio dans «un bar à hiboux», dans la lignée des bars à chats de Taïwan. Ou de ce serpent séché, qui se déguste en soupe pour combattre l’arthrose…

Pour sa première exposition photographique, Laurence Kubski provoque un vent de fraîcheur bienvenu et démystifie une photographie contemporaine qui n’a pas besoin de se prendre le chou pour être pertinente. Avec talent.

Renens, Galerie l’elac, lu-ve 13 h-17 h, jusqu’au 16 mars, www.vfg.ch

Des sculptures pas si impossibles

Mercredi soir, Vincent Levrat rendait son mémoire de fin d’études à l’ECAL. Et, dès le lendemain du vernissage, il s’attaquera à son projet de diplôme, pour mettre un terme, d’ici l’été, à trois ans passés à l’école de Renens. Entre-temps, il a accroché pour la troisième fois sa série Flat depth, qui figure parmi les dix sélectionnés du Prix vfg.

«Pour moi, il s’agit d’un projet spontané et ludique. J’aime bien questionner le médium photographique.» Pour cette série, le Bullois de 25 ans a créé des «fausses» sculptures en bois à partir de célèbres illusions d’optique. Ou comment transposer en trois dimensions le dessin en 2D d’une perspective impossible, avant de le restituer sur une photographie, elle aussi en deux dimensions. La quadrature du cercle, quoi.

Sans Photoshop
Même si le photographe apprécie bidouiller ses images, il n’a pas forcément retouché celles-ci avec Photoshop. «Pour la sculpture avec les allumettes, j’ai d’abord développé une première image, puis j’ai posé de vraies allumettes sur le tirage et je l’ai rephotographié.» Le résultat est bluffant. A la fois simplissime, parfaitement improbable et diaboliquement faux.

Initié dans le cadre d’un cours de l’ECAL, ce projet «n’a rien à voir avec mes autres séries, évoque le Bullois. C’est un point de départ vers une pratique plus proche de la sculpture. J’aime bien construire mes photographies.» Avec ses Flat depth, il construit littéralement ses images dans un accrochage où le cadre peint do-it-yourself d’un tirage reprend la couleur d’une lambourde qui apparaît sur une autre image. Un jeu formel très malin, à la fois absurde et ludique. «Ça me plaît bien quand les spectateurs cherchent à comprendre comment ça marche.»

Alpages gruériens
Dessinateur en bâtiment de formation, Vincent Levrat a ensuite décroché un CFC de photographe à l’école de Vevey, avant de poursuivre sa formation à l’ECAL. «A l’école, on produit beaucoup d’images. On pourrait très bien ne rien en faire. Sans ce genre de concours, elles n’existeraient peut-être même pas.» Ce fut d’ailleurs le cas pour sa série sur les alpages gruériens, réalisée dans le cadre de son CFC, et qui a abouti, en 2016, à une exposition dans les douves du château de Bulle.

Après Zurich et Bâle, et en attendant Stuttgart, l’exposition du Prix de jeunes talents vfg met le pied à l’étrier à une nouvelle génération de photographes. «Je suis supercontent de cette expérience, qui nous sort du fonctionnement de l’ECAL. C’est un peu comme une première expérience professionnelle. Et ça me confirme dans mes choix: je veux vraiment être photographe.»

Le troisième Fribourgeois

Un troisième photographe fribourgeois (décidément) fait partie des dix sélectionnés pour le 21e Prix vfg. Neuchâtelois d’origine, François Vermot est en effet installé à Fribourg depuis ses études de géographie et d’anthropologie à l’Université. Photographe et vidéaste autodidacte, il expose à Renens une série de vues prises à l’intérieur du Palais des Nations, à Genève. Durant une année, il a savamment recherché des traces d’activités dans ces architectures très connotées années 1930 (puis années 1970 pour l’agrandissement des bâtiments). Au-delà des jeux de couleurs entre les moquettes élimées et le mobilier vintage, François Vermot livre une série d’images très léchées, où l’être humain reste en filigrane, au détour d’une porte ouverte.

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