Dave McKean: deux artistes aux abois

Le peintre britannique Paul Nash s’est brisé dans les paysages de la guerre de 1914. Dave McKean 
est entré dans son esprit pour recoller les morceaux laissés sur les champs de bataille.

Par Romain Meyer

Black Dog marque, à un siècle d’intervalle, la rencontre inattendue et pourtant tellement logique au final de deux artistes britanniques d’importance, Paul Nash et Dave McKean. Le premier est né en 1889 et s’est révélé pendant la Première Guerre mondiale. Il a été l’un des acteurs du modernisme anglais, avant de se ranger du côté des surréalistes. Le second révolutionne la bande dessinée et l’illustration depuis une trentaine d’années. Chacun à sa manière a apporté une nouvelle orientation à son art. Chacun se retrouve dans une forme d’onirisme sombre.

Paul Nash a 25 ans quand il s’enrôle dans l’armée britannique. Il suit un million de compatriotes ulcérés par l’attitude de l’Allemagne du Kaiser Guillaume II et l’invasion de la Belgique au début du joli mois d’août 1914. Deux ans plus tard, il sera envoyé dans les troupes du front de l’ouest. Il vit d’abord le conflit sous l’uniforme de soldat et le terminera comme peintre de guerre officiel. Son expérience militaire le marquera à jamais, une empreinte au fer rouge dans son imaginaire et sa construction d’artiste. Avec cette question: comment représenter cette abstraction que devient la guerre quand elle a déchiré une âme?

Exorcisme et catharsis
Rien d’étonnant, dès lors, qu’il se soit également frotté au mouvement surréaliste après son retour. Un exorcisme peut-être, une catharsis sûrement. Créer pour comprendre, façonner pour déconstruire, avec le décor de la guerre comme symbole du tourment. Quelques hommes à peine, rigides fétus de paille dans un monde brûlé.

De la lande grêlée de shrapnels de 14-18 aux paysages intérieurs en recherche de conscience, Paul Nash joue l’un sur l’autre, dans une partie où règne la redéfinition du souvenir. Jusqu’à devenir une référence de l’art britannique dans la première moitié du siècle passé.

Une valse désespérée
C’est la réflexion qu’il a poussé sur le conflit qui a mené la Commission artistique du centenaire de la Première Guerre mondiale – institution britannique regroupant plusieurs acteurs dont 14-18 NOW – a en faire l’élément d’une commémoration. Et c’est presque logiquement que l’on a appelé pour cette exploration l’un des plus incroyables illustrateurs contemporains, Dave McKean.

Dave McKean met en jeu toute son audace, toutes ses techniques, changeant d’angles à chaque moment, proche parfois de certaines œuvres d’Otto Dix ou de Georges Braque.

Touche-à-tout de l’art – de la photographie à la peinture, de la réalisation à la musique –, ce dernier a aussi bien travaillé sur le design de deux films d’Harry Potter que dessiné des centaines de couvertures d’albums musicaux ou de comics (notamment du groupe Dream Theater, ainsi que celles des 75 numéros de la série Sandman), créé une comédie musicale cinématographique (9 Lives)… Il joue du piano, chante, est directeur artistique pour un restaurant trois étoiles et, accessoirement, l’un des plus grands créateurs de bandes dessinées de ces trois dernières décennies (Cages, Arkham Asylum, Signal to Noise…). Bref, une référence bardée de récompenses internationales, l’homme qu’il fallait pour donner une vision d’artiste à 
la vie de l’un de ses sembla
bles, pour entrer dans son intimité.

Dave McKean a composé Black Dog comme une valse désespérée, s’agrippant à son partenaire qui cherche à lui échapper, tournoyant alternativement de la jeunesse aux années de guerre, la Première, matrice originelle, mère des traumas et passeuse de larmes. Il met en jeu toute son audace, toutes ses techniques, changeant d’angles à chaque moment, proche parfois de certaines œuvres d’Otto Dix ou de Georges Braque, allant même jusqu’à une abstraction expressive.

Audace à chaque page
Avec toujours, comme fil traversant, un immense et terrifiant chien noir qui apparaît dans les premiers rêves de Paul Nash et que ce dernier va apprendre à accepter. Il revêtira différents costumes, selon les rêves, selon les sentiments et les rencontres du peintre, avec son frère aimé, sa mère distante et dépressive, un père peut-être mort…

Black Dog est une œuvre d’exception, de par son sujet et sa réalisation, de par son format également, bien plus grand que la normale. Y entrer demande des efforts, par les va-et-vient entre les périodes, par les ellipses dans un crâne qui se cherche et qui nous perd parfois. Reste que chaque page constitue une audace graphique et c’est bien Dave McKean qui ressort vainqueur de cet affrontement centenaire.

Dave McKean, Black Dog, 
Les rêves de Paul Nash, 
Glénat

 

Posté le par Eric dans BD, Beaux-Arts Déposer votre commentaire

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