Sandman: retour au début de l’infini

Pendant vingt ans, Sandman, le Maître des rêves, s’est reposé sur des lauriers tissés de superlatifs. Son créateur, Neil Gaiman, lui redonne corps pour une dernière histoire qui est aussi sa première.


Par Romain Meyer
Apparu pour la première fois en 1987, Sandman s’est rapidement révélé comme un ovni dans la bande dessinée américaine. Ce «Marchand de sable» multiplie dès le début les audaces et les paradoxes assumés: une série «intellectuelle» implantée dans une production populaire qu’elle prend à rebours; une mise en scène d’antagonismes sociaux et psychologiques sans manichéisme; un personnage principal à la puissance infinie qui joue pourtant les antihéros torturés; des histoires multiples se lovant dans les plis du temps, sans points communs apparents autres que celui de former un panorama unique… Les récompenses et les prix divers et prestigieux se sont accumulés au fil des ans: Eisner, Hugo, Bram Stocker, World Fantasy, et bien sûr Angoulême. La série s’est terminée en 1996. Fin du Rêve.

L’état des âmes
Neil Gaiman, son créateur, a, depuis, multiplié les réalisations, écrit une dizaine de romans (Neverwhere, Coraline, La vie de Nobody Owens, American Gods…) et des scénarios. En suspens donc les sept Infinis, ces êtres au-delà des dieux, qui existent dans tous les mondes, à toutes les époques, et assurent la stabilité de l’univers même. Rêve, Destruction, Destin, Délire, Désir, Désespoir et Mort constituent une famille dysfonctionnelle cosmique et accueillent chaque jour, chaque nuit, dans leur royaume respectif, les âmes de n’importe quel être vivant, plante, chat, homme…

Sur 75 numéros (qui ont tous été réédités récemment en sept volumes), le Britannique a partagé quelques instants d’éternité en compagnie de Rêve et des autres, mais surtout avec les créatures qu’ils ont croisées. Car en racontant les immortels, Gaiman parle surtout des hommes. Et d’un dieu qui voulait devenir humain en apprenant la responsabilité, la conséquence des choix et le remords.

Sandman a marqué la dernière étape d’une révolution débutée dans le milieu des années 1980 et qui a chamboulé l’édition de la BD américaine: il est dorénavant possible de faire du comics intelligent, complexe, adulte

Questions existentielles et audace visuelle s’associent dans une quête onirique mêlant humour, profondeur et fantasy gothique. Pour bien marquer le caractère ondoyant de l’univers, chaque récit est dessiné par un artiste différent, comme autant de facettes singulières d’un cadre plus ample.

Mélangeant approche réaliste et mondes imaginaires, Gaiman offre une relecture passionnante et stimulante des légendes et des mythes, des petites histoires significatives et de la grande Histoire disruptive.

La théorie de la révolution
De fait, Sandman a marqué à l’époque la dernière étape d’une révolution débutée dans le milieu des années 1980 et qui a comme conséquence le chamboulement complet de l’édition de la BD américaine: cette grande vague a eu pour nom Alan Moore (Swamp Thing), Frank Miller (The Dark Knight returns), Grant Morrison (Animal Man) ou encore Peter Milligan (Shade the Changing Man). Tous ont démontré qu’il est dorénavant possible de faire du comics intelligent, complexe, adulte.

Une brèche a été ouverte, elle va s’agrandir, sans jamais pourtant retrouver la saveur des premières heures. Nostalgique dans son essence, Sandman – Rêve, Morphée, parmi tous ses noms – a créé chez ses lecteurs ce sentiment d’un temps audacieux, où le changement était effectivement «maintenant». Ce qui vient ensuite n’en constitue que des variations.

Près de trente ans après sa création, voilà donc que ce personnage emblématique revient pour un dernier tour de piste inattendu. Pourtant, le récit ne marque pas la fin, mais bien le début de l’épopée passée, celle qui commença au premier numéro par un Sandman affaibli, capturé par une société secrète. Quand on a comme père Temps et comme mère Nuit, les variations chronologiques ne sont que des hoquets de moustiques.

Suivant la mort d’un de ces avatars, Rêve part à la recherche d’explications, auprès de ses parents et auprès des étoiles réunies en une ville flamboyante, que la folie guette comme un cancer cosmique. Le dessin protéiforme de J. H. Williams III réussit à rendre l’impossible profusion de ces espaces. Mais, alors que l’on attend des réponses pour le futur, Gaiman multiplie les interrogations et pose au final plus de questions qu’il ne donne de réponses. Tant mieux.

L’art de montrer
En parallèle à la parution de ce Sandman Ouverture sort la compilation des couvertures et des travaux réalisés par l’artiste Dave McKean autour de la série. Dans cet énorme volume, on retrouve tout ce qui a fait la renommée de l’illustrateur de Violent Cases (avec le même Neil Gaiman) et de l’indispensable Arkham Azylum (avec Grant Morrison): un style très personnel fait de photo, de collage, de dessin, de peinture, de sculpture (plâtre, papier, bronze…), d’objets divers, de travail à l’ordinateur, etc.

Chaque image est un mariage d’émotions, chaque composition un carrefour, un panorama de l’enfer et du paradis. Un ouvrage important pour comprendre l’expérience Sandman, commenté par les deux auteurs. Une pièce du puzzle qui n’est pas forcément nécessaire pour voir l’ensemble du tableau. Donc totalement indispensable.

Neil Gaiman et J. H. Williams III, 
Sandman Ouverture, Urban Comics.
Dave McKean, Les couvertures 
Sandman, Urban Comics
  

Posté le par Eric dans BD Déposer votre commentaire

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