Et vous, c’est quoi votre plus belle chanson du monde?

Eric Bulliard et Michaël Perruchoud font passer leur projet du blog au livre. Je ne laisserai jamais dire que ce n’est pas la plus belle chanson du monde… réunit huitante chroniques écrites par une cinquantaine d’auteurs. Chacun défend son morceau et parfois même plusieurs. A cœur ouvert, entre confidences et cris de rage.

E.Bulliard, M. Perruchoud, ©R.Gapany

E.Bulliard, M. Perruchoud, ©R.Gapany

par Yann Guerchanik

On y croise Bob Dylan et Gérard Manset. Renaud, Mano Solo et Thiéfaine qui se tirent la bourre. Il y a Brassens, Brel et Ferré. AC/DC qui rivalise avec Public Enemy. Neil Young est là, tout comme Barbara, Gainsbourg et Meshuggah. Des grands et des peu connus. Huitante chansons, plus belles les unes que les autres. Ils sont cinquante à le clamer: Je ne laisserai jamais dire que ce n’est pas la plus belle chanson du monde… Des écrivains, des musiciens ou quiconque en a envie. Deux conditions seulement: «être totalement sincère et d’une mauvaise foi parfaite.»

Auteur genevois installé à Fribourg, Michaël Perruchoud s’est allié au journaliste à La Gruyère Eric Bulliard. Ensemble, ils ont ouvert un blog (www.cousumouche.com) dont ils viennent de tirer un livre en collaboration avec l’Association La Teuf. Huitante chroniques y sont réunies. Une plongée dans la musique, mais surtout dans l’intimité. Huitante chansons, comme des bandes originales de l’existence. Interview.

Le blog est né à la suite d’une discussion alors que vous buviez une bière en attendant l’apéro. Ça donnait quoi cette discussion?
Michaël Perruchoud: On s’était lancé dans une joute amicale pour savoir quelle était la plus belle chanson du monde. Après quoi, on ne pouvait plus s’écrire sans s’envoyer un lien youtube. On s’est d’abord caressé dans le sens du poil: Léonard Cohen, Gérard Manset… Et puis, on a osé davantage. Eric a hurlé quand je lui ai balancé un Cure! Au départ, le but était aussi de trouver la chanson que l’autre ne connaissait pas. Je me souviens lui avoir envoyé un titre des Montain Goats, un truc bizarre.

Eric Bulliard: Et moi, du Pino Daniele, du Vasco Rossi. Mais la discussion initiale portait sur ce qu’était une chanson selon nous. Puis, sur ce qu’était une belle chanson. Et pour finir, sur quelle était la plus belle chanson du monde. Je me rappelle être parti alors avec Manu de Renaud. On a commencé à s’échanger des textes et puis c’est devenu un blog ouvert à tout le monde. Le blog permet de donner à écouter la chanson sous le texte.

En passant au livre, n’y a-t-il pas une certaine perte?
M.P.: C’est clairement un livre qui peut se lire en écoutant les chansons. Au départ, on a pensé à une chaîne youtube qui permettrait de cliquer au fil de l’ouvrage. Puis, on s’est dit que les gens pouvaient se débrouiller tout seul. La question était surtout de savoir si on avait le contenu pour faire un livre. On ne voulait pas faire un petit opuscule de 80 pages.

E.B.: L’idée du livre est même née avant celle du blog. Ce dernier a pris forme en premier parce que c’est plus simple et plus rapide. Personnellement, je trouve que parler d’une chanson sans avoir la possibilité de la faire écouter est un exercice intéressant. Il y a un côté description. C’est sympa d’essayer de faire vivre la chanson autrement. Le livre comporte plusieurs clins d’œil à la façon dont on écoutait la musique.

C’était mieux avant?
M.P.: Peut-être qu’il y a un petit manque de charme aujourd’hui. La bande marron qui se coinçait dans l’appareil au moment où tu voulais faire écouter ta cassette, ça avait une certaine gueule! Tout comme le slow en appuyant sur play ou le play record avec les deux doigts pour enregistrer la radio… les trois minutes cinquante parfaites et juste à la fin la voix de l’animateur! Il y avait un risque et ça avait une certaine classe.

E.B.: En même temps, l’accès direct à toutes les chansons représente un sacré avantage. Par ailleurs, la notion d’album – concevoir un disque avec un début et une fin – est en train de disparaître. Or, les chansons prennent souvent leur force et leur sens dans l’ensemble que constitue l’album.

jenelaisserai

C’est comment quelqu’un de totalement sincère et d’une mauvaise foi parfaite?
M.P.: Il est complètement sincère parce que son amour est total. Et d’une mauvaise foi parfaite parce qu’il est capable de détourner tous les arguments pour avoir raison… Si quelqu’un essayait de m’expliquer maintenant qu’Ingemar Stenmark n’est pas le plus grand skieur de l’histoire, je serais encore là ce soir pour lui dire que son Pirmin Zurbriggen il peut se le carrer au fion sévère!

E.B.: Une des rares conditions était en effet la sincérité. On n’avait pas envie que des gens défendent juste pour la rigolade des chansons complètement pourries. Ça peut être marrant de prétendre que La bonne du curé d’Annie Cordy est la plus belle chanson du monde. Mais bon…

M.P.: … tu tombes vite dans le cynisme à la mode. Très deuxième degré: je suis assez intelligent pour dire que j’aime tout en faisant comprendre que je n’aime pas et que je méprise ceux qui écoutent. On ne voulait pas de cet esprit suintant dans le livre. Alors certes, il y a un texte sur Pandi Panda de Chantal Goya, mais l’histoire qu’il raconte justifie totalement le choix de la chanson.

L’expression du «je» est frappante. On est plus proche de l’anecdote personnelle que du commentaire composé…
E.B.: Je ne m’attendais pas à autant de nostalgie, autant d’intimité de la part des gens. Cela dénote le rapport particulier qu’on peut entretenir avec la chanson.

M.P.: Les soignants qui s’occupent de patients en phase terminale d’Alzheimer témoignent d’un fait intéressant: les gens qui oublient tout, jusqu’à ne plus reconnaître leurs enfants, jusqu’à ne plus savoir parler leur langue, se souviennent de certaines chansons. Généralement, des chansons d’enfance. Il semblerait que cela nous marque très profondément. Donc, si tu laisses sortir, c’est naturellement intime.

E.B.: Cela va parfois très loin. La Fée de Nicolas Fraissinet a donné lieu à un superbe texte sur l’anorexie. Il faut que je m’en aille de Graeme Allwright en a inspiré un qui parle d’une maman alcoolique. Les jours meilleurs de Maxime Le Forestier, un autre sur la mort d’une mère. Les gens se sont lâchés et je trouve ça super touchant.

M.P.: Après, tu as des gens qui parviennent à faire les deux. Le texte sur Smells like teen spirit de Nirvana est en cela exemplaire. On entend la chanson et on est parfaitement dans la vie de celui qui en parle.

E.B.: Et puis, la musique marque notre jeunesse. Quand vous êtes ado, il y a des chansons qui vous changent la vie. Pas sûr que ça peut encore vous arriver plus tard…

Je ne laisserai jamais dire que ce n’est pas la plus belle chanson du monde…
Editions Cousu Mouche, 260 pages

Du tac au tac

Quelle chanson choisiriez-vous pour définir Eric Bulliard/Michaël Perruchoud?
E.B.: Je ne sais pas si j’ose… La bière de Jacques Brel.

M.P.: C’est salaud! …moi je vois bien Siffler sur la colline de Joe Dassin. Eric, quelque part, c’est l’anti Joe Dassin. Et pourtant, je suis sûr qu’il ne le déteste pas…

E.B.: On en a jamais parlé, mais en fait j’aime bien Joe Dassin!

M.P.: Si vous voulez expliquer ce qu’est de la bonne variété, vous écoutez un Joe Dassin et un Claude François. Si vous comprenez la différence on peut parler, sinon…

La chanson que vous fredonnez en cachette?
E.B.: Siffler sur la colline pour le coup!

M.P.: Il m’arrive de chanter La maladie d’amour à mes filles pour les endormir.

Celle que vous auriez aimé écrire pour une personne chère?
M.P.: Eric, tu aurais aimé écrire Mon papa, non?

E.B.: Ouais, c’est vrai (n.d.l.r.: la chanson de Sarcloret est présente dans le livre).

M.P.: Futura de Lucio Dalla, pour faire plaisir à…

La chanson la plus laide du monde?
E.B.: Y’en a tellement! Mais je dirais Papaoutai de Stromae.

M.P.: T’as le truc moche et con, mais ce n’est pas grave. Après tu as le truc moche et prétentiard… Je dirais pour ma part We are the champions de Queen. Ça, c’est un truc… t’as pas le droit de faire ça!

Votre dernière chanson coup de cœur?
E.B.: Sur le dernier Dominique A, la chanson Eléor, qui donne son titre à l’album, est extraordinaire.

M.P.: Ça commence à dater un petit peu: Le sourire de Stéphane Eicher. Un tube, mais c’est superbeau.

 

 

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