Michaël Perruchoud, avec l’écriture au cœur

Genevois installé à Fribourg, Michaël Perruchoud multiplie les activités. Cet écrivain, éditeur et chanteur est aussi un passionné de sport, incollable sur le Tour de France, admirateur des flibustiers géniaux. Rencontre.

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Par Eric Bulliard
On a commandé deux bières. Comme d’habitude. Comme la première fois, il y a dix ans déjà, alors que Michaël Perruchoud sortait Le martyr du pape Kevin. C’était son cinquième roman, il habitait Genève et avait fait le déplacement de Fribourg. On avait rigolé, repris deux bières, parlé littérature puis, très vite, chanson française, cyclisme, foot. L’essentiel, quoi.

Une décennie et cinq romans plus tard, Michaël Perruchoud a 40 ans et vit à Fribourg, avec sa compagne et leurs deux filles. De Genève, il a conservé des liens amicaux, familiaux et professionnels pour son emploi à temps partiel aux Services industriels. Il a gardé l’accent, aussi.

Un personnage, ce Michaël. Attachant, déroutant. Il est écrivain, éditeur, chanteur, chroniqueur sportif (notamment dans ces colonnes)… Il avoue une tendresse aussi bien pour Nino Ferrer que pour Bourvil, connaît par cœur Hubert-Félix Thiéfaine comme Bob Dylan, s’enthousiasme pour Tristan Egolf et Boris Vian comme pour Gino Bartali et Ingemar Stenmark.

Les études de lettres me font peur. Lire Rimbaud avec une explication de textes et un petit crayon, c’est la pire des façons, non?

Du coup, le voilà invité aussi bien aux Francomanias de Bulle qu’au Salon du livre de Genève. Avec Le garçon qui ne voulait pas sortir du bain, il se retrouve en lice pour le prix Lilau, qui sera décerné en mars au meilleur polar romand. Et Imposteurs, de son groupe Ostap Bender (lire ci-dessous), a été album de la semaine sur Option Musique. Hyperactif? Voix grave et sourire espiègle, il a presque l’air de s’en excuser: «Chaque fois que je suis prêt à lâcher un truc, il commence à marcher… Mais le cœur, ça reste les écrits.»michaelbanc

De Jojo Lapin à sciences po
L’écriture, ces temps, c’est la sortie d’un dixième roman, La guérite, qui suit de près son premier recueil de poèmes et de textes de chansons, Monde décomposé refuse qu’on dépoussière (L’Age d’homme). Pas de la poésie bien coiffée, manucurée, mais une centaine de textes brefs, qui claquent et frappent sec. «Les textes les plus anciens ont dix ans. Il y a aussi quelques chansons d’Ostap Bender et un tiers de nouveautés.» mondedecompose_couv-1-z

Ses premiers contacts avec l’écrit, Michaël Perruchoud les fait remonter aux vacances au chalet de ses parents. «Je me souviens d’après-midi avec ma mère et mon frère à lire Nounours au pôle nord. Après, j’ai attaqué Jojo Lapin… Un jour, mon père a ramené des romans paysans des années 1920. Très utiles pour découvrir comment sont faits les scénarios.» A Genève, l’envie de «faire des trucs avec les copains» l’amène ensuite à l’écriture de pièces de théâtre. Avant de trouver «plus sympa d’écrire seul». Son premier roman, Crécelle et ses brigands, paraît en 1998, à 24 ans.

Michaël Perruchoud ne suit pas la voie toute tracée du passionné de littérature. «Les études de lettres me font peur. Lire Rimbaud avec une explication de textes et un petit crayon, c’est la pire des façons, non?» Va pour l’école de commerce, puis sciences po. «Par amour de l’histoire. Mais j’avais remarqué que c’était la seule licence qui n’obligeait pas d’écrire un mémoire. Ce qui laissait du temps pour écrire pour moi. Tu vois le sérieux…»

Brasser les genres
Du coup, Michaël Perruchoud fait fi de toute théorie littéraire. Il écrit juste et fort, au plus près de l’os, brasse les genres avec une touche de dérision. La guérite (Faim de siècle) part d’une idée simple: se placer dans la tête d’une sentinelle, immobile devant un palais présidentiel, indifférent aux badauds. Dans son monologue intérieur défilent les idées, souvent salaces, qui aident à passer le temps et dressent un portrait finalement touchant de ce soldat ordinaire.guérite

Le prochain? Dans ses tiroirs, il a deux romans achevés, un pavé de plus de 1000 pages, qui lui a pris huit ans, situé dans l’Asie centrale du XIXe siècle («un eastern-spaghetti!») et un «road-movie quasi immobile», à la Valascia, la patinoire d’Ambri-Piotta chère à son cœur. «Après, j’aimerais bien m’attaquer à un gros roman familial. Un truc dans une ferme, avec des liens de sang pervertis…»

Très vite, la conversation revient au sport. Un intérêt hérité de son père: «A la maison, le dimanche, on ne regardait pas la messe à la télé, mais la descente de Kitzbuehl était sacrée!» Au ski s’ajoute le cyclisme: incollable dans le domaine, il lui a consacré un livre, Bartali sans ses clopes (2008). Aujourd’hui, il retient les numéros de téléphone en remplaçant les chiffres par le vainqueur du Tour de France de cette année-là. Simple, non?

Garrincha plutôt que Pelé
Pas question, là encore, d’intellectualiser le sport. Il est affaire d’émotions pures, d’exploits et de coups bas. Un peu de nostalgie, aussi: «On a connu la dernière époque des sportifs rigolos… On avait Freddy Maertens et Petar Popangelov! Aujourd’hui, tu as un conseiller en communication derrière chaque sportif d’élite.» A choisir, Michaël Perruchoud préférera toujours les flibustiers géniaux. Garrincha plutôt que Pelé, George Best plutôt que Lionel Messi.

Le temps a passé, on a parlé littérature, chanson française, cyclisme, foot. Comme d’habitude. Pas assez de son goût pour les voyages. La prochaine fois, peut-être. On commandera deux bières.

Michaël Perruchoud, La guérite, Faim de siècle et Monde décomposé refuse qu’on dépoussière, L’Age d’homme

 

Dans l’engrenage de l’édition

En 2002, avec Sébastien G. Couture et Olivier Humbel, Michaël Perruchoud lançait Cousu Mouche. Une plate-forme internet dédiée à la création artistique (www.cousumouche.com) devenue maison d’édition, forte d’une trentaine de titres.

«J’ai été pris dans l’engrenage de l’édition, raconte Michaël Perruchoud. Je suis fier de ce qu’on a réalisé. Je ne sais pas si on a la meilleure collection de livres, mais on a les auteurs les plus cools.» Deux nouveaux romans sont lancés ces jours, Mendiant 3458, de Mark Levental et La porte, de Fred Bocquet. Sur Cousu Mouche, Michaël Perruchoud s’est aussi mué en scénariste de BD, à travers les strips de Bébert au bistrot, dessinés par Sébastien G. Couture. Avec ce Québécois installé à Genève, chanteur et guitariste, ils ont encore créé le duo d’Extrêmes suisses. Soit Marcel et Rolf qui commentent régulièrement l’actualité nationale en chanson, sur le site de Cousu Mouche et en concerts, sous forme de «conférences patriotiques».

Du bar à la scène
C’est également par Sébastien G. Couture qu’il vient à la chanson. «J’ai commencé à lui écrire des paroles, mais ça ne collait pas vraiment.» Reste cette envie de manier les mots, de les faire sonner, alors que le roman ressemble plus à «un bel artisanat: tu prends ta lime, ton marteau et tu construis ton histoire».
«Vachement mieux au bar»
En 2007, le groupe Ostap Bender se monte autour de ses textes et Michaël Perruchoud en devient la voix, profonde. Le groupe a sorti son deuxième album et sa prochaine date est annoncée au Nouveau Monde, le 14 février. Une belle aventure, qui, comme l’édition, l’a emporté sans qu’il l’ait cherché: «Comme j’ai toujours eu envie d’écrire, il y avait quelque chose de naturel à voir un jour un de mes bouquins dans une librairie. Mais monter sur scène, pas du tout… Au fond, je suis vachement mieux au bar!»

 

Pour en dire plus long
Le juke-box
michaeljukebox«La musique dématérialisée, quelle horreur! Je voudrais me faire ma sélection idéale de 45 tours. Encore faudrait-il que j’aie le temps de traîner aux puces… Mais je suis assez heureux que mes filles puissent taper sur des petits boutons et entendre le bruit d’un vinyle.»
La mappemondemichaelmappemonde
«Des heures passées à rêver, sur l’atlas ou devant cette boule lumineuse qui me servait aussi de lampe de chevet. Rêver devant le nom d’une ville ou d’une région, la convoiter dans son doux pyjama helvète et puis y aller un jour en faisant tourner la grosse boule et en posant l’index au hasard… Quel terrain de jeu pour l’imaginaire!»

Les boulons
«Hong-Kong, 1996. Je me moquais de la collectionnite aiguë d’un compère de voyage: “Tes collections, c’est aussi stupide que si je ramenais, ben tiens, ce boulon-là par terre….” Seulement, j’ai ramené le boulon-là, par terre. Puis d’autres. Je les ai collés sur la carte de l’Europe et la carte du monde de mon salon. Car on en trouve partout, des boulons. Il y en a près de deux cents, aujourd’hui, qui me narguent… Et une seule ville où je me suis arrêté sans en trouver: Odessa.»

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