Valérie Poirier: des pingouins au service du tragique

Valérie Poirier publie six pièces, chez Bernard Campiche Editeur, après avoir reçu le Prix suisse de théâtre 2017. Interview en toute franchise autour de son travail sur l’exil, le manque 
et l’humour.

© Augustin Rebetez

Par Laurence de Coulon

La filiation est au cœur de sa vie et de son œuvre. Valérie Poirier revient tout juste d’Inde, où son fils adoptif de 
17 ans a redécouvert son pays d’origine. Née à Rouen, installée à Genève, elle a grandi en Suisse romande et rencontré son père algérien sur le tard. Dans ses pièces, écrites entre 2004 et 2014 – et créées dans différents théâtre de Genève, dont la Comédie – elle triture le thème de l’exil, de la maternité et de la transmission avec une langue précise, vivante, inventive et drôle.

Dans Les bouches, trois femmes attendent l’événement qui les sortira de l’isolation mortifère. Palavie raconte cette mère et son fils qui ont quitté l’Algérie à cause de la guerre, Loin du bal voit un vieil homme mentir et s’inventer un fils, et Un conte cruel dévoile comment la violence conjugale avait commencé comme un conte. Toutes ces pièces comportent leur part d’humour absurde, de merveilleux ou de poétique, que ce soit avec le passage de pingouins ahuris, un singe bavard, ou l’apparition d’une Blanche-Neige déplacée. Rencontre à quelques semaines de la création de sa nouvelle pièce, Quelqu’un d’autre, au Théâtre Le Crève-Cœur, à Cologny/Genève (du 6 mars au 1er avril, www.lecrevecoeur.ch).

Malgré leur sujet grave, vos pièces sont pleines d’humour…
C’est le tragicomique. Comment s’emparer d’un sujet plutôt dramatique ou tragique et le traiter, pas forcément avec légèreté, mais avec humour. Et pourquoi avec humour? Parce que c’est ce qui nous réconcilie avec la vie. C’est une façon d’être du côté de la vie malgré son âpreté. Une façon de prendre de la distance avec les choses, certainement pour se protéger.

©Olivier Carrel

Il y a deux thèmes qui 
traversent toutes vos pièces: 
l’absence du père et l’Algérie…
L’absence du père, c’est vite vu: j’ai un père que je connais, mais que j’ai rencontré très tard dans ma vie. Il y a peu à dire là-dessus. C’est une donnée avec laquelle j’ai grandi, qui a constitué mon enfance. C’est un grand sujet, un manque, comme on peut l’imaginer. Je pense que derrière chaque auteur, chaque comédien, chaque artiste, chaque être humain pourrait-on dire, il y a ce désir, non pas de pallier le manque, mais de le magnifier, de le transcender. Et de réécrire l’histoire, encore et encore, pour pouvoir la digérer, la comprendre et aussi la partager. C’est très important.

Après Palavie, par exemple, j’ai reçu en retour des témoignages de gens qui n’avaient pas ma trajectoire, mais qui avaient vécu l’exil – ou leurs parents. Je me suis rendu compte que l’exil est au cœur de beaucoup de familles. Quand on arrive à toucher autrui à travers sa propre histoire, on n’est plus dans la simple demande d’amour ou la psychothérapie, on a dépassé sa petite histoire.

Dans Palavie, je parle de gens tout simples, qui ont vécu un double exil, qui ont quitté ce qui était devenu leur terre, sont revenus, et ont été pour la plupart très mal accueillis. C’est intéressant de passer par des gens qui n’ont pas tellement réussi à replanter leurs racines pour parler de l’exil.

Et votre rapport à l’Algérie?
Mon père est algérien. Je connais ce pays, mais depuis peu, de façon superficielle. Je n’ai pas grandi avec quelqu’un de culture arabe, ça reste une énigme, un pays un peu fantasmatique. Pour Palavie, il s’agissait de faire d’une pierre deux coups, à partir de thématiques qui m’intéressaient, la maternité et l’exil. Et j’avais envie d’explorer l’histoire des pieds-noirs.

Mon père ayant fait partie du FLN, je me suis intéressée au combat pour l’indépendance de l’Algérie de façon un peu univoque. Mais, dans Palavie, je parle de gens tout simples, qui ont vécu un double exil, qui ont quitté ce qui était devenu leur terre, sont revenus, et ont été pour la plupart très mal accueillis. C’est intéressant de passer par des gens qui n’ont pas tellement réussi à replanter leurs racines pour parler de l’exil.

Ces pièces sont toutes nées d’une commande. Comment 
cela se passe-t-il?
De façon très différente d’une fois à l’autre. Les contraintes pour Palavie, par exemple, étaient très souples. Je devais m’inspirer de ce que les comédiens me racontaient de leur vie. Mais on capte ce qu’on capte. Finalement, c’est moi qui ai choisi les thèmes qui reliaient tous ces gens différents. Pour Les bouches, la seule contrainte était d’écrire pour des comédiennes. C’était une commande uniquement parce qu’il y avait une rémunération et un délai, finalement.

Pour Un conte cruel, par contre, il y avait un sujet imposé. Mais c’est intéressant. Je n’aurais jamais parlé de la violence conjugale autrement. Il faut trouver des stratégies pour s’emparer du sujet et le faire sien. Ça a été difficile de trouver par quel angle j’allais aborder ce thème-là. Il y a tellement d’impasses et d’écueils. J’ai travaillé avec Martine Paschoud qui était mandatée par la Comédie de Genève pour faire la mise en scène. Elle avait des idées plus militantes, et ça m’a permis de me positionner, d’affirmer ce que je voulais faire. Elle a eu la souplesse de me suivre où je voulais aller.

Quel effet cela vous a-t-il fait 
de recevoir le Prix suisse 
du Théâtre en 2017?
Un énorme effet! J’ai dansé pendant des mois dans ma cuisine! C’est une belle récompense, qui arrive à un moment génial. A l’âge que j’ai, comme j’écris depuis longtemps, un prix ne récompense pas un succès soudain, mais beaucoup de travail.

Valérie Poirier, Palavie et autres pièces, Bernard Campiche Editeur, 520 pages

Posté le par Eric dans Littérature, Livres, Théâtre Déposer votre commentaire

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