Nancy Huston: pour retrouver rites et rituels

Triple actualité pour Nancy Huston: l’auteure d’origine 
canadienne, qui vit entre Paris et le canton de Fribourg, publie un roman en collection de poche, ainsi qu’un recueil de nouvelles et un livre-CD. Rencontre.

Par Laurence de Coulon

Nancy Huston publie trois livres cet automne. Entre rites laïques, langue maternelle, imaginaire et exploitation inhumaine, il y a matière à réflexion et émotion. Le premier est l’histoire d’un serial killer sur fond d’exploitation des sables bitumineux, un roman passionnant sur un désastre écologique et humain au Canada. 
Le club des miracles relatifs est sorti l’année dernière et publié aujourd’hui en format poche.

Le deuxième est un recueil de nouvelles écrites entre 1975 et 1997. Dans Sensations fortes, une petite fille et son grand frère planifient une fugue pour retrouver leur mère, une femme se métamorphose en arbre et une autre rêve les tragédies d’une jeune inconnue à la beauté presque douloureuse.

Le troisième livre est un objet non identifié, une proposition de textes laïques à lire ou à penser aux tournants d’une vie humaine. Passionnants, rassurants ou dérangeants, ils tentent de dire ce que notre société essaie de nier, la douleur de la naissance, la différence sexuelle, le tabou de la mort. Un CD avec la voix de Nancy Huston et la musique de Quentin Sirjacq les accompagne. Bref, l’auteure d’origine canadienne qui vit entre Paris et le canton de Fribourg (d’où vient son compagnon, le peintre Guy Oberson) ne cesse de nourrir notre besoin de fiction et de spiritualité.

Pour qui avez-vous écrit Anima laïque?
Le livre est pour tous ceux qui se sont éloignés de la pratique religieuse de leur enfance, mais qui souhaitent sacraliser certains moments de la vie par des rituels, et dire que ce moment n’est pas n’importe quel moment. On est très démunis par le manque de textes et de musiques laïques, notamment aux funérailles ou même aux mariages, aux naissances, si on veut se séparer du banal et de l’administratif, et prendre le temps de souligner ces passages. Je pense que nous sommes nombreux dans cette situation.

Comment avez-vous rencontré Quentin Sirjacq?
Nous nous sommes rencontrés parce que nous étions proches du même réalisateur de France Culture, qui est décédé il y a presque trois ans maintenant. Nous avons fait une cérémonie à la radio, Quentin a joué le morceau Partir, et j’ai été très émue par 
la simplicité solaire de ce morceau. J’avais écrit un poème dans le même esprit. Une amie réalisatrice a trouvé ces hommages très beaux et, à partir de ces éléments, nous avons créé la pièce radiophonique Anima laïque. En un sens, ce livre est pour ce réalisateur, nous aurions pu le lui dédicacer.

On vit dans une époque où il y a beaucoup de confusion. Les gens ne savent pas à quoi s’accrocher. Ça me fait plaisir si un morceau peut être utile à quelqu’un.

Ces textes sont-ils aussi nés d’une 
volonté d’aider les autres?
On vit dans une époque où il y a beaucoup de confusion. Les gens ne savent pas à quoi s’accrocher. Ça me fait plaisir si un morceau peut être utile à quelqu’un. La fille de Françoise Nyssen (n.d.l.r.: ministre de la Culture, ex-directrice des Editions Actes Sud) a utilisé une partie de S’unir pour son mariage, et mon attachée de presse a prêté une attention toute particulière à Fêter l’âge nubile parce que sa fille approche de la puberté.

On peut être dans le désarroi aujourd’hui. On a fait table rase avec la religion et, souvent, quand on jette l’eau du bain, on jette le bébé avec. C’est le cas des rituels qui entouraient la puberté. De nos jours, on passe la différence sexuelle sous silence, mais elle ne se laisse pas nier et explose sous la forme de harcèlement sexuel, par exemple. J’aimerais bien croire que ces textes sont une aide.

Il y a aussi une grande exigence dans Anima laïque
Pour les textes autour de la naissance, il ne s’agit évidemment pas de les dire pendant qu’on a un bébé, mais les avoir en tête peut aider à ne pas perdre pied. Mon exigence était de n’être ni doctrinaire ni féministe. Heureusement, il y a des morceaux plus légers, comme La vie aggravée. J’ai eu l’idée de fêter cette phase nouvelle de la vie humaine où on en a fini avec la paternité et la maternité, et qui est pour moi, contre toute attente, une période très belle. Pour cette phase, Quentin a écrit une musique très légère et très ludique.

Les textes d’Anima laïque sont 
suivis par A la recherche d’une 
spiritualité laïque, où vous partagez notamment des observations de voyage. Vous racontez que depuis 
que sont exploités les sables bitumineux autour de Fort McMurray, 
plusieurs centaines de femmes 
ont été assassinées. Est-ce que 
le personnage de serial killer 
du Club des miracles relatifs vient 
de ce constat?
Je connaissais ces chiffres avant mon voyage. Mais je dirais que ce n’est pas ça qui a déterminé le fait que Varian est un serial killer. Pour moi, c’était la seule chose qui pouvait être cohérente avec ce personnage. Je ne voulais pas que ce soit un écolo se battant contre les compagnies pétrolières. Ça aurait été très moral, et à mon sens, le roman aurait été raté. Je voulais explorer deux formes de mal. Le comportement de Varian peut être compréhensible même si on peut être effrayé par ses gestes, alors que les compagnies pétrolières agissent en toute impunité comme des criminelles, sans réfléchir. C’est plus grave et plus inhumain.

En ce qui concerne vos nouvelles 
Sensations fortes, quel est leur point commun?
Leur auteur. Avec mes livres, j’adore expérimenter des styles différents. Dans Les variations Goldberg, je dis 
«je» avec 30 voix différentes. Je n’ai pas écrit énormément de nouvelles. Et c’est un projet que j’avais depuis longtemps avec Hubert Nyssen (n.d.l.r.: fondateur d’Actes Sud, disparu en 2011), de les réunir dans un recueil. Ça ne s’est pas fait avant, parce que nous nous sommes occupés d’autres choses. Mais, maintenant, je suis grand-mère depuis deux mois, je passe à la vieillesse, et j’ai eu envie de faire le bilan de la jeunesse. Et j’aimais beaucoup certaines de ces nouvelles, qui n’étaient plus disponibles.

Nancy Huston, 
Le club des miracles relatifs, 
Actes Sud /Babel, 304 pages; 
Sensations fortes, 
Actes Sud / Essences, 96 pages; 
Anima laïque, musique de Quentin Sirjacq, Actes Sud, 84 pages

Posté le par Eric dans Littérature, Livres Déposer votre commentaire

Ajouter un commentaire