Théâtre des Osses: les larmes aux yeux pour un dernier «merci»

Les fondatrices Gisèle Sallin et Véronique Mermoud quittent les Osses sur un hommage au théâtre. Emotion.

Osses

© Isabelle Daccord

par Eric Bulliard

Et, pour finir, cette ovation, longue, poignante. Une salle debout, des larmes et des cris, comme un immense merci pour ce parcours qui s’achève. Il régnait un parfum particulier, dimanche, à la première de Rideau! (lire ici un reportage sur les répétitions) Une drôle d’atmosphère où se confondaient le plaisir de découvrir la nouvelle pièce des fondatrices du Théâtre des Osses et l’émotion de savoir qu’il s’agit de leur dernière à Givisiez.

Tout est là. A chacun de prendre selon sa propre histoire et son parcours en compagnie des Osses. Gisèle Sallin, auteure et metteure en scène de ce Rideau! y a mis son cœur et ses tripes, ses rêves et ses colères passionnées (lire ici son interview). Autant dire que la pièce ne se raconte pas. Et que les considérations critiques habituelles paraissent inutiles. Se demander si certaines scènes sont trop longues ou au contraire pas assez appuyées paraîtrait ici incongru.

Disons qu’il y a là trente-cinq ans de travail au service du théâtre et un hommage à cet art millénaire à travers les genres et les époques. La comédie succède à la tragédie, les monologues aux chœurs, on parle écologie, révolution brechtienne et sexe des anges.

Un monde disparaît
Au cours de ce voyage, le spectateur croise quelques auteurs et œuvres qui ont marqué l’histoire des Osses, de Sophocle à Henry Bauchau, de Frank V (Yves Jenny) à Mère Courage, en passant par Allume la rampe Louis! (Anne-Marie Yerly) et Trésor (Anne Jenny), le personnage de la trilogie Euro-, Mondio– et Ecocompatible.

Ossesbis

En chemin arrivent des écrivains qui n’ont pas été montés à Givisiez, mais qui prennent une force symbolique: un monde disparaît avec Tchekhov et sa Cerisaie, alors que l’hilarant extrait de Ce soir on improvise, de Pirandello, prend l’allure d’un vertigineux théâtre dans le théâtre dans le théâtre.

Pour cette dernière, le rideau des Osses est ouvert quand le public entre dans la salle. Sur scène, il y en a un autre, rouge et fermé: le décor de Jean-Claude De Bemels (qui a déjà servi aux Bas-fonds de Gorki et à L’orestie d’Eschyle d’Isabelle Daccord) représente en effet un théâtre, de biais. La répétition peut commencer. La metteure en scène (Raïssa Mariotti) donne ses indications, le rideau s’ouvre… et se coince.

«Le théâtre, voyez-vous, Mesdames et Messieurs, est ce grand atelier dans lequel nous brassons des idées, mâchons des langages et croisons des destins»

Le théâtre et la vie
C’est le début d’un périple au cœur du théâtre, entre sa réalité la plus banale (des acteurs qui discutent d’accessoires ou de fumoir) et sa dimension onirique. «Le théâtre, voyez-vous, Mesdames et Messieurs, est ce grand atelier dans lequel nous brassons des idées, mâchons des langages et croisons des destins», affirme le personnage de la metteure en scène.

De ce magma originel jaillit la création et la vie tout entière. A chaque seconde, ce Rideau! singulier démontre que les deux sont liés, jusqu’au plus profond, au plus intime. La création d’une pièce est une naissance. La vie est théâtre, le théâtre est vie.

Il prend une autre dimension encore avec ce personnage récurrent (interprété avec une douceur infinie par Yann Pugin), fantomatique, à la recherche d’un amour perdu. Qui est-il? Une réalité du passé, un rêve, une allégorie? Peu importe si quelque chose nous échappe. Ou tant mieux: la poésie et l’émotion se nourrissent aussi de ce qui ne peut s’expliquer ni se dire.

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Ancré dans la vie, le théâtre pose un regard sur notre société. Gisèle Sallin a toujours tenu compte de cette dimension: Rideau! contient quelques-unes de ses préoccupations de citoyenne, qu’elles concernent la destruction de la planète ou le rôle des «producteurs» qui ne pensent que «rendement du marché du théâtre».

Force et justesse
L’auteure rend surtout un hommage appuyé aux acteurs, par un monologue magnifique sur ces «spécialistes de l’âme», qui «peignent la vie, sculptent les rêves et orchestrent les émotions». Mais aussi par la partition et les rôles multiples qu’elle offre à chacun. En premier lieu à Véronique Mermoud, qui donne une nouvelle fois (on refuse d’écrire «une dernière fois») la mesure de son immense talent.

Dans la colère et le rire, en Mère Courage (un des rôles phares de sa carrière) comme en vieille dame faussement mourante, la cofondatrice des Osses impressionne par sa justesse et sa force. Jusqu’à cet ultime tableau où, seule sur le plateau, elle lâche à la metteure en scène un bouleversant: «Je sors du théâtre, n’est-ce pas?»

Ne reste alors qu’à tirer le rideau, cette fois-ci dans l’espace normalement dévolu au public. Pour finir avec lui, clore ensemble cette aventure de trente-cinq années. Dieu qu’elles étaient belles.

Givisiez, Théâtre des Osses, jusqu’au 23 mars. Vendredi et samedi, 20 h, dimanche, 17 h. www.theatreosses.ch.

La Tour-de-Trême, salle CO2, vendredi 28 mars, 20 h. www.co2-spectacle.ch

 

véroniquegisèle

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