«Un dealer, un entremetteur»

Figure de la culture fribourgeoise depuis une vingtaine d’années, Sylvain Maradan et ses associés viennent à suivre…

The Young Gods, digitalissimes improvisations

Huit ans après Everybody knows, The Young Gods publient enfin leur nouvel album, Data mirage à suivre…

Joe Bonamassa, esthète et historien de la guitare blues

Joe Bonamassa a déjà publié plus d’une quarantaine d’albums, en solo ou en groupe, en à suivre…

Marc Monteleone, paysages fribourgeois peints à 6000 kilomètres

De retour à la figuration, Marc Monteleone expose au MAHF ses œuvres récentes. Désormais installé à suivre…

Papiers découpés, la modernité ancrée dans la tradition

Le Musée gruérien accueille, pour la quatrième fois, l’exposition de l’Association suisse du papier découpé. à suivre…

Les contes déglingués et fictionnels de Stéphane Lavoué

A la galerie Focale, à Nyon, Stéphane Lavoué expose A terre, une série de portraits, à suivre…

Fuzz et wah-wah d’Hendrix, mais sans les solos

Bientôt vingt ans que les Dead Meadow traînent leurs savates sur la scène underground de à suivre…

Scott Mathew, entre l’ascenseur et la piscine

Il ne faut pas cantonner Scott Matthew à son art consommé de la reprise, fût-elle à suivre…

Corinne Vionnet, dialogue en flux interposé

Au Musée suisse de l’appareil photographique, Corinne Vionnet expose un intrigant dialogue entre le Sacré-Cœur à suivre…

Barbagallo: poésie de la psyché-pop

Il est né à Albi, vit à Toulouse, joue de la batterie pour le groupe à suivre…

Pierre Lemaître: «Son silence pour une pincée de billets»

Comment oublier Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre? La suite, Couleurs de l’incendie, se lit, à suivre…

David Toscana: et si Jésus était une femme?

L’ange Gabriel s’est fourvoyé dans sa mission: au lieu de Jésus, il a fait naître à suivre…

Editors, spleen électrosymphonique et hyperléché

Treize ans après The back room, Editors sort un sixième album à la fois attendu à suivre…

Deux jeunes Bullois au zénith de la photographie suisse

L’exposition du 21e Prix de jeunes talents vfg fait halte à Renens. L’occasion de rencontrer à suivre…

Michaël Perruchoud: tendres portraits de femmes

Michaël Perruchoud côté tendresse. Editeur, chanteur, amoureux du sport (sa chronique «De mauvaise foi» le à suivre…

A.J. Finn: fenêtre sur rue et thriller sur mesure

Avec son premier roman, A. J. Finn a réussi un coup de maître: traduit en à suivre…

Huit ans après Everybody knows, The Young Gods publient enfin leur nouvel album, Data mirage tangram. Avec le retour de son premier «homme-orchestre» Cesare Pizzi, le groupe fribourgo-genevois raconte la composition de cet opus et évoque ses projets à venir.

par Christophe Dutoit

Quelle place le doute et la remise en question ont-ils eu dans la création de Data mirage tangram?

Franz Treichler: Tout s’est enchaîné logiquement. Cometo (Al Comet) ne savait pas trop ce qu’il voulait faire. Cesare nous a rejoints pour jouer sur scène les deux premiers albums. De fil en aiguille, il est resté. Tant qu’on jouait l’ancien répertoire, il n’y avait aucun doute. Durant deux ou trois ans, on ne savait plus trop sur quel pied danser. Dès qu’on s’est dit qu’on allait faire de la nouvelle musique, le doute a disparu.

Comment s’est passé le retour de Cesare Pizzi?

Bernard (Trontin, le batteur) et moi n’avions pas envie de trouver un pro comme troisième membre. Il fallait que ce soit une rencontre. Un truc musical. Quelqu’un avec qui on ait des atomes crochus. Le retour de Cesare a coïncidé avec le vernissage du livre Heute und danach. Il a pu reprendre ses marques en tant que musicien. Il est devenu clair qu’on allait continuer les trois lors de notre résidence au festival de Cully. On repartait vers quelque chose de nouveau, sans gabarits, en incluant les idées de chacun. Durant ces cinq jours de sessions, on ne s’est pas appelé les Young Gods. Pour être libres. Et pour que ça ne soit pas confus dans la tête du public. A partir du moment où le matériel nous a plu, on s’est mis à bosser. On s’en fiche que ça ne soit pas très rock. C’est ce qu’on fait maintenant. C’est une nouvelle histoire.

A un certain moment, n’avez-vous pas eu l’envie de partir dans une carrière en solo?

J’ai fait des trucs en solo, mais pas beaucoup. Parce que c’était avant tout des collaborations, avec des chorégraphes, avec l’image. Je n’ai jamais fait de disque vraiment solo. Car je trouve plus marrant de faire de la musique à trois que tout seul. Au début des Gods, j’étais un peu le seul compositeur. Je suis allé au bout de ma vision. J’ai eu envie d’échanges. Pour me défier, pour ne confronter à d’autres idées. Maintenant, nous sommes dans un processus collectif. C’est un travail d’équipe. Je pourrais toujours faire un disque solo quand il n’y aura plus de groupe… Mais je ne suis pas pressé, je n’ai pas ce besoin-là de m’exprimer. J’aime l’idée qu’on peut aller plus loin ensemble que ce qu’on ferait individuellement.

En quel sens votre rôle est-il différent aujourd’hui de celui aux débuts du groupe?

Cesare Pizzi: En fait, il n’est pas si différent. J’ai toujours eu un fort attrait pour la technologie. Pour créer des processus qui permettent de s’exprimer sur scène à travers la technique. Que ça soit avec la technologie de 2020 ou celle des années 1980, l’exercice est identique. Les outils sont différents, les protocoles ont évolué, mais l’approche est la même. Ce qui a changé, c’est que je n’avais plus rejoué sur scène depuis très longtemps. Je n’ai jamais vraiment lâché la musique en tant qu’intérêt technique, mais jouer avec un groupe est une autre approche. Un séquenceur ou un batteur, ce n’est pas pareil.

Franz Treichler: Par rapport au début, tu amènes des idées musicales, ce qui n’était pas le cas avant. Sur deux titres, les riffs de base viennent de toi. Tu as ramené des thèmes, des sons. A l’époque, tu voulais faire en sorte que ce soit possible de jouer notre musique sur scène, avec ces samplers qui n’en était pas vraiment. Tu ne t’intéressais pas à composer.

Lors de cette résidence à Cully, expliquez-nous votre manière de travailler?

Chacun est venu avec des bouts d’idées: des banques de sons préparés sur nos ordinateurs, des séquences organiques qui évoluent et qui peuvent donner des idées rythmiques. Nos ordinateurs étaient synchronisés au niveau des tempos. Si C’était un gros labo où chacun rebondissait sur l’idée de l’autre. Avant ces quinze sessions d’une heure, on définissait les bases rythmiques, les textes. Comme si on peignait un tableau à trois: on s’accordait pour rester dans les mêmes tons… On a joué certains morceaux huit fois, de manière différente. Après, il y a eu un gros travail d’écoute. On a sélectionné ce qui nous plaisait. Puis, on a ergonomisé tout ce matériel.

Durant ces improvisations, quel était votre rapport au texte?

J’ai toujours un petit carnet avec moi. Parfois, j’écris tous les jours. Quand arrive le moment de chanter, il me sert de référence. Trois mots qui se courent après peuvent donner un titre. Après, je brode autour. C’est ma banque de mots, que j’ai toujours à disposition et que je relisais avant chaque impro. Quand tu joues trois heures par soir, tu entres dans une espèce de transe. Les choses te viennent, car tu es dans une disponibilité créatrice. C’est en direct, le public est là. Mais c’est vrai que je ne voulais pas uniquement chanter. J’avais peur de tourner en rond, de répéter une formule. J’ai pris une guitare, car j’avais envie de dire autre chose que des mots, qui sont plus lourds de sens. J’avais différentes fenêtres.

Peut-être grâce à l’apport de la guitare ou de l’harmonica, vous musique semble tendre vers davantage de simplicité. Elle semble presque liquide…

Notre musique paraît simple, mais elle ne l’est pas vraiment. Sur le premier album, le titre A ciel ouvert n’a qu’un seul son, joué sur quatre clés différentes, mais jamais en même temps. Fait la mouette, c’est cinq sons. Est-ce forcément plus simple. Je ne sais pas. C’est peut-être plus minimal. Le mot liquide est un bon exemple. Une rivière peut paraître simple, elle n’est jamais identique, il y a une vie en dessous. Ces morceaux sont très liquides, c’est vrai. Moi, je la compare souvent à la forêt, parce que c’est une grosse influence pour moi. Entre en matière, c’est comme le survol de la canopée. C’est insectoïdes. C’est vrai que la voix, la guitare, donne un côté très simple. C’est une question d’équilibre.

Dans les années 1980, l’usage du sampling et des échantillonneurs étaient très novateur. Aujourd’hui, ces techniques sont à la portée de tous. En quoi avez-vous eu envie de faire autrement?

On a toujours eu envie d’essayer autre chose. Il y a quand même beaucoup de samplings sur cet album, Mais il s’agit davantage de textures qui évoluent dans le temps. La technologie a évolué. A l’époque, con utilisait des petits bouts de son, parce qu’on était limité à deux secondes. Le collage était plus restreint. Mais il y avait cet élément de surprise. Maintenant, on travaille sur d’autres trucs. Sur la répétition. C’est lié à la manière dont on a composé de disque, en semi-improvisation. C’est ce qu’on a voulu gardé sur le disque. Le sampling reste un outil très intéressant.

Comment cela va-t-il dorénavant se passer sur scène?

On va essayer de recréer cette ambiance. Je vais jouer de la guitare et de l’harmonica sur les nouveaux morceaux. Je serai moins «le frontman qui gesticule». On va essentiellement jouer le nouveau disque, comme dans un trip. Certains morceaux sont très improvisés, d’autres ont pris une forme plus carrée, comme Figure sans nom. Moon above ou All my skin standing vont rester très improvisés. Après, on fera certainement un bloc plus rock… On est en train d’y bosser justement.

Actuellement, comment vous positionnez-vous en tant qu’artiste sur le marché de la musique?

On reste fidèles à nous-mêmes. On fait des expériences musicales à plusieurs. Nous sommes un groupe classique et nous regardons passer les tendances. Avec 35 ans d’existence, on a vu la naissance du CD : tout le monde criait à la mort des labels indépendants. Ça n’a pas été le cas. Ensuite, on a vécu la problématique du MP3 et du piratage: tout le monde criait à la mort de tout. Maintenant, au tour du streaming… De toute façon, peu importe le support: la musique est là. On nous a dit: «De nos jours, faire des disques, ça ne sert à plus rien !» Et tout à coup il y a eu un engouement pour le vinyle… Le CD est mort et nous on se dit que ce n’est pas si con, parce qu’on peut l’écouter dans la voiture sans une connexion wifi ni un abonnement de streaming.

Finalement, on s’en fout ! Notre préoccupation est de faire de la musique. C’est plus difficile en tant qu’artiste de tracer sa route, de vivre avec la musique que tu vends. Les gens considèrent de plus en plus que la musique est gratuite. Qu’elle n’a, indirectement, pas de valeur. On est dans une dynamique où les ventes physiques remboursent à peine la production. On est en plein bouleversement. Nous, on est contents quand on a des activités : on donne de des concerts, on vend des disques. Je me sens à l’aise ainsi et je n’ai pas tellement envie de faire d’autres compromis.

«Décloisonner les frontières»

Le 25 mai prochain, vous allez donner un concert à BlueFactory avec la Landwehr. Expliquez-nous cette envie?

Le président et le directeur musical m’ont approché avec l’envie de tenter de nouvelles choses. J’étais assez surpris, car mon image était poussiéreuse. Quand j’étais gamin, c’était le truc ringard. Mais les choses ont changé. Leur moyenne d’âge est de 32 ans. La nôtre est de 58  ans! C’est nous, les vieux! Le directeur Benedikt Hayoz a eu l’idée de jouer In C de Terry Riley. Cette pièce est un terrain neutre, car nous ne voulions pas forcément que chacun joue le répertoire de l’autre. In C existe en version pour orchestre, pour piano, pour ensemble africain: c’est une partition très ouverte, avec 53 thèmes que l’on peut entrecroiser selon certaines règles. Une espèce de gros animal musical qui peut partir en vrille ou se reposer. Je trouve très fort de réunir deux extrêmes de la culture. Pour nous, la musique a toujours été une manière de créer des ponts, de décloisonner les frontières, entre le classique, le rock et l’électronique.

Avec cette pièce, on va un peu dans l’inconnu. Chaque instrumentiste devra gérer sa partie, ses départs. Terry Riley et les pionniers de la musique minimaliste américaine ont réussi à intégrer la notion que le musicien doit laisser de la place à la musique. Que tout n’est pas écrit. Que l’interprète doit se retirer pour lui laisser le dessus. Cette notion est encore très peu comprise aujourd’hui. Le musicien doit être au service de la partition et il n’est pas là pour montrer ta virtuosité.

The Young Gods, Data mirage tangram, Two Gentlemen.
En concert aux Docks de Lausanne le 21 mars.