Nils Frahm, en langueurs monotones

Avec son nouvel album All melody, Nils Frahm 
est en passe de connaître un succès planétaire. 
A 35 ans, le Berlinois continue de chambouler 
la musique contemplative, entre electro-ambient et postclassicisme.

par Christophe Dutoit

Quel parcours pour ce pianiste qui, en novembre 2010, jouait à Ebullition devant une audience clairsemée! Sept ans plus tard, Nils Frahm vient d’entamer une tournée mondiale presque à guichets fermés. De Londres à Tokyo, sans oublier aux Etats-Unis et en Suisse, le Berlinois dispensera ses musiques éthérées et contemplatives dans des salles de concert huppées, mais aussi dans des clubs de rock prestigieux, des centres d’art contemporain et des festivals en plein air. Selon certains critiques, Nils Frahm serait même «actuellement le plus important artiste solo dans 
le monde»…

Que de superlatifs pour cet homme de 35 ans, à la dégaine d’éternel étudiant et au talent indiscutable! En un peu plus de dix ans, le prodige né à Hambourg a sorti une douzaine d’albums solos, au moins autant de collaborations avec d’autres artistes, des bandes originales de films, des livres de transcriptions… En 2015, il laissait le public du Montreux Jazz Festival sur l’impression qu’une heure d’une telle grâce en valait des centaines.

Laboratoire de sonorités
Silencieux depuis plus de deux ans – «sans silence, il n’y a pas de musique», a-t-il dit un jour – Nils Frahm a profité de cette pause pour transformer un ancien studio de la radio est-allemande en laboratoire de sonorités actuelles. Dans ces murs aux bois résonnants et aux tapisseries surannées, dans ces chambres de réverbération où les sons gagnent en vibrations presque hantées, il a installé ses claviers bricolés, ses Moog vintage, ses pianos taillés sur mesure et ses micros qui capteraient les pas d’une mouche sur un Steinway à queue.

Dès les premières notes de The whole universe wants to be touched, premiers frissons: des voix féminines psalmodient de vagues mélodies aux faux accents grégoriens… Quelle horreur! Puis, dans une sorte de léthargie post-traumatique, la deuxième plage glisse vers d’étranges mélodies aux synthétiseurs, tandis qu’un orgue dialogue avec des percussions minimales de techno dub. On a beau s’y reprendre à plusieurs fois, la magie peine à opérer.

Textures enchevêtrées
D’aussi loin que remontent ses souvenirs, Nils Frahm se rappelle avoir toujours été pris entre ces deux feux. Dans sa chambre d’enfant, il percevait aussi bien les beats qui perçaient celle de son frère en même temps que les musiques classiques écoutées par son père. «J’étais assis au milieu 
et elles se mêlaient naturellement», explique-t-il dans une récente interview.

Au fil des douze compositions de ce nouvel album, Nils Frahm continue d’explorer ces enchevêtrements de textures sonores qu’il apprécie tant. Parfois avec peu de réussite, notamment lorsque apparais-sent les mélopées assez détestables de ces demoiselles des Shards. A contrario, il mêle à ses compositions de nouveaux instruments très plaisants: à l’image de cette trompette atmosphérique qui hante le très automnal Human range, sans doute la plus belle composition de l’album. Ou l’ivresse tournoyante de 2, comme échappée d’une rave dans un petit matin brumeux.

Souvent décrite comme néoclassique, postclassique, voire classique contemporaine, la musique de Nils Frahm reste parfaitement abordable pour les oreilles les plus néophytes. D’abord, parce qu’elle se moule dans un format pop relativement court – jamais au-delà de dix minutes – malgré la langueur parfois monotone de certains titres. Mais, surtout, cet élève d’un ancien élève de Tchaïkovski ne tourne pas le dos à l’histoire de la musique. Au contraire, il confronte des mélodies ancestrales à des effets de boucles hypnotiques, avec le moins de recours possible au digital, chose qui peut surprendre au premier abord. Ses minutieux loops en crescendo, ses tempos généralement très lents et ses atmosphères contemplatives, il les distille avec un tel ascétisme qu’il ferait passer le courant minimaliste pour de la boulimie.

Improvisateur hors pair
Même s’il n’est pas l’album le plus réussi, All melody sera certainement le disque qui apportera à Nils Frahm la consécration mondiale. Malgré une relative déception, même les fans les plus sceptiques attendent avec impatience ses futurs concerts. Car, à l’image du génial Keith Jarrett, le Berlinois est doté d’un sens de l’improvisation hors pair. Sur scène, «il est capable de franchir des limites insoupçonnées et de pousser la beauté dans ses derniers retranchements», dit de lui un critique américain.

A l’heure même où il vient d’entamer sa tournée par plusieurs concerts à Berlin, Nils Frahm évoque déjà sa fin de carrière dans le New York Times. «Je me demande quand sera le bon moment pour changer de job. Je pense que j’ai encore un peu de potentiel. Mais je me sens parfois comme une fleur complètement épanouie: il faudrait peut-être 
que je me coupe moi-même, pour que quelque chose d’autre puisse regermer ailleurs…»

Nils Frahm, All melody, Erased Tapes. En concert à Zurich, X-tra, le 3 mai.

Posté le par admin dans Musique Déposer votre commentaire

Ajouter un commentaire