Frédéric Rody écrit un requiem pour dire adieu à L’Espérance

Au printemps, le Tourain Frédéric Rody quittera la direction de L’Espérance de Vuadens. Il conclura treize ans à la tête de l’ensemble vocal avec la composition d’un requiem pour chœur et bande-son. Rencontre avec cet homme qui aime mélanger tradition chorale et musique électronique.

par Christophe Dutoit

Frédéric Rody ne voulait pas juste réécrire Je suis venu te dire que je m’en vais, comme Serge Gainsbourg, en 1973, lorsque l’homme à tête de chou a frôlé la mort à cause d’un infarctus. Pour quitter dans la plus grande sérénité L’Espérance de Vuadens, qu’il dirige depuis treize ans, il a préféré lui écrire Un requiem, qui sera donné lors de deux concerts, les 28 et 29 avril 2018.

«L’idée d’un requiem me hantait depuis longtemps, mais je ne savais pas sous quelle forme l’aborder», avoue le Tourain. En amont, il a alimenté sa réflexion. «Aujourd’hui, lors d’un enterrement, on ne chante qu’une fois sur dix la messe de requiem grégorien. C’est dommage, car elle a un côté fédérateur. Avant, tous les chanteurs connaissaient cette pièce. Même si on n’était pas dans son village, on montait volontiers à la tribune pour chanter lors de l’enterrement d’un proche. Je regrette qu’on l’ait perdue, par une volonté cléricale de faire chanter la foule, en français. Le grégorien a été remplacé par de la musiquette. On l’associe trop souvent au catholicisme rigoriste ou à une connotation monastique.»

Frédéric Rody a déjà composé deux messes brèves, pour les 125 ans de L’Espérance et pour Tutticanti. «Mais des requiem, il en existe de tellement incroyables: Fauré, Duruflé, Dvorak, Brahms…»

Respirer la sérénité
Devant sa feuille blanche, il pose quelques certitudes. D’abord le latin, «parce qu’un chœur de village n’est plus le même s’il chante en français, en patois ou en latin. C’est une question de prononciation, de phrasé.» Ensuite, il décide de se passer de quelques relents de l’Ancien Testament, à l’image du Dies irae (Jour de colère) aux accents d’Apocalypse. «Pour moi, le requiem doit respirer la paix, la sérénité. Ma ligne est claire: l’imbrication entre la vie et la mort. La seule chose que l’on sait dans la vie, c’est qu’on va mourir. Dans nos sociétés occidentales, on est mal à l’aise avec la notion de mort. On en parle le plus tard possible aux enfants. On cherche à vivre le plus longtemps possible. On vise l’éternité, alors qu’on est juste de passage. La mort, c’est le dernier centième de la vie. Pour moi, les deux sont indissociables.» Il prend une respiration. «Lors d’un enterrement, on pleure durant une heure et on rigole à la verrée qui suit. Je ne juge pas. Je dis juste que ça se passe comme ça. Si tu n’as pas trouvé de sens à ta vie, ta mort n’aura pas de sens.»

«Mon Requiem n’est ni religieux ni triste. Ce n’est pas parce qu’on va mourir qu’il faut tirer la gueule toute sa vie.»

Ces considérations métaphysiques ont nourri sa composition. «Mon Requiem n’est ni religieux ni triste. Ce n’est pas parce qu’on va mourir qu’il faut tirer la gueule toute sa vie.» D’une durée de cinquante-cinq minutes, il débute avec le magnifique poème de Mary-Elizabeth Frye Do not stand at my grave and weep (Ne pleure pas devant ma tombe). «Actuellement, j’ai terminé les vingt premières minutes.» On s’approche des enceintes. De lourdes basses fendent l’atmosphère. Un piano brut dessine une première mélodie. Avec sa voix de baryton, Frédéric Rody chante les quatre registres. «Tu faisais déjà pareil au CO de la Glâne», se souvient son épouse Alexandra, de passage en coup de vent.

Technique très artisanale
Au fait, comment s’y prend-on pour composer un requiem? «Je commence par improviser une suite d’accords au piano et je chantonne les textes. Dès que quelque chose me botte, je le bloque. Je prépare des boucles, j’improvise, je modifie. C’est très artisanal comme technique. Cela permet de trouver ces petites dissonances heureuses qu’on n’oserait pas si on appliquait la théorie musicale à la lettre.» En l’église de Vuadens, il y aura surtout des synthétiseurs analogiques, avec leurs sonorités chau­des, proches d’un orchestre. Bertrand Siffert, l’ingénieur du son patenté de The Young Gods, mixera en direct les sons enregistrés, les voix du chœur repiquées avec des micros et passées à travers des effets. «J’ai bien envie que le chœur chante aussi des loops (des boucles), espère le Tourain, amoureux de musiques électroniques. J’aimerais utiliser cette matière sonore pour créer des ambiances.» Seules deux musiciennes apparaîtront sur «scène», la violoniste Annick Rody (sa sœur) et l’altiste Laurence Crevoisier, toutes deux mem­bres de Barbouze de chez Fior, elles aussi repiquées dans le mixage.

«J’ai beaucoup d’admiration pour les compositeurs qui brisent tous les carcans. Mais je n’ai entendu que peu de chose vraiment convaincantes. A Vuadens, je n’ai pas envie que 90% des spectateurs ne comprennent rien.»

Geek à ses heures, Frédéric Rody a cherché un instrument virtuel qui puisse interpréter sa musique intérieure. Il a trouvé Una corda, le son très brut d’un piano créé par David Klavins en collaboration étroite avec le virtuose allemand Nils Frahm. «Au début, il sonnera comme un vrai piano, très brut. Puis, petit à petit, il va commencer à bouger», explique le musicien de 47 ans.

«Je ne bouscule pas tout»
«J’ai baigné, toute ma vie, dans la culture judéo-chrétienne. Sur le fond, je ne bouscule pas tout, je ne rue pas dans les brancards. Je mélange juste deux mondes qui me plaisent. J’ai beaucoup d’admiration pour les compositeurs qui brisent tous les carcans. Mais je n’ai entendu que peu de chose vraiment convaincantes. A Vuadens, je n’ai pas envie que 90% des spectateurs ne comprennent rien.»

Les 32 chanteurs de L’Espérance viennent de commencer les répétitions du Requiem de leur directeur. «J’ai décidé de ne pas leur faire écouter la bande-son pour le moment. Et je leur apprends les quatre voix en même temps. Comme ça, on déchiffre tout ensemble. C’est génial, car ça prend vie d’entrée. Je crois qu’ils ont adoré.»

«Besoin d’être touchés»
Au dire du directeur, le chœur est prêt à quelques dissonances. «Aussi bien les chanteurs que les auditeurs ont juste besoin d’être touchés. A Vuadens, je choisis des compositions à la portée du chœur, avec un petit défi de temps en temps. Pour ce Requiem, je tiens compte des tessitures de mes chanteurs. On se fait confiance. Depuis le temps, on n’a plus rien à se prouver. Je ne suis pas un chef tyrannique. En treize ans, je me suis peut-être énervé une fois. Et encore, ce devait être à cause de moi…»

A la fin de la saison, Frédéric Rody quittera la direction de L’Espérance. «J’ai fait le tour de ce que je peux amener au chœur. Je ne veux pas tourner en rond.» Quoi de plus beau que de se dire adieu sur les lentes mélopées d’un requiem?

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