1967, l’année des possibles

Un nombre incroyable de disques marquants est sorti il y a tout juste cinquante ans. Retour sur la bande-son de 1967, entre contre-culture, contestation, mouvement hippie, drogues, psychédélisme et innovations techniques.

par Christophe Dutoit

Imaginez plutôt: en quelques mois, The Doors, The Velvet Underground, Grateful Dead, Jimi Hendrix, Pink Floyd, David Bowie ou Leonard Cohen ont chacun publié leur premier album. Sans compter Sgt. Pepper’s des Beatles, Disraeli gear de Cream ou Forever changes de Love. C’était en 1967, il y a tout juste cinquante ans.

Une étrange conjonction de facteurs a marqué d’une pierre blanche cette année 1967 dans l’histoire de la musique, principalement entre les Etats-Unis et l’Angleterre. Alors que la France écoute Claude François (Comme d’habitude), Brigitte Bardot (Harley Davidson), Gilbert Bécaud (L’important, c’est la rose) ou Michel Sardou (Les Ricains), la révolution est en marche dans le monde anglo-saxon.

En janvier, The Doors publient son premier album et invitent le public à ouvrir ses «portes de la perception vers l’infini» et à passer «de l’autre côté» – Break on through (to the other side) – grâce à l’usage de psychotropes. Sur le plateau du Ed Sullivan Show, Jim Morrison chante à la face de l’Amérique un «girl, we couldn’t get much higher (Chérie, nous ne pouvions mieux nous envoyer en l’air)» qui lui vaut un bannissement à vie de la chaîne. Mais le mal – le bien? – est fait. De provocations transgressives en prestations obscènes, le poète au charisme de chaman séduit la jeunesse et hisse Light my fire en tête des ventes de disques.

Car le business n’est pas en reste en 1967. Pour la première fois, la maison de disques Elektra affiche ses poulains dans une pub gigantesque sur Sunset Strip, à Los Angeles. The Doors tournent même un film promotionnel, ancêtre du vidéo clip.

Lire le RePlay de l’album The Doors

Bande-son des «acid tests»
Le LSD ne fait pas que des adeptes sur Venice Beach. A San Francisco, le romancier Ken Kesey et ses Merry Pranksters («Joyeux drilles» en argot) enrôlent le Grateful Dead pour jouer la bande-son de leurs acid tests, ces réunions durant lesquelles ils font découvrir au public les effets du LSD. Depuis quelques mois, la baie plane en effet sur les sonorités d’une vague psychédélique, à commencer par le fameux White rabbit de Jefferson Airplane, hymne à peine déguisé à l’hallucinogène et référence directe à Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll.

Le LSD est également omniprésent tout au long des 129 jours d’enregistrement de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band. Lassés de «faire de la musique gentillette pour des gens gentillets» (dixit John Lennon), The Beatles expérimentent aussi bien la drogue à la mode dans le Swinging London que les nouvelles techniques de prises de son. Dans les studios d’Abbey Road, les Fab Four signent le disque le plus emblématique des sixties. Si pertinent que, trois jours après sa sortie, un jeune guitariste du nom de Jimi Hendrix démarre son concert au Saville Theater avec Sgt. Pepper’s, devant un public médusé. Présent dans la salle avec George Harrison, Paul McCartney dit y avoir vécu le plus bel hommage de sa carrière. Surtout, il fait en sorte qu’Hendrix joue au Monterey Pop Festival deux semaines plus tard.

Le plus célèbre autodafé Un mois après la sortie d’Are you experienced?, Hendrix immole sur scène sa Stratocaster dans l’autodafé le plus célèbre de l’histoire du rock. Abasourdi, le public est partagé entre extase et consternation. Un mois plus tard, un autre festival connaît sa première édition, autour de la piscine d’un casino et de Claude Nobs: le Montreux Jazz Festival est en marche.

Dix ans après Sur la route de Jack Kerouac, la contre-culture américaine éclate au grand jour. La contestation de la guerre du Vietnam, l’aspiration à la liberté, l’émancipation sexuelle, la critique d’un certain American way of life atteignent leur paroxysme.

Le 25 juin 1967, les Beatles chantent en direct All you need is love lors de la première émission télé en mondovision. Quelques semaines plus tard, le quartier d’Haight-Ashbury, à San Francisco, se transforme en cour des miracles pour les hippies et devient l’épicentre de l’Eté de l’amour. Drogues, sexe, amour et utopie deviennent les mots clés d’une génération qui a la volonté de changer le monde.

Tandis qu’Aretha Franklin décroche un hit avec Respect, qui met en avant sa fierté raciale et son féminisme – choses impensables quelques années auparavant – un vent noir souffle du côté de New York. Sous l’aile d’Andy Warhol, The Velvet Underground & Nico carburent à Heroin et aux idées malsaines. Lunettes sombres et teint blafard, Lou Reed et ses comparses sentent avant tout le monde le déclin et chantent la déchéance humaine avec génie. Toujours à New York, un poète et romancier canadien hante le Chelsea Hotel et signe son premier classique, hors du temps et donc indémodable: Leonard Cohen entre dans la légende.

 

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