Photochrome: en couleurs avant la couleur

Breveté à Zurich en 1888, le photochrome permet pour la première fois la commercialisation à large échelle de photographies en couleurs. Le Musée suisse de l’appareil photographique, à Vevey, consacre une très belle exposition à ce procédé et aux images qu’il a permis de réaliser.

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Durant les septante premières années de son existence, la photographie s’est presque exclusivement déclinée en noir et blanc. Les premières tentatives de reproduction des couleurs aboutissent certes dans la seconde moitié du XIXe siècle. Mais il faut attendre 1907 pour que les frères Lumière – déjà inventeurs du cinématographe – industrialisent leur autochrome et révolutionnent ainsi l’histoire de la photographie.

Pour vaincre cette incapacité à retranscrire la couleur, les photographes ont d’abord utilisé toute sorte de palliatifs: des rehauts à l’aquarelle, des colorisations plus ou moins fidèles à la réalité, qui maintiennent la photographie dans le champ de la peinture.pz-chillon

En 1888, l’entreprise zurichoi­se Orell Füssli change la donne avec ses photochromes, auxquels le Musée suisse de l’appareil photographie, à Vevey, consacre une magnifique exposition. L’occasion, assez rare, de redécouvrir des originaux de sa propre collection, délicieusement marqués par le temps, avec leurs couleurs «inventées» et leur regard désuet sur le monde.

L’histoire d’un succès
Entrepreneurs hors pair et hommes d’affaires avisés, Heinrich Wild et ses frères comprennent vite le potentiel de cette invention et initient une success story mondiale. Ils ouvrent des succursales à Londres et à Berlin en 1893. Puis, deux ans plus tard, ils cofondent la Photochrom Company of Detroit et se préparent à inonder le marché américain.

On visite dès lors le monde depuis son salon, on se délecte de l’exotisme de portraits d’indigènes ou de scènes de vie quotidienne à Naples, à Tunis ou à Alger.

«Les photochromes répondent à la demande des voyageurs nostalgiques ou des moins fortunés n’ayant jamais pu quitter leur pays», écrivent Pascale et Jean-Marc Bonnard Yersin, commissaires de l’exposition. On visite dès lors le monde depuis son salon, on se délecte de l’exotisme de portraits d’indigènes ou de scènes de vie quotidienne à Naples, à Tunis ou à Alger.

Deux vues de Fribourg
La Suisse n’est pas en reste: Chillon, Zermatt, les chutes du Rhin, l’Oberland bernois et l’Engadine sont évidemment bien représentés dans les catalogues des tirages en circulation, principalement au format 12 x 17 cm. Fribourg se distingue au travers de deux ima-ges tirées en photochrome: une vue des quartiers du Bourg et de l’Auge depuis Lorette (exposée à Vevey) et le pont du Gottéron.pz-fribourg-2

Grâce à sa mainmise sur la technique, l’entreprise suisse développe des réseaux sur les cinq continents. Elle tire, par exemple, des négatifs de Félix Bonfils, photographe français installé à Beyrouth, qui a produit une abondante documentation autour de la Méditerranée. Aux Etats-Unis, elle choisit William Henry Jackson pour diriger la Photochrom Company of Detroit. Ce photographe, peintre et explorateur américain fournit plus de 10000 clichés reproduits en couleurs. Une collection qui forme un inventaire du monde au tournant du XXe siècle, avec une ambition proche des Archives de la Planète, le projet que lancera le banquier philanthrope Albert Kahn deux décennies plus tard.

Comme le montre bien l’exposition à Vevey, les opérateurs rapportent des images de Scandinavie, de Russie, de Syrie, de Ceylan (magnifique vue panoramique du temple de la Dent, à Kandy). Etrangement, peu de photochromes ont été pris en Amérique du Sud, en Afrique (en dehors du Maghreb et de l’Egypte) et pas du tout au Japon. La concurrence avec les estampes rendait ce marché peu rentable aux yeux des entrepreneurs suisses.

Les couleurs élégantes du photochrome flattent le goût du grand public.

Dès 1907, la concurrence avec les premières images aux couleurs naturelles se fait sentir. Moins sensible, l’autochrome n’autorise cependant pas la saisie d’instantanés et sa reproduction est bien plus onéreuse. Au contraire, les couleurs élégantes du photochrome flattent le goût du grand public. Durant plusieurs décennies, il demeure le procédé le plus efficace pour la diffusion de photographies en couleurs, avec les tirages de plusieurs millions d’exemplaires par an.

Le dernier en 1973
L’avènement de la Première Guerre mondiale marque un premier coup d’arrêt. Mais la production de photochromes se poursuit jusqu’en juillet 1973, date de la dernière épreuve lithographiée en Suisse. Lorsque Photoglob lègue à la bibliothè-que de Zurich son fonds de 11000 photochromes pris entre 1889 et 1914 (sans compter les vues américaines), le procédé est tombé dans l’oubli. Mais, depuis une dizaine d’années, il retrouve grâce aux yeux d’un public nostalgique, avide de ces images aux couleurs d’un autre temps.

Vevey, Musée suisse de l’appareil photographique, jusqu’au 21 août, ma-di 11 h-17 h 30, www.cameramuseum.ch

pour en savoir plus: Photochromie, Voyage en couleur, 1876-1914, Eyrolles (2009)

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La gravure appliquée à la photographie

En 1874, le Français Léon Vidal a l’idée géniale de reproduire une photographie à l’aide de la lithographie. Quatorze ans plus tard, l’imprimerie zurichoise Orell Füssli dépose le brevet du photochrome, inventé par son employé Hans Jakob Schmid. L’idée est simple, mais sa mise en œuvre d’une ingéniosité incroyable.

A partir d’un film négatif noir et blanc, il transfère l’image sans trame sur une pierre enduite d’asphalte, capable de plus ou moins durcir à la lumière. Après exposition, le cliché est dépouillé à l’aide de térébenthine et constitue la première matrice de l’estampe.

A ce stade, on quitte la photographie pour entrer dans le monde de la gravure. Alors que l’impression offset se contente des trois couleurs primaires (cyan, magenta, jaune) et du noir, la lithographie permet de multiplier les encrages (jusqu’à quatorze passages) et d’utiliser des coloris très précis, à l’image des Pantone. En Gruyère, Jacques Rime, Claude Genoud ou Dominique Cosandey sont passés maîtres de ce procédé.pz-alger

En 1889, la société Photochrom Zurich – puis Photoglob Zurich, aussi appelée P. Z. – commence à produire des épreuves à grande échelle. Sur le terrain, les photographes notent à l’aquarelle la palette des couleurs que le lithographe sera chargé de reconstituer en atelier. Selon l’opérateur, le même négatif peut être colorisé de manière très différente: une épreuve nocturne avec un effet lunaire, une deuxième dans un éclatant soleil sur fond de ciel bleu, puis des suivantes dans des tonalités plus au moins chaudes.

Mieux encore. Bien avant Photoshop, les lithographes n’hésitent pas à réaliser des photomontages à l’aide de plusieurs négatifs. On retrouve ainsi le même vapeur sur plusieurs lacs de Suisse, à différente grandeur, dans des échelles parfois absurdes.

Certaines images – notamment en grand format – sont confondantes de réalisme. Alors que d’autres semblent sorties d’une manipulation psychédélique parfois aux limites du kitsch. Ce qui n’enlève rien à leur charme.

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