Pascale et Jean-Marc Bonnard Yersin – Quatre mains pour un regard

Directeurs et conservateurs du Musée suisse de l’appareil photographique à Vevey, Pascale et Jean-Marc Bonnard Yersin publient le premier tome de leur «testament» en sept volumes. Rencontre avec ces pionniers du job-sharing.

Pascale et Jean-Marc Bonnard Yersin, conservateurs, directeurs, Musée suisse de l’appareil photographique, cameramuseum, Vevey, 19 mai 2016, ©Régine Gapany

Pascale et Jean-Marc Bonnard Yersin, conservateurs, directeurs, Musée suisse de l’appareil photographique, cameramuseum, Vevey, 19 mai 2016, ©Régine Gapany

par Christophe Dutoit

Elle est archéologue, lui photographe. Elle travaillait comme muséologue à Genève, au Musée d’art et d’histoire. Lui venait y reproduire des œuvres. Le flash. Normal, diriez-vous, pour des amoureux de la photographie. «Elle avait un Leica, je l’ai épousée.» C’était le 27 mai 1989, jour de l’inauguration des nouveaux locaux du Musée suisse de l’appareil photographique à Vevey. Il n’y a pas de hasard. «Au moins, on avait une bonne raison d’être absents.»

Dans leur bureau mansardé, Pascale et Jean-Marc Bonnard Yersin semblent ne faire qu’un. Quand elle commence une phrase, il en connaît déjà la chute. Et vice versa. Il raconte: «Un jour, on a amené à Vevey une plaque au collodion du Rigi.» Elle coupe: «Le gardien du musée était un grand bavard. Il nous a parlé du départ de Claude-Henry Forney, fondateur et premier conservateur du Musée. Nous avons écrit une offre spontanée. J’étais enceinte et nous avons proposé de parta-ger le poste à deux. C’était du job-sharing avant l’heure.»

«Monsieur et Madame le Conservateur» – comme le titre la presse locale – sont engagés le 1er octobre 1989, dix jours avant la naissance de leur fils Thibaud. «Du coup, j’ai assuré les 100% durant le congé maternité. Par la suite, des co-pains ont jalousé ma situation. J’ai profité d’être avec mes enfants. On venait aux vernissages avec la poussette.»

«Un risque à prendre»

Pascale et Jean-Marc Bonnard Yersin se souviennent très bien de l’entretien d’embauche mené par Yves Christen, alors syndic de Vevey. «Quelqu’un avait posé cette question: “Qu’est-ce qui se passera si le couple ne marche pas?” Il a répondu: “Il me semble que c’est un risque à prendre…” Vingt-sept ans plus tard, le couple se porte bien, merci pour lui. Tout comme le Musée suisse de l’appareil photographique, que les deux Vaudois quitteront en 2018. Pour marquer cette étape, ils ont entamé la publication de leur «testament», les sept tomes du catalogue de l’exposition permanente.

«En 2001, on montrait quelques appareils numériques dans une vitrine, avec une console Nintendo. Jamais autant de gamins du quartier n’étaient venus au musée: ils jouaient tous les mercredis après-midi.»

Depuis leur entrée en service, les deux conservateurs se sont toujours réparti le travail. «Ce n’était pas très juste pour nos “concurrents”, car nous avions beaucoup de compétences à nous deux.» La rigueur scientifique et la méthode pour elle, la connaissance encyclopédique de la photographie pour lui. Le reste, ils l’apprennent sur le tas. Et vite. «Dès le premier jour, on a foncé.» Lors du déménagement de 1989 à la ruelle des Anciens-Fossés, l’institution devient payante et perd ainsi une partie de sa fonction sociale. «Depuis sa fondation dix ans plus tôt, le Musée avait ses quartiers dans un appartement de la Grande Place. C’était devenu un lieu de rendez-vous des retraités, un lieu de consultation privilégié.» De 13000 visiteurs annuels, la fréquentation chute à 8000. «Il nous a fallu redoubler d’idées pour faire entrer les visiteurs à l’arrière de la place.»

Pascale Bonnard Yersin, conservatrice, Musée suisse de l’appareil photographique, cameramuseum, Vevey, 19 mai 2016, ©Régine Gapany

Pascale Bonnard Yersin, conservatrice, Musée suisse de l’appareil photographique, cameramuseum, Vevey, 19 mai 2016, ©Régine Gapany

Mais ce choix s’avère finalement très payant. Un passage souterrain historique reliait en effet l’ancienne maison Zweifel au bâtiment voisin, un temps siège administratif de la Fête des vignerons, qui a pignon sur la Grande Place. L’agrandissement devient réalité en 2001.

2001, ce lointain futur pour Kubrick le soixante-huitard, mais ce passé déjà «préhistorique» dans l’évolution digitale. «En 2001, on montrait quelques appareils numériques dans une vitrine, avec une console Nintendo. Jamais autant de gamins du quartier n’étaient venus au musée: ils jouaient tous les mercredis après-midi.»

A peine relocalisée dans son nouvel écrin, l’exposition permanente semble déjà obsolète. Après s’être intéressés à des thématiques transversales (la production d’appareils suisses, la reproduction du mouve-ment, le charme des lanternes magiques…), Pascale et Jean-Marc Bonnard Yersin décident de reprendre le fil de la chronologie, en quatre grandes étapes: aux origines de la photographie, au temps des plaques, le siècle du film et la révolution numérique.

Le public a repris goût
«Aux yeux de certaines institutions de Beaux-Arts, nous étions à ranger avec les amateurs de trains électriques, affirme Jean-Marc Yersin. L’arrivée du numérique nous a servis. Les interrogations sont grandes envers la photographie actuelle. On nous demande de plus en plus d’expliquer les procédés.»

Et son épouse de poursuivre: «Depuis quelques années, le public a repris goût à la photographie. Nous avons rajeuni notre audience, notamment avec notre laboratoire argentique, qui rencontre de plus en plus de succès.» Ah! Les fameux mystères de la chambre noire!

Entre 2009 et 2012, le Musée revoit entièrement sa muséographie, «sans fermer ses portes, ce qui a nécessité une sacrée organisation», avouent les deux directeurs. Un étage est désormais entièrement consacré à la photographie numérique. On y retrouve aussi bien des appareils (Eikonix de 1982) que la première version de Photoshop en 1990.

Au terme d’une vente, on s’était fait gronder par un musée niçois, car on avait renchéri sur lui. C’était une manière de dire à tout le monde que ce patrimoine suisse devait rester chez nous.

Depuis ses débuts, le Musée n’a jamais cessé d’enrichir ses collections, à commencer par l’acquisition de celles de Kodak, qui avait son centre à Lausanne, et de l’EPF de Zurich. «Il demeurait de grosses lacunes, que nous avons inventoriées. Ce qui nous a permis de nous poser une succession d’objectifs et de les financer.»

Durant ces diverses campagnes d’acquisition, le Musée a reçu le soutien d’un mécène passionné, Malcolm Whittle, propriétaire d’Elinchrom, la marque suisse de flashes de studio. Avec son aide et un certain culot, le couple Bonnard Yersin s’est ainsi retrouvé à Londres, à miser à tue-tête lors d’une vente aux enchères d’appareils, notamment sur un mégalétoscope de Carlo Ponti, aujourd’hui exposé à Vevey. «Au terme d’une vente, on s’était fait gronder par un musée niçois, car on avait renchéri sur lui. C’était une manière de dire à tout le monde que ce patrimoine suisse devait rester chez nous. Avec les fonds Luder (Neuchâtel) et Schuler (Berne), ou encore cette triple lanterne magique acquise pour les 30 ans du Musée, notre collection est désormais structurée. Mais il reste encore des interstices.»

Jean-Marc Yersin, conservateur, Musée suisse de l’appareil photographique, cameramuseum, Vevey, 19 mai 2016, ©Régine Gapany

Jean-Marc Yersin, conservateur, Musée suisse de l’appareil photographique, cameramuseum, Vevey, 19 mai 2016, ©Régine Gapany

Fondateur d’Images Aujourd’hui et plus que jamais, le Musée suisse de l’appareil photographique revendique sa place dans l’offre culturelle lémanique. «En 1995, nous avons fait partie des fondateurs du festival Images, qui s’est, depuis, fait un nom au-delà de nos frontières. L’Ecole d’arts appliqués fêtait alors son 50e anniversaire. A l’époque, Vevey était au creux de la vague après la fermeture des Ateliers mécaniques. Le syndic Christen est venu vers nous et nous a demandé de faire vivre le concept de “Riviera de l’image” mis en évidence par Forney afin de contribuer au redéploiement économique de Vevey.»

Avec l’arrivée du Musée Chaplin et du Nest, ainsi que la réouverture de l’Alimentarium, Vevey se positionne désormais comme un pôle muséal très fort en Suisse romande. «Nous devenons une destination culturelle qui dépasse la journée. Ces têtes d’affiche attirent du monde. A nous, petits musées, d’offrir autre chose.»

A deux ans de leur départ à la retraite, Pascale et Jean-Marc Bonnard Yersin poursuivent la rédaction de «leurs mémoires» sur quelque 800 pages, le fruit de trente ans de recherches…et de trouvailles. Un must sur cette histoire vieille de deux siècles, qui devrait logiquement trouver sa place dans la bibliothèque de chaque amoureux de la photographie.

Pascale et Jean-Marc Bonnard Yersin
Aux origines de la photographie
Musée suisse de l’appareil photographique.

Vevey, ma-di 11 h-17 h 30, www.cameramuseum.ch

Actuellement: exposition Photochromepz-lucerne

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