Ce qu’est la photographie actuelle

Pour la troisième fois en dix ans, le Musée de l’Elysée, à Lausanne, expose les meilleurs travaux d’étudiants, sélectionnés parmi huitante écoles de par le monde. Comme son nom l’indique, reGeneration3 montre un art en mutation, en perpétuelle recherche de son essence.

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par Christophe Dutoit

Après avoir digéré – cette dernière décennie – sa révolution numérique, la photographie est actuellement en plein doute existentiel. «Qu’est-ce que la photographie?» se demandait d’ailleurs ce printemps le Centre Pompidou à Paris, le temps d’une passionnante exposition sur les questions ontologiques qu’elle se pose, sur cette essence dont elle poursuit inlassablement la quête. Pour la troisième édition de reGeneration, le Musée de l’Elysée s’interroge à son tour sur le présent de cet art de l’instant, à travers une exposition de jeunes diplômés et un symposium qui s’est déroulé la semaine dernière sur le thème «Quelles perspectives pour la photographie?»

Caractère polymorphe
Verni jeudi dernier, l’accrochage de reGeneration3 réunit cinquante étudiants de dix-huit nationalités. Pour la première fois, les travaux sélectionnés ont été répartis en trois catégories: la variété des approches documentaires, la question de la mémoire et de la dématérialisation de l’image et, enfin, la richesse des expressions esthétiques inspirées par l’histoire du médium et l’histoire de l’art en général.

Trois mois après son entrée en fonction à la tête de l’institution, Tatyana Franck s’est réjouie du «caractère polymorphe de la photographie actuelle, qui touche autant à la vidéo, à la performance, à l’installation ou aux livres d’artiste». La directrice voit dans cette exposition «un manifeste de ce que sera la photographie de demain». D’autres, plus prudents, se contentent d’y trouver un état des lieux de la nouvelle génération, à peine sèche derrière les oreilles, mais déjà très décomplexée et assoiffée de fraîcheur et d’inventivité.

«Les artistes y ajoutent de plus en plus des textes, des sons, des vidéos, des objets. Ils font en sorte que ce soit une expérience pour le spectateur»

Parmi les enseignements à tirer de cet accrochage éclectique, on se rend compte que la photographie actuelle ne se considère souvent plus comme un média en soi. «Les artistes y ajoutent de plus en plus des textes, des sons, des vidéos, des objets. Ils font en sorte que ce soit une expérience pour le spectateur», note la conservatrice Anne Lacoste, commissaire de l’exposition.

La plupart des travaux exposés à Lausanne sont le fruit de longues réflexions, souvent au détriment de la photographie en soi, jadis autosuffisante au simple regard. A l’image de ces portraits de victimes d’abus sexuels en Angleterre, emblématiques de ces interrogations. Une série certainement très poignante, mais davantage par le fait que ces hommes ont consenti à se dévoiler, que pour les qualités intrinsèques des clichés, somme toute très banals. Là encore, l’image ne fonctionne qu’en lien avec les légendes, car elles seules permettent de cerner le contexte et l’ambition du photographe.

Retour en studio
L’intérêt pour le portrait – «en raison du succès des réseaux sociaux», pense Anne Lacoste – est partagé par de nombreux exposants, qui questionnent la vieillesse, la mémoire (et sa perte), l’identité ou les traumas de l’enfance. Cette nouvelle nostalgie s’étend également à la forme, parfois via le détournement de techniques obsolètes (polaroïd, tirages noir/blanc). Une chose est certaine: les nouveaux venus travaillent surtout dans leur studio, lieu de mainmise et de contrôle, et délaissent le terrain du monde, ce réel qui semble tant les effrayer. «Ils ont davantage d’intérêt pour la construction que pour le témoignage, parce que la photographie est subjective», analyse Anne Lacoste. Une subjectivité spontanément affirmée, souvent davantage marquée par la lecture des théoriciens de l’image que par la connaissance des maîtres de la photographie.

Les influences nationales tendent à disparaître dans un moule mondialisé et formaté, où toutes les préoccupations passent désormais par le même Facebook ou le même Instagram.

Ces jeunes pousses auront certes le temps de grandir, à l’image de Richard Mosse ou Pieter Hugo, premiers participants à reGeneration en 2005 et aujourd’hui reconnus sur le marché mondial de l’art. Autre constat: cette volée est plus âgée que les précédentes, sans doute à cause de parcours plus longs et de deuxième formation. En revanche, les influences nationales tendent à disparaître dans un moule mondialisé et formaté, où toutes les préoccupations passent désormais par le même Facebook ou le même Instagram.

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Après une large ouverture à la Chine en 2010, reGeneration3 souffre toujours de l’absence de la photographie africaine, quand bien même les étudiants sont aujourd’hui très mobiles et se forment souvent ailleurs que dans leur pays d’origine.

Sans cesse renouvelée
Au sortir de cette visite, on a l’impression qu’aucune œuvre ne parvient réellement à émerveiller le spectateur. Et, malgré la quantité des propositions, on ne parvient décidément pas à en savoir davantage sur ce qu’est la photographie actuelle. Sinon qu’elle se porte plutôt bien – à l’image de la production suisse, très présente – et qu’elle se renouvelle sans cesse. On se dit aussi que, fort heureusement, tous les photographes ne poussent pas dans les écoles, à l’image de l’excellent Mike Brodie. Et qu’il restera toujours des autodidactes géniaux, pas forcément des artistes de l’intellect, mais de simples regardeurs du monde, capables de montrer ce que nous ne savons pas voir.

Lausanne, Musée de l’Elysée, jusqu’au 23 août, ma-di 11 h-18 h, www.elysee.ch

 

 

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