Flavien Droux, comme l’étoile née du chaos

Programmateur d’Ebullition depuis 2012, Flavien Droux a déjà plus de dix ans d’expérience dans l’organisation d’événements musicaux. Après avoir fait les 400 coups dans sa Glâne natale, l’ancien punk conduit aujourd’hui avec talent et esprit d’équipe la destinée du club bullois.

flavienapar Christophe Dutoit

En tête de son curriculum vitae, Flavien Droux résume ainsi son profil: «Sait faire bouger les choses. Dynamique et jovial, aime découvrir de nouveaux univers. Belle conscience professionnelle et plaisir du travail soigné.» A tout juste 28 ans, le programmateur d’Ebullition pourrait également ajouter: «Très bonne connaissance de soi et parfait esprit de synthèse…»

Mercredi dernier, rendez-vous est donné dans les loges du club bullois. La vaisselle déborde de l’évier. Mais ce n’est pas grave, on n’est que mercredi…

Du mythique frigo bardé d’autocollants, Flavien Droux extrait une bouteille de thé froid entamée. «Je ne bois jamais de café: de l’eau la semaine et de la bière le week-end!» Et parfois du Sinalco, en référence à de récentes soirées dédiées à cette boisson si helvétique. «Plus tu montes un truc à la con, plus les gens adhèrent», se marre-t-il sous sa houppette à la Tintin, vieille rémiscence de sa crête de punk. Pourquoi le Sinalco? «Parce que c’est bon et que, si je devais me reconvertir, j’irais bosser chez Sinalco…» Lard ou cochon, à vous de choisir.

Quand tu vis à Romont, tu ne vois pas son côté glauque. Savez-vous quelle est la différence entre Bulle et Romont? A Bulle, on croise des gens dans la rue…

Pour les habitués d’Ebullition, Flavien est ce programmateur amoureux de ska-punk, capable de faire venir de Chine un groupe de rockabilly ou de mettre à l’affiche Frank Turner avant qu’il ne soit célèbre. Mais peu de gens connaissent le stakhanoviste qui se cache derrière ce déconneur de première.

«Je suis allé à l’Ecole de commerce, comme tous ceux qui ne savent pas quoi faire après le CO, s’excuse-t-il presque. Après trois jours, je savais que je ne ferais pas partie du système économique suisse.» De cette formation, il retient surtout l’ordre, l’organisation du travail, l’efficacité. Surtout, le week-end venu, il s’intéresse à la musique. Non pas comme musicien (trois mois de basse suffisent à l’en convaincre), mais d’abord comme spectateur. «Pour l’ambiance, les potes, le côté festif, la rencontre avec les gens. Dès le CO, on allait voir des concerts. J’ai dû dormir dans toutes les gares de Suisse.» Tout ce qui lui manque, à l’époque, dans sa Glâne d’origine. «Quand tu vis à Romont, tu ne vois pas son côté glauque. Savez-vous quelle est la différence entre Bulle et Romont? A Bulle, on croise des gens dans la rue…»flavienb

A 16 ans, il organise avec sa bande de potes le premier Appel Festival. «Tout était à faire et personne n’allait le faire à notre place. A nous d’être des acteurs et de pas attendre Paléo en été, raconte-t-il comme si c’était hier. On ne savait rien faire. Personne ne nous avait dit que les groupes faisaient un soundcheck avant leur concert…»

Bénéfice de 50 francs
Qu’importe. Ils louent la cabane de la mycologie à Romont, au prétexte d’un anniversaire pour une cinquantaine de personnes. «On ne savait pas qu’il fallait une autorisation!» ne ment-il même pas. Il vient 200 spectateurs qui laissent un bénéfice de 50 francs aux organisateurs. «C’était énorme. On pouvait du coup payer un grou-pe l’année suivante!» La vie est souvent faite de si petits plaisirs. Pas question en effet d’en rester là. Interdite de tous les abris PC de la Glâne – «on en a fait des conneries dans les abris PC» – la bande de potes poursuit sur sa lancée. La deuxième année fut sans doute la plus rock’n’roll. «Le son était si merdique que des spectateurs ont fini par prendre en mains la console six pistes, se souvient l’adolescent. Des groupes dormaient dans la nature, car on avait oublié de les héberger.»

Après trois éditions en forêt, l’Appel migre à l’Hôtel de Ville de Romont. «On réinjectait les bénéfices sur les éditions suivantes. On n’a jamais eu aucun sponsor ni aucune aide.» En effet, l’équipe a surtout recours au système D. «On achetait des 24-packs de bière aux soldes. Au bout d’un moment, la Coop avait compris le truc. Elle nous appelait pour nous dire que la Anker était en action. Un pote paysan prenait alors son van et on entreposait 3000 canettes dans sa ferme jusqu’au prochain festival…» Finies en revanche les largesses avec la loi. «On a dû devenir bien carrés avec les autorisations, les assurances, les locations de matériel…»

Pétition de 1100 signatures
En 2008, la commune de Romont a voulu leur interdire l’accès à l’Hôtel de Ville, car un autre festival avait débordé. «On a lancé une pétition qui a récolté 1100 signatures. La commune a dû revenir en arrière, c’était magique.» Interrogé à la télé, le jeune homme sort alors cette phrase désormais mythique: «Romont est connu pour La Poularde, le Musée du vitrail et le sadique de Romont: je ne sais pas lequel est le pire des trois…» Quelques années plus tard, il paraît que le directeur du Musée du vitrail lui en veut encore. Il est comme ça, Flavien Droux. Punk un jour, punk toujours.

Après dix éditions, l’Appel Festival s’achève en apothéose en 2012. Entre-temps, après un «bel automne de réflexion», l’association Scène 9 a pris son envol en 2009. «Je me souviens que Philippe Jordan, l’ancien directeur du CO, a débarqué à une réunion. En fait, il était comme nous: il voulait que ça bouge.»

On n’est peut-être pas des étoiles, mais quelque chose est bel et bien né.

Avec sa bande de jeunes, Flavien Droux n’est pas qu’un de ces mecs qui picolent et organisent des concerts à la fraîche. «Du chaos naissent les étoiles», affirme le Glânois, qui cite au passage Charlie Chaplin, son héros, son maître à penser. «On n’est peut-être pas des étoiles, mais quelque chose est bel et bien né.»

A l’école de la débrouille, Flavien Droux n’était pas le chef de la bande. «Disons plutôt le coordinateur. Je faisais tout de A à Z: la programmation, la comptabilité, la technique, le rapport avec les médias. Oui, ça m’a appris énormément, affirme-t-il non sans nostalgie. Je n’abandonne pas l’idée de remonter un jour le festival en forêt. On postera un message le matin même pour dire où il aura lieu…»

A coups sûrs, il y aura de la bière… et du Sinalco.

 

Ebullition,
une deuxième maison

«Je n’ai jamais eu de problème pour me lever le matin, car je n’ai pas vraiment l’impression de travailler.» Après avoir postulé une première fois pour le rôle de programmateur à Ebullition – il avait répondu à l’entretien d’embauche par Skype depuis Vancouver – Flavien Droux est engagé en 2012 pour succéder à Yannick Neveu. «A force d’entendre des gens dire qu’Ebullition était leur deuxième maison, j’ai commencé à flipper. Ici, le côté émotionnel est très important. Mais c’est mégapositif!»

Huit ans après ses premiers pas dans le monde de la musique, Flavien Droux se retrouve dès lors avec une enveloppe budgétaire de 80000 francs, une carte blanche et un salaire à mi-temps. Le rêve. «Au début, je me posais plein de questions. Chacun a une vision très personnelle d’un lieu comme Ebullition.» Avec une centaine d’événements organisés et plus de 12000 spectateurs par saison, le club bullois ne s’est jamais aussi bien porté. «En plus, la technique est parfaite, le staff est au top, les finances sont nickel.» Que demander de plus?

Familial et alternatif
«J’aime l’esprit d’Ebull, ce côté à la fois familial et alternatif, avoue le titulaire d’un bachelor d’animateur socioculturel. C’est un endroit assez à part dans l’univers des clubs en Suisse romande. Il correspond à ma personnalité, à mes valeurs. C’est pour ça que je m’y sens bien.»

Quel souvenir! Passer un après-midi avec 50 armaillis et boire de la Grande Gruyère dans les loges à 3 heures du matin!

Treizième salaire en bières Pour le programmateur, le week-end est la concrétisation de sa semaine. «Je fais venir les groupes que je veux voir sur scène.» En 2014, Flavien Droux a fait fort en invitant à l’ancien Lux les Armaillis de la Gruyère et Henri Dès. Deux concerts anachroniques pour cette salle, mais qui ont bénéficié d’un large écho médiatique. «Quel souvenir! Passer un après-midi avec 50 armaillis et boire de la Grande Gruyère dans les loges à 3 heures du matin! Une fois de plus, le but était de faire se rencontrer les gens, de casser les barrières. Je crois que c’était réussi.»

Pour autant, Flavien Droux refuse l’étiquette d’enfant sage: «Plus Ebullition concerne et intéresse des gens différents, plus ce lieu a sa place à Bulle. On y joue tous les styles, on y présente du théâtre, de l’impro. Je ne fais ça ni pour une élite ni pour la police du rock!» En attendant 2016 (25 ans d’Ebull et 100 ans du cinéma Lux), le programmateur met la touche finale à sa fin de saison. En parallèle, il donne un coup de main au Festival du Gibloux, qui fêtera sa 29e édition le 26 et 27 juin et sa 30e du 2 au 4 juillet. Insatiable, vous disait-on.

 

Flavien Droux en trois temps forts

appelLe 10e Appel Festival
Après dix éditions «à faire les 400 coups», l’Appel Festival décide de s’achever en beauté, en 2012. «A la fin du concert de Todos Destinos, on s’est pleuré dans les bras comme des petits enfants. C’était la fin d’une certaine époque. Maintenant, on se voit moins avec les potes glânois. Mais ce soir-là, on a réalisé que le combat en valait la peine…»

Les skatalites à ébullitionskatalites
«Certains programmateurs rêvent de faire venir les Stones, moi je ne pensais qu’aux Skatalites!» Le fantasme se réalise le 1er août 2013. «Le groupe a demandé de pouvoir regarder les feux d’artifices avant de monter sur scène. Ensuite, ils ont joué plus de deux heures devant la salle comble, se souvient Flavien Droux. On a ramené Doreen Shaffer et Lester Sterling bras dessus bras dessous à l’hôtel. On chantait dans la rue comme des enfants. Un très grand moment.»

jcdrouxPapa sur scène
On n’a pas tous les jours l’occasion de programmer son papa, comme ce fut le cas en 2013 avec la venue d’Agathe Blues Band. «Mes parents venaient voir des films au Lux. C’est drôle d’y travailler maintenant. Ils m’ont toujours soutenu. Quand Michel Corpataux m’a remercié à la fin du concert des Armaillis de la Gruyère, c’était mieux que leur présenter n’importe quel diplôme.»

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