«Tu peux pas aimer Florent Pagny, il ne chante que les voyelles!» Ce fut la tonitruante réaction de l’écrivain Marc Milliand, par ailleurs excellent prof de guitare, à un élève lui exposant ses préférences en matière de chansons…

«C’est quand même incroyable, me confia Milliand devant une bière… On se base sur les critères du XIXe siècle pour juger une voix… Tout dans la puissance rien dans la finesse…» Je l’écoute, le nez dans ma mousse, et je comprends qu’effectivement, dans une voix, j’aime les consonnes… celles de Lou Reed, celles de Brassens, celles de Thiéfaine, celles de Dylan…

On dit quoi avec des voyelles? L’amour et la douleur, je t’aaiiiiiiiiime et j’ai maaaaaaaaaal. Mais l’ironie, le mépris, la fierté, la tendresse, tous ces sentiments que l’on ne traduit à l’oreille de l’auditeur qu’avec un rien de finesse, passent par des consonnes rudoyées, caressées, cassantes, claquantes, susurrées ou éructées…
Les chanteurs de voyelles sont de grands pourvoyeurs de glucose,
de sentiments servis à la louche, avec des paillettes et des roulements
de batterie de préférence.

Je ne cherche pas le combat, et je laisse volontiers les vocaliseurs
de hit-parade à ceux qui les aiment. Je constate simplement qu’un monde qui a goûté aux Rolling Stones et aux Cure, qui a eu la chance de vibrer à l’écoute de Johnny Cash, de Nico et de Tom Waits semble encore se passionner pour des brailleurs qui, certes, chantent juste, mais sont dépourvus de tout sens des nuances.

Brel n’aurait jamais passé les sélections de The Voice et un aimable producteur conseillerait à Brassens, Gainsbourg ou Ferré, de vendre leur textes à plus vocaliseurs qu’eux. Il est bon de s’en souvenir et de répéter haut et fort qu’un Bob Dylan chante quand même foutrement mieux qu’une Céline Dion.

par Michaël Perruchoud

Pour ces Francomanias, La Gruyère a proposé une carte blanche à Michaël Perruchoud, écrivain, éditeur et chanteur, cofondateur du site www.cousumouche.com