Barbara timide au piano (1)

tubeokMarre des virtuoses, marre des solistes invétérés qui assènent les notes à la volée, fiers de montrer leur technique à grands moulinets de guitares électriques ou à taper sur un piano à le faire gémir. Ces égoïstes ne jouent jamais que pour eux, pour montrer au public ce qu’ils savent faire. Ceux-là veulent mettre l’assistance k.-o., les critiques à genoux, soumettre le monde entier à ce talent qu’ils arborent comme une évidence. Ils sont leurs propres panneaux publicitaires, en sueur et en rythme.

On les admire certes, comment faire autrement, mais l’art c’est quand même autre chose, ça nécessite un peu plus de tripes, un peu moins de technique. L’art, c’est un ressenti, une retenue, un partage, c’est transmettre une émotion sans abuser de ses effets, c’est ouvrir une putain de porte qui grince sur une lumière insoupçonnée.

L’art n’a pas une méthode, l’art n’a pas de recettes, l’art n’est pas un procédé.

L’art, c’est Barbara timide à son piano, couvrant peu à peu le bruit des conversations du Café de l’Ecluse. L’art, c’est Gérard Manset qui, depuis plus de quarante ans, peaufine dans son coin des albums à part, difficiles à l’oreille, sans concessions à l’air du temps, sans les présenter sur scène, parce qu’«une chanson ne se vend pas comme une lessive». L’art, c’est Richard Desjardins qui s’offre un poème de dix minutes sans clin d’œil, sans sourire, parce que dans la beauté, il faut entrer tout droit, les veines à nu… Parce que les vraies rimes marquent au sang. L’art n’a pas une méthode, l’art n’a pas de recettes, l’art n’est pas un procédé. Et, devant un public, l’essentiel n’est pas de prouver que l’on sait jouer, mais juste de donner la note qu’il faut, celle qui noue le bide ou qui lie les âmes…

Tout ce qui est excessif est dérisoire, et les chansons que l’on fredonne sont belles sans artifices. Johnny Cash en fait l’éclatante démonstration, quand il reprend One, tube parmi les tubes de U2. Cette chanson est effectivement un bijou et l’on s’en rend d’autant mieux compte quand Cash la présente sans écrin, nue, muni d’une guitare et de sa voix fatiguée. «Merci de m’avoir révélé ce qu’il y avait dans ma chanson», avait d’ailleurs dit Bono, sacrément fair-play sur le coup…

Quant à moi, seul au soir finissant ou en pénétrant dans une salle de concert, je répéterai en leitmotiv: je veux de la chanson avant toute chose, et sans artifices de préférence!

par Michaël Perruchoud

Pour ces Francomanias, La Gruyère a proposé une carte blanche à Michaël Perruchoud, écrivain, éditeur et chanteur, cofondateur du site www.cousumouche.com

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