Plaza Francia, le tango féminin ravivé avec Catherine Ringer

D’un côté, deux membres du Gotan Project. De l’autre, Catherine Ringer, l’ancienne égérie des Rita Mitsouko. A trois, ils réinventent la chanson tango sous le nom de Plaza Francia. Entretien avec le Suisse Christoph Müller, avant leur venue aux Francomanias de Bulle.plazafranciaa

par Christophe Dutoit

Vendredi passé, sur le coup de midi, Christoph Müller prépare le concert de Plaza Francia (prononcez «Plassa Francia») à Thonex. Au téléphone depuis sa chambre d’hôtel, il raconte sa rencontre avec Catherine Ringer. «Je m’en souviens très bien, car c’était assez extraordinaire. On est allé chez elle et on a enregistré dans son salon. Tout simplement. Notre chanson tournait en play-back et elle a chanté avec juste un micro…» Pas peu fier, il avoue même avoir pris son vinyle de No comprendo pour le faire signer à la chanteuse. «Je suis arrivé chez elle en fan et je suis reparti subjugué de l’entendre chanter une de nos chansons et que ça sorte aussi bien en espagnol.»

Membre fondateur du Gotan Project en 1999, le Suisse poursuit en effet sa rénovation du tango, après trois albums qui ont connu un succès planétaire. «On a essayé de s’éloigner de l’univers très instrumental et très électro de Gotan et d’amener le tango vers la chanson.» Avec le guitariste Eduardo Makaroff, il se met en tête de réunir plusieurs voix «plutôt anglo-saxonnes, de l’univers du rock ou de la pop».

Catherine est quelqu’un de très doué, mais qui travaille aussi beaucoup. Elle a cette image un peu fofolle, qui est tout à fait vraie, car elle a de la fantaisie. Mais elle a aussi une grande rigueur.

Sur une liste apparaît le nom de Catherine Ringer, la diva des Rita Mitsouko, esseulée depuis la mort de son compère Fred Chichin en 2007. «On a eu la chance d’essayer deux chansons avec elle. Petit à petit, on s’est rendu compte qu’on s’entendait bien et qu’il serait sans doute compliqué de “trimbaler” beaucoup de chanteuses en tournée.» D’un projet collectif, Plaza Francia se transforme en trio, qui vient de publier A new tango songbook.

Une grande rigueur
Dès les premières notes de La mano encima, premier single de l’album, la magie opère. La voix de Catherine Ringer virevolte, roule les R, aguiche et séduit. Dans un espagnol qu’elle ne parle pourtant pas… «Catherine est quelqu’un de très doué, mais qui travaille aussi beaucoup. Elle a cette image un peu fofolle, qui est tout à fait vraie, car elle a de la fantaisie. Mais elle a aussi une grande rigueur. On s’apprécie mutuellement pour ça.»

Avant d’entrer en studio, la chanteuse a répété avec l’Argentin du groupe. «Eduardo Makaroff a commencé par lui traduire ses textes, pour qu’elle sache parfaitement ce qu’elle chante. Puis, ils ont travaillé la phonétique, la prononciation. On était assez ouvert à l’idée de conserver son accent français. Ce qu’a fait Catherine est presque trop bien.»

La Parisienne est bluffante et elle se révèle finalement une sacrée chanteuse de tango.

Dès la première écoute, la Parisienne est bluffante et elle se révèle finalement une sacrée chanteuse de tango. «Carrément, reprend Christoph Müller. Et avec un naturel extraordinaire. On avait en tête cette idée de marier le tango avec la pop ou le rock. Du coup, elle est parfaite.»

Paroles au féminin
Dans un monde de la tango cancion dominé par les hommes, la touche féminine n’est pas seulement incarnée par Catherine Ringer, mais aussi au travers des paroles, toutes écrites au féminin. «Le premier titre parle expressément d’une femme sur qui un homme lève la main et elle dit: “Stop! Même avec tout l’amour que j’ai, c’est une frontière à ne pas dépasser.” Ce sont des thèmes forts.»

Moins électronique que Gotan Project, Plaza Francia n’en use pas moins de sonorités contemporaines. «On n’a pas voulu écrire une musique rétro, analyse l’ancien musicien de Touch El Arab, qui a connu son heure de gloire sur Couleur 3 à la fin des années 1980. Mais on s’est quand même baladé dans les époques. On s’est inspiré d’Otis Redding, avec un brin de new wave quand même, car ça nous unit un peu tous.»

Formule électrique
Sur la grande scène des Francomanias le 30 mai prochain, le groupe proposera une formule assez électrique. Avec un joueur de bandonéon, un bassiste français qui a vécu à Buenos Aires et les trois auteurs du disque. «On a toujours l’idée de reproduire, un jour, les arrangements du disque avec un orchestre. Mais c’est compliqué. On s’est alors dit qu’on allait réinventer ces titres pour notre tournée. C’est l’avantage de la chanson et c’est pour cette raison que le disque s’appelle Songbook. Ces titres ont été conçus pour que les gens les chantent accompagnés d’une guitare ou d’un piano.»

Pour qui a déjà vécu un concert de Gotan Project ou des Rita Mitsouko, l’alliage des deux s’annonce énergique. «Au début de la tournée, Catherine devait bien se concentrer. Ce qui lui donnait une retenue assez naturelle, quelque chose de plutôt sobre.» Après les trois soirées au Printemps de Bourges et le concert des Folies Bergères, elle «se lâche petit à petit, ce qui est très agréable, se réjouit l’Helvète du trio. Les concerts de Gotan Project étaient plus anonymes. Là, on tient l’une des meilleures interprètes du monde…»

Promis, on vérifiera si c’est bien le cas, à Bulle le 30 mai.

Plaza Francia
A new tango songbook
Because Music

Bulle, Francomanias, vendredi 30 mai. Infos: www.francomanias.ch

 

L’interview intégrale de Christoph Müller

D’où est née cette envie d’ouvrir votre univers musical à la chanson?
En 2005, on avait déjà écrit la musique du film Je ne suis pas là pour être aimé, de Stéphane Brizé. On s’est découvert d’autres envies, d’aller vers des musiques plus acoustiques. On a essayé de s’éloigner de l’univers de Gotan Project – très instrumental et très électro – et d’amener le tango vers la chanson. On voulait qu’il soit interprété par des voix féminines. On a pensé à des chanteuses plutôt anglo-saxonnes, de l’univers du rock ou de la pop. On a commencé à faire des listes, à en contacter certaines. Parmi elle est apparu le nom de Catherine Ringier. En fait, je suis fan des Rita Mitsouko depuis mon adolescence. Comme pour beaucoup de gens. Assez rapidement, on a eu la chance d’essayer deux chansons avec elle. C’était formidable. Petit à petit, on s’est rendu compte qu’on s’entendait bien, qu’on avait une synergie. Nous avons commencé à parler de la scène, qu’il serait sans doute compliqué de «trimbaler» beaucoup de chanteuses. Imaginez un peu! Elle s’est dit: «Oui, je peux chanter davantage de chansons.» Du coup, on a adapté toutes les chansons et on finit tout l’album avec elle. Ça s’est fait petit à petit, de manière assez naturelle, avec beaucoup d’enthousiasme des deux côtés.plazafranciachristoph

Racontez-nous votre première rencontre avec Catherine Ringier?
Je m’en souviens très bien, car c’était assez extraordinaire. On est allé chez elle et on a enregistré dans son salon. Tout simplement. Notre chanson tournait en play-back et elle a chanté avec juste un micro… En fait, je suis arrivé en fan. J’avais amené mon vinyle de No comprendo, acheté à l’époque, et j’ai commencé par le faire signer. Pour être honnête, j’étais vraiment subjugué. De l’entendre chanter une de nos chansons et que ça sorte aussi si bien en espagnol. Catherine est bosseuse. C’est quelqu’un de très doué, mais qui travaille aussi. Elle a cette image un peu fofolle, qui est tout à fait vraie, car elle a beaucoup de fantaisie. Mais elle a aussi une grande rigueur dans le travail. On s’apprécie mutuellement pour ça.

Du coup, après cette première rencontre, comment a-t-elle travaillé, notamment au niveau de l’espagnol, une langue qu’elle ne parle pas?
Eduardo Makaroff l’a coachée. Il a commencé par lui traduire ses paroles, pour qu’elle sache parfaitement ce qu’elle chante. Puis, ils ont travaillé la phonétique, la prononciation des mots. On était assez ouvert à l’idée de conserver son accent français. J’aime beaucoup les disques de Nat King Cole en espagnol, malgré son accent à couper au couteau. Ça a tout un charme. Ce qu’a fait Catherine est presque trop bien. Même pour les Argentins, il faut un peu de temps pour se rendre compte de son accent.

Catherine arrive parfaitement à faire passer l’émotion des chansons même à ceux qui ne comprennent pas l’espagnol.

Le public hispanophone va comprendre les paroles et les autres vont être pris par la musique des mots…
Absolument, Catherine arrive parfaitement à faire passer l’émotion des chansons même à ceux qui ne comprennent pas l’espagnol. On écoute tous des chansons dans des langues inconnues. Je pense à Cesaria Evora qui chantait en portugais: elle avait un public énorme, qui ne comprenait pas ses textes. Ou à Youssou N’Dour, en wolof. L’émotion passe quand même. Et là, Catherine est très forte.

Elle se révèle finalement être une sacrée chanteuse de tango…
Carrément et avec un naturel extraordinaire. Tout en gardant son côté rock. Pour nous, c’était une révélation. On avait en tête cette idée de marier le tango avec la pop ou le rock. Du coup, elle est parfaite. Car elle a les deux. Le rock et la gouaille, car elle aime aussi les chansons populaires françaises un peu anciennes, qui sont un peu cousines du tango. Elle a vraiment donné du sens à ce que l’on voulait faire. Elle est devenue le casting idéal.plazafranciacatherine

Au-delà de cette figure, on remarque une nouvelle évolution de votre musique depuis la période Gotan Project…
Oui. On s’était donné un cadre assez strict pour s’éloigner le plus possible de l’univers de Gotan. On voulait faire un disque plus acoustique, avec un batteur, aller plus loin dans les arrangements, mais aussi vers des formats plus courts. On a beaucoup composé en mode majeur. Ce qui est très différent et plus difficile, entre guillemets. Après, on s’est permis de digresser… De mon côté, j’ai beau vouloir m’en éloigner, l’électro revient au tournant.

Quelles ont été vos influences?
Ce qu’on écoute depuis toujours: des Beatles jusqu’à aujourd’hui. On n’a pas voulu écrire une musique rétro, mais on s’est quand même baladé dans les époques. On s’est inspiré d’Otis Redding, un brin de new wave quand même, car ça nous uni un peu tous. Je pense que ça donne curieusement quelque chose de très moderne.

La musique électronique suisse a été très importante, avec des gens comme Bruno Spoerri, Yellow ou Stephan Eicher et son premier groupe Grauzone.

Quelle importance à pour vous le chanteur Carlos Gardel?
L’univers de la tango cancion est dominé par Carlos Gardel bien évidemment. Par rapport à l’interprétation, ce serait plus proche de Roberto Goyeneche. Gardel, comme Piazzolla, est une grande figure du tango. Personnellement, j’adore ses mélodies interprétées par Hugo Díaz à l’harmonica. La manière de chanter de Gardel a un peu vieilli, comme le son des enregistrements. Mais les mélodies sont magnifiques.

Dans l’histoire du tango chanté, la touche féminine n’est pas dominante. Pourquoi ce choix?
Il y a eu pas mal de chanteuses de tango, mais, historiquement, les hommes sont plus connus. Nous n’avions pas de références féminines, car on n’aimait pas trop leurs tics. Tous les textes sont écrits au féminin. Le premier parle carrément d’une femme sur qui un homme lève la main et elle dit: «Stop! Même avec tout l’amour que j’ai, c’est une frontière à ne pas dépasser.» Ce sont des thèmes forts.plazafranciaeduardo

Vos origines suisses ont-elles eu une influence sur votre musique?
La musique électronique suisse a été très importante, avec des gens comme Bruno Spoerri, Yellow ou Stephan Eicher et son premier groupe Grauzone. Je rigole parfois, à cause du fameux Kriminal tango de l’orchestre d’Hazy Osterwald, qui est tout sauf un tango, mais qui est très marrant.

A la fin des années 1980, votre groupe électro-pop Touch El Arab était même en repérage sur Couleur 3…
Oui, c’est un souvenir très fort. Sans ce groupe, je n’aurais pas osé entamer une carrière de musicien. Notre maxi Muhammar a eu un impact extraordinaire, même sur le plan international. Mais le groupe n’a pas survécu. On avait à peine vingt ans!

Quelle forme Plaza Francia prend-il sur scène?
On a toujours l’idée de reproduire, un jour, les arrangements du disque avec un orchestre. Mais c’est compliqué. On s’est alors dit qu’on allait réinventer ces titres pour notre tournée. C’est l’avantage de la chanson et c’est pour cette raison que le disque s’appelle Songbook. Ces titres ont été conçus pour que les gens les chantent accompagnés d’une guitare ou d’un piano. Sur scène, on a choisi une formule assez électrique. Avec Facundo Torres au bandonéon, qui nous a déjà accompagnés avec Gotan Project, et Romain Lecuyer, un bassiste français qui a vécu à Buenos Aires et qui connaît très bien le tango. Eduardo jouera évidemment des guitares et moi le reste, des claviers, des boîtes à rythmes, des cordes… Et Catherine, évidemment.

Sur scène, avez-vous besoin de lui tenir les rênes?
Au début, elle devait bien se concentrer. Ce qui lui donnait une retenue assez naturelle, quelque chose de plutôt sobre par rapport à ce qu’on connaît d’elle. Mais maintenant, elle se lâche petit à petit, ce qui est très agréable. Les concerts de Gotan Project étaient plus anonymes. Là, on tient l’une des meilleures interprètes du monde…

Qu’en est-il de l’avenir de Gotan Project?
Le groupe est très sérieusement en sommeil. On verra. On est un peu débordé par l’accueil que l’on reçoit actuellement et la tournée ne fait que commencer. Catherine mériterait d’être connue dans le monde entier, car elle est au top et je pense que notre musique peut plaire n’importe où dans le monde.

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