Un duel à mots vifs au crépuscule

Duel verbal de haut vol, Un patricien au crépuscule joue finement avec l’histoire et les conflits de génération.patricien

par Eric Bulliard 

Des murs de bois et de toile, entre rigidité vieillie et légèreté. Côté jardin, le fauteuil rouge de l’aristocrate fribourgeois Nicolas-François-Xavier de Reynold. Côté cour, le chevalet du peintre Gottfried Locher. Entre cet ancien monde et le nouveau, l’ombre de la claveciniste Jovanka Marville et un vide que seul le portraitiste fait parfois mine de franchir. Cette scénographie de Sébastien Guenot est à l’image d’Un patricien au crépuscule, la pièce de Jean Steinauer, présentée jusqu’au 15 février à l’aula du Collège St-Michel: à la fois sobre et riche de sens. A partir d’un tableau de 1775 du Musée d’art et d’histoire de Fribourg, l’auteur s’est demandé ce que pouvaient bien se dire ce noble en fin de vie et ce peintre de 40 ans son cadet.

Entre eux, un fossé. Des générations et des classes différentes, le passé et l’avenir: «Nous vivons le grand déclin, nous vivons la perdition et la perversion de nos valeurs», se plaint de Reynold. Plein de vie, l’artiste croit de son côté au bonheur et aux idées nouvelles exprimées par Rousseau. «Le peintre et son modèle se livrent une sorte de duel», estime Locher. Les mots s’échangent comme des coups, plus ou moins mouchetés, francs ou sournois. La pièce garde un fond historique, sans jamais paraître poussiéreuse ni pédante et reste fort actuelle: «La France va mal, le pays croule sous les dettes», se lamente par exemple le vieil homme.

Dignité dans la souffrance
Jean Steinauer s’appuie sur l’érudition sans en faire étalage et use finement d’images poétiques (la femme «droite comme une pousse de frêne») ou de son sens de la formule: «Vous n’avez qu’une progéniture à nourrir. Moi j’ai un lignage à maintenir», lâche de Reynold, émouvant dans sa lutte pour la dignité.

Le personnage aurait pu n’être qu’un vieillard aigri, il se révèle touchant dans son vain effort pour s’accrocher au passé.

Roger Jendly rend parfaitement l’ambivalence de cet homme souffreteux, qui peine de voir son monde disparaître. Le personnage aurait pu n’être qu’un vieillard aigri, il se révèle touchant dans son vain effort pour s’accrocher au passé. Le comédien excelle autant à montrer la douleur des articulations qui coincent qu’à manier l’humour, ne serait-ce que dans sa façon de prononcer «Gottfried».

De son côté, bien que paraissant plus jeune que les 40 ans de Locher, François Gillerot a la fougue idéale pour camper l’enthousiaste peintre. Au final, du pur théâtre, riche et intense, concentré sur une heure. Pour tout dire, on en aurait bien repris une tranche…

Fribourg, Collège Saint-Michel, jusqu’au 15 février (sauf le lundi), 20 h 30. Réservations: Fribourg Tourisme, 026 350 11 00

 

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