Avec de Reynold, c’est tout un monde qui s’effondre

Un peintre et son modèle, un aristocrate qui voit son monde s’écrouler: tel est le thème d’Un patricien au crépuscule, de Jean Steinauer, avec Roger Jendly. A découvrir dès samedi.

Un patricien au crépuscule©C.Lambert

par Eric Bulliard

Au départ, un tableau: Portrait de Nicolas-François-Xavier de Reynold, par Gottfried Locher (1775). Habits sombres, perruque blanche, visage fermé comme pour un adieu à l’Ancien Régime. L’œuvre a inspiré l’historien Jean Steinauer pour Un patricien au crépuscule: sa pièce est jouée dès samedi et jusqu’au 15 février, à l’aula du Collège Saint-Michel. Avec Roger Jendly dans le rôle de l’aristocrate en fin de vie et François Gillerot dans celui du peintre.

Ce portrait, Jean Steinauer l’a d’abord étudié pour une conférence donnée en 2011 au Musée d’art et d’histoire de Fribourg, où l’œuvre est exposée. Puis, pour un article paru dans Les annales fribourgeoises. «En travaillant sur le fonds d’archives Reynold, qui est extrêmement riche, j’en suis venu à me demander ce que ces deux hommes pouvaient se dire.»

Thèmes d’actualité, âge, statut social, vision du monde: tout sépare l’aristocrate de l’artiste. Mais, le temps de cinq séances de pose, ils se rapprochent, échangent leurs points de vue. Nous sommes en 1775, «la première année du règne de Louis XVI», rappelle Jean Steinauer. Le traité d’alliance avec la France est renégocié «et Reynold sait que ça se présente très mal».

«On peut toujours voir des gens qui, au moment de lâcher la rampe, sentent que tout fout le camp, que le monde dans lequel ils ont vécu est en train de disparaître»

Ce fond historique n’empêche pas la pièce de se pencher sur des thèmes qui restent d’actualité: «On peut toujours voir des gens qui, au moment de lâcher la rampe, sentent que tout fout le camp, que le monde dans lequel ils ont vécu est en train de disparaître», relève Jean Steinauer. Actuelles aussi, ces discussions sur l’éducation des enfants, ces questions sur la rigueur ou le laisser-aller. Des idées neuves, à l’époque, que Rousseau venait d’exposer dans son Emile.

L’ami Roger Jendly
Au moment de se faire peindre le portrait, Nicolas-François-Xavier de Reynold a 80 ans. Il mourra dans l’année. Ancien officier en France, ancien bailli de Montagny et de Bellegarde, seigneur de Pérolles et de Cressier, il est surtout le dernier «dispensateur des libéralités du roi»: c’est lui qui, à Fribourg, est chargé de distribuer les pensions versées par Louis XV. Le genre de personne à qui on n’oublie pas de dire bonjour, ironise Jean Steinauer.

Un patricien au crépuscule©C.Lambert

Gottfried Locher (1735-1795) avait 40 ans de moins que son modèle. Venu de Souabe, il s’est imposé comme le principal représentant du rococo à Fribourg et en Suisse romande. Outre une trentaine de portraits, on lui doit notamment le tableau d’autel de l’église Saint-Michel et le plafond de l’Hôtel de Ville.

Pour Jean Steinauer, ce projet est aussi l’occasion de retrouver le comédien Roger Jendly, «un copain d’aussi loin que remontent mes souvenirs». La mise en scène aurait dû être confiée à André Steiger, décédé l’an dernier. Au final, le comédien se met lui-même en scène, ainsi que son partenaire François Gillerot. «La pièce est conçue comme un débat télévisé, une partie de ping-pong», précise l’auteur. Des «respirations» musicales seront assurées par la claveciniste Jovanka Marville.

Eviter« l’historicisant»
Après Le tanneur (2005) et Peter Falk (2007), Un patricien au crépuscule constitue la troisième pièce d’envergure de Jean Steinauer, auteur également de plusieurs revues Fribug. Des «petits Mickeys», comme il les appelle, qui ont l’avantage «d’apprendre à soigner les répliques et les chutes, à faire attention à l’oreille».

«Je voulais éviter d’être comme ces gens qui écrivent “oyez, oyez” pour faire moyenâgeux…»

Malgré l’arrière-plan historique, Jean Steinauer a ôté tout aspect «historicisant. Il faut bien être d’un lieu et d’un moment, mais j’ai enlevé toute couleur locale, tout exotisme. Je voulais éviter d’être comme ces gens qui écrivent “oyez, oyez” pour faire moyenâgeux…»

Les recherches historiques, en revanche, lui ont servi pour appréhender l’intimité des personnages. Au point que, quand il a vu le premier filage, Jean Steinauer a eu «l’impression de rencontrer pour la première fois un type dont j’avais beaucoup entendu parler».

Fribourg, aula du Collège Saint-Michel, du 1er au 15 février (lundis relâche) Réservations: Fribourg Tourisme, 026 350 11 00

 

 

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