Werner Schuwey, 50 ans «de hobby, de plaisir, de mission»

Il y a exactement cinquante ans, Werner Schuwey devenait titulaire de l’orgue de Bellegarde. Portrait.

Werner Schuwey©C.Lambert

par Christophe Dutoit

Dimanche soir, le Cantorama de Bellegarde se réchauffera d’une émotion toute particulière, à l’occasion du concert de l’ensemble baroque de Simon Hebeisen. Il y a cinquante ans jour pour jour, Werner Schuwey tenait en effet pour la première fois le poste de titulaire de l’orgue paroissial de Bellegarde.

Rencontré il y a quelques jours, le Jauner regarde ce demi-siècle d’aventures musicales avec une certaine fierté. «Pour moi, l’orgue est à la fois un hobby, un plaisir et une mission.»

Bon élève à l’école primaire à la fin des années 1950, le jeune Werner a la chance de faire une année d’école secondaire. «Le curé de l’époque a dit à mes parents que je devais faire des études. Ils ont bien dû me pousser, car je voulais être paysan!»

Du coup, l’adolescent entre directement en 2e secondaire à Fribourg où il loge chez une veuve. «Je partageais la chambre de ses deux garçons. J’ai appris le français avec eux», raconte-t-il avec sa voix de baryton qui roule les R avec un charme fou.

Pour Noël, mon père m’a offert un Laudate, avec les notes encore carrées et le ruban rouge qui sépare les pages.

Quelques mois plus tard, son instituteur l’inscrit, à son insu, aux examens d’entrée à l’Ecole normale. «C’est comme ça que j’y suis arrivé…»

Le Laudate au ruban rouge
Jusqu’à cette période, Werner Schuwey n’avait jamais joué de musique. «J’ai grandi dans une famille paysanne, des “pauvres montagnards”. On n’avait pas les moyens de s’acheter un instrument.» Tout au plus chantait-il avec son papa le dimanche à la messe, fier comme Artaban de monter à la tribune alors que ses copains restaient dans les travées. «Pour Noël, il m’a offert un Laudate, avec les notes encore carrées et le ruban rouge qui sépare les pages, se remémore-t-il. J’ai même écrit une petite histoire à ce sujet. Vous savez, à Bellegarde, on me demande souvent de parler de l’ancien temps, de raconter des histoires en Jaunertütsch.» Tout en terminant sa phrase, le retraité âgé de 70 ans disparaît dans la pièce voisine et revient avec le sourire de l’enfant surpris le doigt dans le pot à confiture. «Regardez, je l’ai toujours, ce Laudate!»

A l’Ecole normale, Werner Schuwey tombe en amour avec la musique. «Nous avions la possibilité de jouer une demi-heure par jour.» En 1960, plus d’hésitation. L’apprenti instituteur achète un piano avec l’argent avancé par sa marraine. «Un Blüthner, un piano d’une qualité fantastique», toujours fidèle dans la pièce adjacente.Werner Schuwey©C.Lambert

En 1963, Werner Schuwey reçoit la proposition d’enseigner à Bellegarde. «J’ai téléphoné à mes parents depuis la cabine de la route de Morat. Je crois qu’ils étaient heureux que je revienne.» Du coup, le jeune homme termine son école de recrue le samedi 16 novembre. Le lendemain, il joue pour la première fois la messe de Bonifatius à Bellegarde. «Et, pour le lundi matin, on m’avait donné les clés de l’école. J’ai commencé avec 51 élèves, de la troisième à la neuvième!»

Au fond de sa vallée, Werner Schuwey tient non seulement les rôles d’instituteur et d’organiste, mais aussi de directeur du chœur d’homme (qui devient sous peu mixte) et de la fanfare. «Ce n’était pas rien à l’époque!»

Mon fils dirigeait le chœur mixte sur la tribune et moi le chœur d’enfants en bas. C’était très émouvant.

En 1972, le jeune homme dirige une messe de Schubert avec le chœur d’enfant (il en sera également le directeur durant trente ans), la fanfare et le chœur mixte. «Cet événement m’a beaucoup touché. Tout comme la messe de minuit dans le Cantorama rénové, en 1990. Il neigeait, il faisait froid. Mon grand-père m’avait beaucoup parlé de cette église. Mon fils dirigeait le chœur mixte sur la tribune et moi le chœur d’enfants en bas. C’était très émouvant.»

Aujourd’hui, Werner Schuwey ne regrette pas de ne pas être devenu paysan comme il l’aurait tant aimé. «J’ai eu de la chance d’avoir fait ce chemin.» Comme enseignant, il a longtemps travaillé avec des classes pratiques, des élèves qui avaient des moyens manuels très forts. «Je crois que je suis arrivé à développer des choses intéressantes, dit-il modestement. Je me souviens de cet adolescent venu du Kosovo, avec qui j’ai passé de nombreuses heures pour lui apprendre la langue. Plus tard, il m’envoyait des cartes postales d’Amérique du Sud. Il était devenu chef mécanicien chez Swissair.»

Werner Schuwey©C.Lambert

Quant au Cantorama, Werner Schuwey a suivi de très près sa rénovation. Il fut tour à tour secrétaire, caissier «désargenté» et président la commission de restauration de l’orgue. «Depuis quinze ans, je siège au conseil de fondation et je préside la commission des concerts.»

Un plénum de cathédrale
Sur cet orgue de 1786, il aime jouer Bach, Mendelssohn ou le Canon de Pachelbel. «Avec ses six jeux, il offre beaucoup de possibilités. Son plénum sonne comme celui de la cathédrale de Lyon. Ça donne les frissons.» Soudain, il se relève prestement, disparaît à nouveau et revient avec un petit coffret en bois qui contient une clé. «Je l’ai reçu en cadeau de la part de la maison qui a restauré l’orgue. Avec cette clé, je peux jouer sur tous les instruments de la marque Goll, partout dans le monde.»

Il n’a toutefois pas besoin d’aller si loin puisque l’un de ses cousins trône dans la pièce du fond, sous un crucifix sculpté par Walter Cottier. «J’ai joué au temple d’Apples pour le mariage de la fille d’un collègue de service militaire. Un jour, il m’a dit que cet orgue était à vendre et j’ai pu l’acheter. J’ai un plaisir immense à en jouer.»

Lorsque j’ai congé certains dimanches, il me semble qu’il a manqué quelque chose.

Rassurez-vous, Werner Schuwey n’est pas encore rassasié. Après avoir été titulaire durant trente et un ans à Bellegarde, il joue depuis dix-neuf ans à Chevrilles. «Tant que j’ai la santé, je continuerais. Lorsque j’ai congé certains dimanches, il me semble qu’il a manqué quelque chose.» Dire que ça fait cinquante ans que ça dure…

Hommage baroque

Restauré en 2011, l’orgue historique du Cantorama sera à l’honneur ce dimanche soir. Et qui mieux que le restaurateur lui-même pour donner un aperçu des possibilités incroyables de cet instrument daté de 1786? En effet, Simon Hebeisen (orgue et basse) – directeur de la manufacture Goll SA à Lucerne – conduira un ensemble baroque composé de Petra Galliker (soprano), Lukas Werthmüller (orgue) et Josef Muff (trompettes). Le quatuor interprétera des œuvres de style baroque, notamment des sonates de Vivaldi et de Bach, la Suite pour orgue N°7 de Händel et des pièces de Caldara et de Caccini. Un verre de l’amitié sera servi en l’honneur de Werner Schuwey à l’issue du concert.

Bellegarde, Cantorama, dimanche 17 novembre, 17 h

 

 

Posté le par admin dans Musique, Portrait Déposer votre commentaire

Ajouter un commentaire