Louis Yerly, le théâtre vécu avec l’âme du vagabond

Depuis plus de trente ans, Louis Yerly est de ces hommes de l’ombre qui font vivre le théâtre. Pour les 40 ans de L’Arbanel, il monte La Cerisaie, de Tchekhov.Louis Yerly©C.Lambert

par Eric Bulliard

Dès la poignée de mains, cette évidence: Louis Yerly a de bonnes paluches d’artisan, pas d’intellectuel. Le théâtre, il le vit loin des salons feutrés, en travaillant depuis plus de trente ans auprès de prestigieux metteurs en scène, de Matthias Langhoff à Benno Besson. Dès demain, cet enfant de Treyvaux met en scène La Cerisaie, de Tchekhov. Un vieux rêve qu’il réalise à l’occasion des 40 ans de L’Arbanel.

Tchekhov, son regard si affûté sur l’humanité, Louis Yerly le découvre dès les débuts de Kléber-Méleau: pour l’inauguration du théâtre lausannois, en 1979, son fondateur Philippe Mentha a en effet monté Les trois sœurs. «La lecture de ce texte m’a beaucoup impressionné.»

Agriculteur de formation, Louis Yerly vient alors d’intégrer cet univers du théâtre. Un peu par hasard: il a 25 ans et s’intéresse plutôt au cinéma. Il travaille comme stagiaire sur un tournage qui se déroule dans le futur théâtre Kléber-Méleau. «Philippe Mentha a dû voir mes mains et il m’a dit: “Si tu ne sais pas quoi faire, tu peux venir nous aider.” J’ai commencé comme ça.» Il participe ainsi aux travaux qui permettent de transformer en théâtre l’ancienne usine à gaz de Renens.

De Vidy au Français
«Ensuite, c’est une histoire de rencontres», lâche Louis Yerly d’une voix fragile. Notamment avec le scénographe Jean-Marc Stehlé, décédé cet été. «Un type extraordinaire! Exigeant, mais d’une grande gentillesse. Des gens comme lui et Mentha, avec leur ferveur, m’ont donné envie de continuer dans ce domaine. Et comme je savais un peu construire…»

Je ne suis pas assez talentueux pour la scénographie. Pour être décorateur, il faut avoir des images qui viennent quand on lit le texte…

Louis Yerly travaillera alors comme constructeur de décors, mais aussi régisseur, technicien, éclairagiste, parfois comédien: «J’ai beaucoup bossé avec Matthias Langhoff et il m’a donné de petits rôles.» Quand sa sœur, Anne-Marie Yerly, triomphe dans son spectacle solo, en 1982, il est à la régie: c’est lui le Louis du titre Allume la rampe, Louis! Il signe aussi quelques scénographies, plus rarement: «Je ne suis pas assez talentueux. Pour être décorateur, il faut avoir des images qui viennent quand on lit le texte…»

Au fil des ans, Louis Yerly se retrouve dans d’innombrables collaborations, à Fribourg comme dans les plus prestigieux théâtres suisses (Vidy, la Comédie de Genève…), mais aussi en France, jusqu’à la Comédie-Française. En indépendant, toujours. Pas question pour lui de s’affilier à une institution: «J’ai trop besoin de bouger… J’ai un tempérament de vagabond. C’est aussi ce qui explique que j’ai quitté l’agriculture.»

Treyvaux, les racines
Tempérament de vagabond, peut-être, mais avec des racines solides. Non seulement Louis Yerly vit toujours dans son ancienne ferme de Treyvaux, mais il a aussi été régulièrement actif à L’Arbanel, dès les débuts. Ou quand il a fallu, par exemple, effectuer des travaux pour aménager la salle actuelle, notamment avec la scénographe Marie-Cécile Kolly.

L’Arbanel a en effet commencé par organiser des spectacles dans la grande salle de l’école, avant de trouver place dans l’ancienne halle de gym. «J’avais conseillé d’utiliser ces lieux, que je trouve bien proportionnés et adaptés à un village», souligne Louis Yerly.

Louis Yerly©C.Lambert

Pour l’inauguration, en 1991, il conçoit un montage de textes, Poulies, guindes et mouchoirs. Sa deuxième mise en scène à L’Arbanel, après La visite de la vieille dame (1986). Quelques années plus tard, il travaillera aussi avec les jeunes pour Nœud dramatique majeur (2003).

Une tour remarquée à Paris
Avec Marie-Cécile Kolly et Jean-Luc Giller, Louis Yerly a aussi été à l’origine de la Tour vagabonde, cette réplique démontable d’un théâtre élisabéthain. Construite à la base pour la troupe Malacuria de Sion, abandonnée quelques années, elle a été rachetée par ses concepteurs et est aujourd’hui propriété d’une fondation.

Ce printemps, la tour a fait sensation à Paris. «Plein de journaux en ont parlé, Le Figaro, Le Canard enchaîné…» sourit Louis Yerly. Il oublie de préciser que les critiques ont au moins autant évoqué la structure en bois que le Roméo et Juliette qui s’y jouait. Que, pour une fois, le travail des hommes de l’ombre éclatait en pleine lumière.

 

Un Tchekhov pour 40 ans

«Tchekhov est un auteur extraordinaire, qui me touche beaucoup, indique Louis Yerly. J’aime le regard extrêmement lucide, jamais moral, qu’il pose sur l’humanité. Avec toujours une humilité vis-à-vis des petites gens et un amour de l’homme, malgré toutes ses bêtises. Une certaine dérision, aussi.»

De cette œuvre essentielle du théâtre contemporain, Louis Yerly apprécie particulièrement La Cerisaie, qu’il met en scène dès demain à L’Arbanel, à Treyvaux. Un vieux rêve, jusqu’ici toujours repoussé. «Là, je me suis dit que si, à 60 ans, je n’osais toujours pas, je serais vraiment bête, sourit-il. C’est une pièce exceptionnelle. De plus, l’histoire pourrait très bien se passer dans une ferme d’ici, que ses propriétaires devraient quitter.»

Créée début 1904, quelques mois avant la mort d’Anton Tchekhov, La Cerisaie met en scène une fin de règne, la transition entre deux mondes. De retour de Paris où elle a dilapidé sa fortune, Lioubov Ranevskaïa retrouve sa propriété et les souvenirs qui lui sont attachés. Mais l’argent manque: elle doit se résoudre à vendre La Cerisaie.

Les comédiens amateurs ont un désir de bien faire, un amour des personnages qui amènent des couleurs intéressantes. J’en retire beaucoup de satisfaction.

C’est pour marquer son 40e anniversaire que L’Arbanel a choisi de présenter cette pièce. En y mettant les moyens: outre le metteur en scène, il a été fait appel à deux autres professionnels, Marie-Cécile Kolly pour la scénographie et Bertrand Cochard pour la création musicale. Les comédiens, eux, sont des amateurs de la troupe treyvalienne. «J’y vois des avantages, par rapport aux professionnels, estime Louis Yerly. Ils ont un désir de bien faire, un amour des personnages qui amènent des couleurs intéressantes. J’en retire beaucoup de satisfaction.»

Au total, une douzaine de comédiens se retrouvent sur scène. Neuf représentations sont prévues, dès demain et jusqu’au 23 novembre.

Treyvaux, L’Arbanel, du 8 au 23 novembre, les vendredis, samedis et le jeudi 21 à 20 h, les dimanches à 17 h. Réservations: Fribourg Tourisme, 026 350 11 00. www.arbanel.ch

 

 

 

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