Selon mon sonotone (7): Arno et Johnny Cash

Si la chanson est un art mineur, alors la reprise est trop souvent un art minable. Ceux qui s’ingénient à pomper le talent des autres sous prétexte d’hommage, quand encore ils n’oublient pas de façon éhontée de citer l’original, juste pour montrer au monde leur nouvelle boîte à rythme et combien ça groove mieux qu’au siècle passé, mériteraient d’être astreints à un stage de dentelle dans un monastère thurgovien pour apprendre les bonnes manières.sonotone

Non, les Guns N’ Roses ne sont pas les auteurs de Knockin’on heaven’s door, et c’est bien Desjardins et non pas Cabrel qui a chanté en premier Quand j’aime une fois, j’aime pour toujours.

Mais, dans une carrière, la reprise est devenue un exercice obligé, souvent une catastrophe. Il faut un sacré souffle pour dépoussiérer sans dénaturer, et même les très bons s’y cassent parfois les dents (Cali massacre la Rue Madureira de Ferrer, l’immense Bashung a raté son Tango funèbre)… On fouille sans vergogne dans les joyaux de la chanson, on sabote Reggiani, on rapetisse Léonard Cohen avec un sourire satisfait… quelle plaie!

Et quand l’exercice se révèle réussi (Noir Désir réinterprétant Ces gens-là de Brel, Jeff Buckley tutoyant les anges en réinventant le Hallelujah de Leonard Cohen), on se demande tout de même «à quoi bon?» L’original ne se suffisait donc pas à lui-même? N’êtes-vous pas meilleurs, messieurs dames, lorsque vous troussez vos propres chansons?

Restent les exceptions, souvent dans l’épure; et l’on pense bien sûr à Johnny Cash et ses American recordings. Tout en bout de vie, le troubadour country dépouille au lieu de piller, gratte jusqu’à l’os au lieu d’ajouter des flonflons. Il ne trahit pas, il révèle, sa voix crépusculaire éclaire les replis intimes des tubes et l’on se dit, médusés, que One de U2 est décidément une grande chanson et que la reprise gagne ici quelques lettres de noblesse.

Il y a bien un cow-boy flamand aux gros pieds, l’air bourru, mal réveillé, qui vitamine les Filles du bord de mer, s’attaque à Comme à Ostende de Ferré et au Bon Dieu de Brel avec une sincérité rock et une absence de préjugés déconcertante…

Qui d’autre pour réussir un tel tour de force, pour faire de la reprise un art ni mineur ni minable? Il y a bien un cow-boy flamand aux gros pieds, l’air bourru, mal réveillé, qui vitamine les Filles du bord de mer, s’attaque à Comme à Ostende de Ferré et au Bon Dieu de Brel (toujours, à croire qu’il s’agit d’un Everest du genre) avec une sincérité rock et une absence de préjugés déconcertante… Arno himself.

Car la reprise peut invoquer quelques apôtres inspirés, ses œuvres fortes, Arno est de ceux-ci, c’est un bon révélateur de la taille du bonhomme. Et quand il fait dans l’original, qu’il bredouille des textes approximatifs, mais tellement sincères, d’ours mal léché qui n’en a pas fini d’aimer sa mère et d’invoquer son enfance, le bougre est encore meilleur. Et le public des Francomanias qui en a profité jeudi soir ne me contredira pas!

par Michaël Perruchoud 

P.-S. Avant de me faire trucider par les responsables culturels de La Gruyère en rage, je précise que si Bashung a raté son tango brélien, sa reprise des Mots bleus de Christophe est somptueuse.

 

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