Selon mon sonotone (4): noyés dans la mouvance

C’était il y a douze ou quinze ans. Il y avait Les Têtes raides, Les Hurlements de Léo, La Tordue, La Rue Kétanou ou encore Les Ogres de Barback, et puis les autres,tous les autres, ceux qui s’efforcèrent de les imiter, à croire qu’on nous en pondait deux par semaine, des groupes vitaminés chantant Paname et la dèche, un peu révoltés, un peu gitans, pas mal gavroches, et un public qui sautait, et l’odeur de pétards et de jeunes filles les cheveux en pagaille qu’on avait envie d’embrasser.

C’était à la fois beau et surfait, comme une lame de fond censée prouver que l’on peut renverser l’ordre établi à la manière de punks mélodieux, sans les éructations, mais sans les messages cérémonieux. Ni Bérurier Noir ni Jean Ferrat, mais pas si loin.

Comme si la barre du A d’anarchie s’arrêtait sagement au bord du cercle.

Avec eux, la chanson française reprenait du poil de la bête, car cette joyeuse ribambelle d’excités connaissait ses classiques, Brassens comme Apollinaire. La critique s’y reconnaissait, pas effarouchée par cette éruption spontanée, mais résonnant dans le cadre d’un ordre bien établi. Comme si la barre du A d’anarchie s’arrêtait sagement au bord du cercle.

Ce n’était pas la révolution, mais une récréation joyeuse, quelquefois lumineuse, mais forcément éphémère. Une crise d’adolescence, même intelligente, n’est pas faite pour durer. Et puis chanter les rues de Paris et les destins brisés, entre un accordéon et une guitare déchaînée, cela finit par ressembler à un procédé. A force de frapper sur le même clou, on finit par l’enfoncer et à ne plus taper sur grand-chose.

Cette proclamée nouvelle chanson a fini par perdre le souffle de la nouveauté. Bien des groupes ont disparu. D’autres peinent un peu à garder leur public. Les minettes avec le sac bolivien en bandoulière n’en sont pas moins des minettes, et elles finissent par éteindre le pétard et par restreindre la bière.

Ne reste dans la mémoire collective que quelques formations de proue, celles qui squattent mon premier paragraphe, celles dont les titres ont su dépasser l’anecdotique. Et cette sélection ne s’est pas faite sans injustice.sonotone

Dans ce déferlement de militantisme rock-musette, certains n’on pas trouvé la place qu’ils méritaient. Debout sur le zinc est loin d’être un groupe inconnu, mais on ne se rend pas forcément compte qu’il s’agit de l’une des formations les plus originales du lot, des plus sincères… Mais l’histoire les a comme noyés dans la mouvance. Alors qu’ils auraient mérité d’être écoutés pour eux-mêmes.

C’est pourquoi on est heureux de les savoir rescapés. Et de les revoir, ici, à Bulle, loin des rituelles comparaisons aux confrères, sans se taper le groupe cousin juste après.

par Michaël Perruchoud

 

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