Jacques Higelin, ce géant qui continue à nous faire rêver

Mardi prochain, aux Francomanias, Jacques Higelin présentera pour la première fois en Suisse son excellent nouvel album, Beau repaire. Au bout du fil, ce géant de la chanson raconte la genèse du disque.

higelinlive

par Eric Bulliard

Il faut le dire haut et fort: le nouvel album de Jacques Higelin est une superbe réussite. Réalisé par son percussionniste Dominique Mahut et Edith Fambuena (qui a travaillé pour Daho, Bashung, Françoise Hardy ou encore le dernier Thiéfaine), Beau repaire montre un Jacques Higelin (72 ans) en grande forme, en équilibre entre gravité, mélancolie et émerveillement face à la vie.

Avec Amor doloroso (2006) et Coup de foudre (2010), l’album forme une trilogie de haut vol, qui le met au niveau des plus grands noms de la chanson. L’aboutissement d’une carrière de plus de quarante-cinq ans (Douze chansons d’avant le déluge, avec Brigitte Fontaine, date de 1966), où, en baladin libre, il a croisé le jazz, le rock, la world music…

Quinze ans après sa dernière venue aux Francomanias (tous ceux qui étaient présents s’en souviennent…) Jacques Higelin revient à Bulle entouré d’une formation très prometteuse, avec notamment l’exceptionnel guitariste Alice Botté, qui accompagnait Thiéfaine l’année dernière. Au téléphone, on le sent plein de vie, d’envie de partage. Autant dire qu’il n’y a guère besoin de poser de questions…

Edith Fambuena et Dominique Mahut, a fait un travail formidable. J’ai écrit la musique et les paroles, j’ai enregistré le chant, puis le piano et je leur ai donné quartier libre pour le mixage, parce que j’avais confiance en eux.

A propos du nouvel album, Beau repaire
Jacques Higelin. «Tous les albums que j’ai faits me tenaient à cœur: je n’ai jamais écrit de chansons en pensant que ce n’est pas important. Mais je trouve celui-ci particulièrement réussi. Beau repaire a été fait dans la joie, dans la foi et le talent. L’équipe qui l’a réalisé, dont Edith Fambuena et Dominique Mahut, a fait un travail formidable. J’ai écrit la musique et les paroles, j’ai enregistré le chant, puis le piano et je leur ai donné quartier libre pour le mixage, parce que j’avais confiance en eux.»

Edith Fambuena, réalisatrice
«J’avais envie de travailler avec elle depuis un bon bout de temps. Je l’ai rencontrée par l’intermédiaire de Jacno, qui avait réalisé Tombé du ciel. Ils étaient très amis. C’est une magicienne et une très grande artiste. Je l’aime profondément. Dès qu’elle a fini mon album, elle est partie travailler pour celui d’une jeune fille inconnue, qu’elle a envie d’encourager. C’est quelqu’un de très pur et il n’en existe pas tant que ça.»

Les premières réactions
«Comme j’ai changé de maison de disques, les cinq dirigeants de Sony sont venus à la maison. Je travaillais sans donner de nouvelles et ils s’inquiétaient un peu. Pas trop, mais quand même… Au piano, je leur ai joué une vingtaine de morceaux et ils sont partis avec la banane.

»Avant même que le disque sorte, je l’ai fait écouter aux voisins, à des gens que je ne connaissais pas, et qui en sont tombé amoureux. Tous ont été charmés et me disent qu’ils ont envie de le réécouter et qu’à chaque fois, ils découvrent plein de nouvelles choses… Ça, c’est important, pour moi. Après, chacun pense ce qu’il veut.»

La réception des critiques
«Il y a des journalistes formidables et d’autres qui sont vraiment vulgaires, qui posent des questions que je ne me pose jamais, surtout pas en réalisant un album! Je crois qu’ils font leur métier d’une façon drôle, un peu insouciante… Ils se disent: “Qu’est-ce qu’elle a écrit, Valérie Lehoux, dans Télérama?” et ils reproduisent le même schéma…

»Il se trouve qu’elle est enthousiaste sur le disque. Elle a fait un papier magnifique, mais elle aurait dit que c’était de la merde, les autres l’auraient dit aussi! Parfois, surtout dans les émissions de télé, les gens ont tendance à juger un peu rapidement. Ils n’ont pas le temps, ils n’écoutent pas vraiment ou seulement un morceau, Seul, qui passe en radio, parce que c’est le plus court et le plus joyeux.

»Ceux qui écoutent vraiment les paroles se rendent compte que ce n’est pas juste “youpi, y’a d’la joie!” Parfois, j’entends des albums où le texte est joyeux, sympa, bien fichu, mais sans plus: ça ne restera pas comme quelque chose d’important, comme Gainsbourg est resté quelque chose d’important, comme Bashung, son digne successeur, a laissé des choses importantes. Ou Daniel Darc, qui vient de nous quitter… J’ai l’humilité et l’honneur de me considérer comme faisant partie de leur famille.»

La comparaison avec Charles Trenet
«Elle revient à chaque fois, parce que j’ai fait un an et demi de tournée en hommage à Charles Trenet. Ensuite, quelqu’un a écrit ça pour le morceau Seul et ils ont tous repris… Seul, c’est Jacques Higelin qui l’a écrit! Si on écoute les paroles, on s’aperçoit que ce n’est pas Charles Trenet! La musique, peut-être, avec son côté joyeux, léger…jacko

»Je suis honoré qu’on me compare à ce très grand poète, chanteur, musicien et compositeur, mais Charles Trenet, pour moi, c’était entre 9 et 13 ans… Après, je suis passé au jazz, à de grandes figures comme Fats Waller qui m’a beaucoup influencé dans sa façon de chanter, ou Duke Ellington… En fait, j’ai les mêmes idoles que Keith Richards qui, lui, est passé aux Rolling Stones! Tous les noms qu’il cite au début de son bouquin, c’est tout ce que j’écoutais au même âge. Une très bonne école!»

Un album de printemps
«J’ai travaillé énormément sur cet album, en passant par des phases très sombres. Il a été écrit un an avant d’être enregistré et je voulais qu’il sorte au printemps, par-dessus toutes les merdes, toutes les inquiétudes de cette époque… Parce que j’ai demandé aux gens: que peut-on écrire par les temps qui courent, alors qu’on ne s’arrête pas pour contempler, regarder et aimer la vie? Ils m’ont dit: “Monsieur Higelin, faites-nous rêver!”»

Mais je bois volontiers un bon verre de vin rouge avec des amis et peut-être, en Suisse, un bon verre de vin blanc! Pour moi, boire, c’est une fête, c’est convivial…

L’alcool, la cigarette, la drogue…
«J’ai complètement arrêté de fumer, il y a cinq mois, ce qui m’a fait un bien fou. J’ai arrêté de boire, aussi, parce que ça commençait à me gonfler. Mais je bois volontiers un bon verre de vin rouge avec des amis et peut-être, en Suisse, un bon verre de vin blanc! Pour moi, boire, c’est une fête, c’est convivial…

»Je n’ai jamais été alcoolo, à me traîner. Sinon, je n’aurais pas écrit ce que j’ai écrit et je n’aurais pas tenu trois heures et demie en scène. Pareil pour la drogue: on m’a fait une réputation qui me gonfle sincèrement! Il y a des gens qui ont été attaqués par l’héroïne et qui m’ont dit merci d’avoir écrit la chanson La fille au cœur d’acier, qui disait bien ce que je pensais de ça. Il y a plein d’images fausses qui me précèdent…» 

En concert aux Francomanias de Bulle, mardi 7 mai. www.francomanias.ch.
Jacques Higelin, Beau repaire, Sony Music

 

«Ce sera délicat et très beau»

Vous êtes réputé pour vos prestations marathons sur scène, vos envolées improvisées… Est-ce toujours le cas ou vos concerts sont-ils plus cadrés?
Jacques Higelin. Cadré? Jamais! Je ne pourrais pas monter sur scène en me disant que je suis cadré… Il ne manquerait plus que je mette une cravate! Pour cette tournée, c’est délicat et très beau. Délicat parce qu’on chante de nouvelles chansons: c’est comme amener un bébé au-dessus des fonts baptismaux… Forcément, au début, on est un peu intimidé… Jusqu’ici, j’ai senti une écoute magnifique.

Au fil des ans, vous avez tissé un lien particulier avec votre public…
Oui, j’ai une longue et belle histoire avec les gens, qui continue, qui me permet de faire des rencontres magnifiques. Il y a comme un profond échange qui ne s’est jamais remis en question. Ils ont tous des anecdotes à raconter, des moments de ma vie qu’ils me rappellent… Là, on a commencé la tournée et les jeunes qui passent avant moi me disent: «Chouette public, avec une vraie écoute.» Je crois que je me suis formé un public de gens très mélomanes. 

Avec quelle formation et quels musiciens tournez-vous?
Alice Botté, sublime guitariste, et le clavier Christopher Board sont partis faire un tour avec Hubert-Félix Thiéfaine et sont de retour avec moi. Et il y a Dominique Mahut aux percussions, le bassiste Zaf Zapha et Arnaud Dieterlen, un batteur extraordinaire, qui a joué la dernière tournée de Bashung. Je suis entouré de compagnons formidables. Voyager avec eux, c’est un vrai plaisir. Ils ont un humour débordant, on n’arrête pas de déconner et quand ils jouent, ils sont vraiment là, sérieux, présents.

 

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