Un voyeurisme intellectuel

Dans la maison, comme certains de ces vins complexes, à la fois courts en bouche, veloutés et acerbes, laisse une sensation difficilement définissable. Un peu dégoûté, un peu mal à l’aise, un peu voyeur malgré lui, le spectateur ne ressortira en tout cas pas indifférent de cette expérience.

Librement adapté d’une pièce de Juan Mayorga, Le Garçon du dernier rang, le dernier film de François Ozon met en scène la relation légèrement perverse et addictive entre Claude, un lycéen de seize ans, et Germain, son professeur de français aigri par des années de routine malgré une passion évidente pour la littérature.

Le jeune homme aux allures d’ange, au charme diabolique, retient l’attention de Germain en lui rendant une rédaction dans laquelle il décrit son intrusion dans la vie et dans la maison d’une famille de «classe moyenne». Forme de parasitisme sentimental auquel s’adonne le jeune visiteur et qui débouchera sur un désir insistant et freudien pour la mère (Emmanuelle Seigner) de cette famille «normale».

Virtuose dans sa mise en scène, le cinéaste français construit un thriller totalement hybride dans lequel se côtoient sans gêne le roman photo, un humour caustique et malsain, une sexualité latente, des références plus qu’évidentes au Théorème de Pasolini et à Fenêtre sur cour d’Hitchcock. Dans la maison est aussi truffé de références littéraires – Esther, la mère désirée par Claude est une Emma Bovary en puissance – et artistiques.

L’art contemporain de la galerie de Jeanne, femme du professeur, n’existe que par la description qu’en font les mots. La mise en scène théâtrale, pédagogique même parfois, révèle un exercice de style qui fonctionne sur un nombre incalculable de plans et se lit tantôt par analogie, tantôt au premier degré. En plus de peindre froidement l’interaction entre un intellectuel raté et sa femme, galeriste et quadra cultivée, regardant de haut avec une curiosité malsaine la famille petite bourgeoise que décrit Claude, Dans la maison est aussi une ode au voyeurisme et à la manipulation.

Une manipulation impudique des sentiments, des personnages et du spectateur, où le grand écran fait office de miroir, l’un des thèmes majeurs du film. Dans ce jeu entre manipulant et manipulé, où «l’apprenant» n’est jamais celui qu’on croit, Fabrice Luchini joue (pour une fois) la sobriété dans ce rôle de prof désabusé, tandis que Kristin Scott Thomas excelle toujours en femme cultivée et légèrement snob.

Cependant, la véritable révélation s’appelle Ernst Umhauer, un Claude impressionnant. Restent certaines questions: Dans la maison est-il un manifeste intellectualiste? Un exercice de style? Un hommage aux classiques? Un thriller psychologique? Une peinture naturaliste de la petite bourgeoisie? Peut-être tout à la fois, mais la virtuosité et l’abondance laissent peu de place à la poésie et engendrent souvent l’oubli. Court en bouche, comme certains vins…

par Paolo Wirz

Dans la maison, de François Ozon, avec Fabrice Luchini, Kristin Scott Thomas, Emmanuelle Seigner

 

 

Posté le par admin dans Cinéma, Critiques, Sur les écrans Déposer votre commentaire

Ajouter un commentaire