«Mon cinéma, c’est ma terre… Je ne fais pas du Spielberg!»

Après Ruelle des Bolzes et Sentier des vaches, Jean-Théo Aeby revient avec Chemin du paradis, qui parle de croyances, de religion, de pèlerinages… Portrait du cinéaste de Belfaux à quelques heures de la première, ce soir à Fribourg.

par Christophe Dutoit

Après la ruelle et le sentier, Jean-Théo Aeby empruntera-t-il le chemin d’un nouveau succès auprès du public? A moins que ce ne soit une véritable autoroute!

Ce soir, la première de Chemin du paradis, le troisième volet de sa trilogie fribourgeoise, aura lieu devant une salle comble à Fribourg. Assurément le plus beau des cadeaux pour son 69e anniversaire! Il en sera de même jeudi au Prado de Bulle, avant que le film ne déploie tous ses charmes devant un public fribourgeois que l’on sait conquis d’avance.

Après la Basse-Ville de Fribourg et les alpages, le cinéaste poursuit son décryptage des traditions fribourgeoises en abordant le thème de la religion. «Quand on se promène en Gruyère ou en Glâne, on voit partout des croix au bord de la route, des symboles religieux sur les fermes, des vitraux magnifiques dans toutes les églises et les chapelles», raconte le publiciste à la retraite.

Comme à son habitude, Jean-Théo Aeby filme avec l’intempérance d’un gourmet. Il saute du coq à l’âne, tisse un récit en labyrinthe et provoque des dialogues délicieux, tel cet échange avec le pilote Jean Martinet:
– Quand tu montes dans un hélicoptère, tu as l’impression de monter au paradis, ou bien?
– Monter au paradis, faut laisser ça au Seigneur, c’est lui qui décide. J’ai tutoyé les montagnes, pas le Ciel…

«J’arrive et je filme»
Fruit de deux ans de travail, Chemin du paradis a tous les arguments qui ont fait le succès des précédents films de Jean-Théo Aeby. Son secret? «J’arrive sur place et je filme directement, sans préparer mes questions à l’avance. Comme ça, les gens sont naturels, car je disparais derrière la caméra pour mieux dialoguer avec eux. C’est pour ça que je fais des erreurs de cadrage…»

L’imperfection technique fait partie intégrante de ses films, à l’image de ce grain parfois envahissant lors de scènes intérieures ou de ces gros plans au grand-angulaire qui déforment les visages. «Il ne faut pas s’attendre à une superproduction. Ça ne m’intéresse pas et tant pis! Je reste un amateur et je fais tout, tout seul. Mon cinéma, c’est ma terre… Je ne fais pas du Spielberg!»

Peut-être, mais reste que l’auteur de Ruelle des Bolzes (12500 entrées, dont 1000 entre Lausanne et Genève) et de Sentier des vaches (17500 spectateurs en Suisse romande dont 8300 rien qu’à Bulle) n’a pas à rougir de son succès, si on le compare avec le Tintin du créateur des Dents de la mer, qui n’a attiré «que» 2600 personnes à Bulle…

«Un jour, je suis allé à Cap’Ciné et j’ai vu la queue aux caisses. Je pensais que les gens venaient pour Avatar, mais j’entendais de loin: “Mécol, je viens voir les Bolzes!” Je n’y croyais pas.»

Qu’importe, le succès ne lui est pas monté à la tête, même s’il avoue «avoir reçu des centaines de lettres» à la suite de son dernier documentaire. «Un jour, je suis allé à Cap’Ciné et j’ai vu la queue aux caisses. Je pensais que les gens venaient pour Avatar, mais j’entendais de loin: “Mécol, je viens voir les Bolzes!” Je n’y croyais pas.»

Le cinéma vérité de Jean-Théo Aeby montre l’humain sans fard, dans toute sa fragilité et sa candeur. Comme ses prédécesseurs, Chemin du paradis est une œuvre d’art spontanée et constamment émerveillée, à l’image des innombrables truculents personnages qui traversent le film, comme l’inénarrable sœur Zélia, Jacques Rime, le curé de Grolley ou Marion Perraudin, filmée dans la grotte de Grandvillard comme si elle était véritablement à Lourdes.

Des prix dans les cinéclubs
Son amour du cinéma, Jean-Théo le fait remonter à une quarantaine d’années. «J’ai fait du 8 millimètres avant de faire du super-8, évoque-t-il en montrant une alignée de bobines sur l’étagère de son local de montage. J’ai gagné des prix dans les cinéclubs pour des courts-métrages entre dix et vingt minutes, des films de genre comme on disait à cette époque.»

Non sans nostalgie, il se remémore ses nuits à s’endormir sur sa visionneuse. Il se souvient des bouts de pellicules qu’on mesurait pour estimer la longueur des séquences. Mais aussi ces gants blancs, l’odeur si caractéristique de la colle… Avec sa Bolex P2, sa chaîne Revox à bandes et son projecteur Paillard, il se rappelle avoir tourné une fiction. «L’histoire: un homme reçoit une lettre qui l’invite à se rendre dans un crématoire pour y être incinéré. J’ai loué un bus des Transports publics lausannois et les acteurs portaient des T-shirts avec des chiffres. Un type fumait des Rio 6, un autre buvait du 7 Up (prononcez Seven Up). C’était pour dire qu’on est tous des numéros… Tiens, je devrais un jour le refaire, ce film», dit-il dans un puissant éclat de rire.

«C’est ma vocation»
Car, derrière le sérieux qu’il aime afficher, Jean-Théo Aeby cache bien son côté espiègle. Demandez donc à sa femme… «Oui, quand on part se balader, j’ai souvent une idée en tête.» Aussi, dès qu’elle le voit sortir la caméra de son étui, elle bisque dans un premier temps. «Puis on se marre. Car elle sait bien que c’est ma vocation.» Et de raconter cette anecdote: «Un jour, un gars de l’Office fédéral de la culture m’a demandé combien de temps j’ai passé sur ce film. Je lui ai répondu: “Mais tous les jours!”»

On comprend peut-être mieux pourquoi ce Chemin du paradis est en fait le chemin sur lequel a marché Jean-Théo Aeby ces deux dernières années.

Chemin du paradis, de Jean-Théo Aeby. Bulle, Prado, dès vendredi. Fribourg, Cap’Ciné, dès mercredi

 

Les coulisses de la rencontre
Samedi après-midi, Jean-Théo Aeby m’ouvre les portes de sa maison à Belfaux. Direction le sous-sol, dans l’antre du cinéaste. Devant son écran, il avoue être rongé par l’angoisse: «Comment l’avez-vous trouvé?»

Très vite, je le rassure. «Depuis quelques jours, j’ai la boule au ventre», concède-t-il. Il me raconte avoir demandé à un journaliste: «S’il vous plaît, si vous n’aimez pas mon film, n’écrivez rien!»

Deux heures plus tard, le cinéaste a retrouvé des couleurs. «Ça m’a fait du bien d’en parler.»

Au fait, ma dernière question était la sienne dans le film: c’est quoi pour vous le paradis? Sa réponse: «Un dialogue. On va enfin pouvoir s’exprimer en face à face et sincèrement avec le Bon Dieu. D’homme à homme.» Je n’ai rien à ajouter… CD

 

 

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