Tout sur The Young Gods

A l’occasion de la sortie de The Young Gods/Documents 1985-2015, le chanteur Franz Treichler a donné un long entretien à Vincent de Roguin. Extraits choisis, entre bons mots et fulgurances.

choix des extraits: Christophe Dutoit

Les balbutiements
«J’avais mon minihome studio dans ma piaule, à Genève: le sampler posé sur le bureau, le clavier pour moduler, un 4 pistes cassette pour enregistrer et un Roland Cube pour l’écoute. Tout en mono.»

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Le français
«A quoi ça sert que je chante en anglais, alors que mon but est de m’adresser à mon entourage proche? J’avais envie que les gens comprennent les mots. Arno et TC Matic à Fri-Son, ça a été un sacré bon coup de pied au cul, une révélation. Voilà comment le français peut sonner, sans complexes, sans se prendre le chou.»

Les paroles
«Je ne suis pas quelqu’un qui écrit des poèmes. J’écris essentiellement des lyrics (des paroles de chanson) et ils me viennent d’une intention musicale, parce qu’il y a un rythme ou un son.»

Le texte
«J’attache beaucoup d’importance aux textes, car, tant qu’à ouvrir sa gueule, si c’est pour dire “pffft”, autant faire de l’instrumental.»

Le sampler
«J’ai découvert le sampler dans un magasin de Fribourg appelé Future Music. Cette bécane bleue pouvait jouer toutes sortes de sons préenregistrés sur floppy disk, des violoncelles, des guitares. Quand tu chargeais un nouveau floppy disk avec un nouveau son, ça créait comme un morphing avec le son précédent, une sorte de flou musical. Ça m’a flashé. Tu pouvais ainsi apporter toutes sortes de nouveaux trucs, comme des bruits concrets, dans le rock. Le concept changeait: tu composais par rapport au son lui-même. Tu pouvais le ralentir, l’inverser, le combiner, l’aliaser. Que ce soit un train qui freine, un coup de feu, que ça provienne d’un disque des Stooges ou de Van Halen, le son a la même importance pour nous.»

Les samples
«On a trouvé une avocate spécialisée dans le repérage de samples délicats. Son boulot était très subjectif: “Là, celui de Nirvana, je n’aurais jamais reconnu, ça passe. Là, on reconnaît Prince, il veut 90% des droits du morceau, ça ne passe pas. Les Beatles, on ne peut pas…” Quelqu’un avait repéré des samples de Deep Purple sur Gazoline man, des trucs de John Lord à l’orgue. Dans le livret de la ressortie de ses disques, le groupe a écrit: “Nous avons remastérisé ces chansons pour que les Young Gods puissent nous re-sampler avec un meilleur son.” J’ai trouvé ça royal.»

Le chaos
«Avec un sampler, il y a quelque chose d’imprévisible. Ça joue sur la surprise et le danger. D’ailleurs, plus que l’idée de danger, celle de chaos a toujours été très importante pour moi, chercher à perdre le contrôle, ce moment où les choses te dépassent.»

La suggestion
«Suggestion est un très bon mot: le pouvoir de suggestion  de la musique, associée à des mots, est énorme. Tu as le potentiel de semer des graines, qui germeront ou pas.»

Les petits boulots
«J’ai été électricien pendant deux heures, avant de me faire jeter. J’ai fait toutes sortes de trucs, comme polir des Rolls à la main. C’était physique, je suis devenu superbaraqué de tout le côté droit à force de polir.»

Classique et punk
«J’ai fait de la guitare classique, mais j’aimais aussi le punk. J’avais envie de fédérer, que les gens s’intéressent à Stravinski, même s’ils n’écoutent que du punk. Faire du punk avec de la musique classique, c’était le top.»

La tradition suisse
«On pourrait mettre en lien cette «bizarrerie» de notre musique avec une certaine tradition suisse, dada, Tinguely, Yello ou Pipilotti Rist. Le collage est omniprésent dans les pratiques artistiques, ce qui n’est pas sans rapport avec la situation géoculturelle du pays. Les morceaux des Young Gods sont souvent des collages de sources sonores qui n’ont pas forcément de rapport entre elles et, dès le début, on a été intéressé par l’effet de surprise qui en découlait.»

Fribourg
«J’ai grandi à Fribourg où il y a une sorte de lourdeur catholique, une omniprésence de l’Eglise, donc moins de liberté. C’est pour ça aussi que j’ai eu envie de quitter cette ville.»

Les Etats-Unis
«Le problème avec les States, c’est que si tu veux vraiment te faire un nom, tu dois tourner non-stop pendant deux ans au moins. C’est ce qu’avait fait Nine Inch Nails. En 1990, on jouait dans les mêmes clubs. En 1992, ils étaient toujours sur les affiches, alors que nous, on était rentrés en Europe, on avait fait des pauses. A force de jouer, eux avaient complètement décollé.»

La grosse machine
«Dans les années 1990, le rock est devenu une grosse machine. Quand on faisait les premières parties de Ministry aux Etats-Unis, c’était vraiment le rendement: tu prends les dollars, tu fais ton truc, lumières et sons plein la gueule. Le concert de rock était devenu une entreprise d’extorsion de fonds.»

L’Amazonie
«Dans notre société occidentale dite évoluée, l’usage de substances psychoactives est essentiellement récréatif et souvent une manière de fuir ou d’échapper à la réalité du quotidien. En gros: chez nous, on se pète la gueule, alors que dans les sociétés dites primitives, on cherche le savoir.»

Aujourd’hui
«Je suis à un stade où je me pose des questions sur mon mode d’expression, sur le fait d’écrire des chansons. Les Young Gods ont toujours été un truc viscéral. Ai-je l’énergie et la pertinence d’y arriver?»

Témoignage ultraprécieux

The Young Gods / Documents 1985-2015 est un pavé gargantuesque. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: 800 pages, plus de 2000 images, une passionnante interview du chanteur Franz Treichler qui court sur une quarantaine de pages… Loin d’un panégyrique fastidieux, ce livre est avant tout un témoignage ultraprécieux sur l’histoire du groupe suisse le plus influent sur les musiques actuelles, mais aussi sur l’émergence de l’underground en Suisse, sur les coulisses du show-business rock’n’roll, sur la création artistique, sans oublier – évidemment – le volet fribourgeois de cette histoire qui ne demande qu’à connaître de nouveaux chapitres. 

Vincent de Roguin
The Young Gods/Documents 1985-2015
La Baconnière

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