Comment Pierre Rossier découvrit l’Extrême-Orient

Redécouvert il y a une dizaine d’années, le pionnier fribourgeois de la photographie Pierre Joseph Rossier fait l’objet d’une exposition à la BCU de Fribourg. Avec une mise en valeur numérique de ses vues stéréoscopiques prises au Japon, en Chine, au Siam et… à Fribourg entre 1858 et 1872.

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Bonze, prêtre supérieur d’une pagode japonaise à Nagasaki (Views in Japan, série 2, Negretti & Zambra, 1860). Vue stéréoscopique sur plaque de verre, 8.4 x 17.5 cm. © Tom Burnett

par Christophe Dutoit

En 2004, cet homme était encore un inconnu sur ses terres d’origine. Durant plus de cent quarante ans, le nom d’un certain P. Rossier était certes parvenu aux oreilles de quelques spécialistes de la photographie ancienne. Mais on le croyait français, bien que durant ses séjours en Extrême-Orient on le surnommât «l’Anglais». Il y a une douzaine d’années cependant, l’historien britannique Terry Bennett et le président de Pro Fribourg Gérard Bourgarel identifiaient formellement celui qui est désormais considéré comme l’un des pionniers fribourgeois de la photographie. Aujourd’hui, même si la vie de Pierre Joseph Rossier demeure encore très mystérieuse, la Bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg lui consacre une exposition intitulée Japon-Fribourg, à voir jusqu’au 12 novembre.

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Amazones de la garde du roi du Siam, Rama IV (1862). Tirage albuminé, 16.8 x 21 cm. © Collection privée

Pierre Rossier naît en 1829 dans une famille paysanne de Grandsivaz. Quatrième d’une fratrie de dix enfants, il devient instituteur à Mannens à l’âge de 16 ans. En 1855, il est domicilié à Bulle lorsqu’il demande un passeport pour l’étranger. Sur ce document retrouvé aux Archives de l’Etat, il est désigné comme «pothographe de son état».

Comment ce jeune homme de condition modeste, né dix ans avant l’invention de Daguerre, a-t-il appris la technique photographique? Nul ne le sait vraiment, faute à la rareté des archives à son sujet. Tout au plus apprend-on que l’homme aux yeux gris, au visage rond et au front découvert, a transité par Paris avant de s’installer à Londres. Où il est mandaté par les éditeurs Negretti & Zambra, spécialisés dans la vente et la production de matériel photographique. Il faut se souvenir que, à cette époque, la stéréoscopie parvenait déjà à simuler la sensation de troisième dimension et ravissait un public curieux de découvrir le vaste monde par ce biais.

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Femme européenne et serviteurs japonais au vice-consulat [d’Angleterre] à Kanagawa (Views in Japan, série 1, Negretti & Zambra, 1859). Carte stéréoscopique, tirage albuminé, 8.4 x 17.5 cm. © Tom Burnett

Seconde guerre de l’opium
Comme le montre l’exposition de la BCU, Pierre Rossier embarque dans une aventure qui l’emmène aux confins du monde, où il commence par couvrir la seconde guerre de l’opium qui oppose la Chine à la France et au Royaume-Uni. Le 25 août 1858, le jeune Fribourgeois opère dans le studio qu’il a ouvert au Commercial Hotel de Hong Kong et il se plaint à l’écrivain anglais Albert Richard Smith des effets de la chaleur sur ses produits chimiques.

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Femmes japonaises en costume d’hiver (Views in Japan, série 1, Negretti & Zambra, 1859). Carte stéréoscopique, tirage albuminé, 8.4 x 17.5 cm. © Tom Burnett

On retrouve sa trace aux Philippines en juin 1859, grâce à une gravure tirée d’un de ses clichés aujourd’hui disparus. Quelques jours plus tard, il débarque à Nagasaki, au Japon. Il n’est pas le premier Fribourgeois à découvrir le pays des shoguns, puisqu’un mercenaire de la région bulloise, un certain Elie Ripon (Repond?), décrivait déjà sa halte à Dejima en 1623 et sa fascination pour les samouraïs dans un document retrouvé à la BCU. Au contraire de Pierre Rossier, dont on ne dispose pour l’heure d’aucun écrit. Mais, dont on connaît en revanche une soixantaine d’épreuves stéréoscopiques, montrées à Fribourg. Selon Terry Bennett, il aurait même été le premier photographe professionnel à former des Japonais à cette technique du collodion humide.

Durant les trois années suivantes, ce fameux P. Rossier prend parmi les plus anciennes photographies sur papier de Chine, du Japon et du royaume de Siam (l’actuelle Thaïlande). Des images commercialisées par Negretti & Zambra, qui en tirent des gravures sur bois (la reproduction des épreuves photographiques est encore chère et compliquée en cette période primitive), publiées dans des livres de voyages ou d’érudition. Ses images sont encore présentées à l’Exposition universelle de Londres en 1862.

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Hommes jouant aux cartes. Portrait d’atelier avec décors (1862–1872). Carte de visite, tirage albuminé, 11 x 7 cm. Fonds Pro Fribourg/Bourgarel, BCU

Bonne société et clergé
Cinq ans après avoir baroudé dans tout l’Extrême-Orient, Pierre Rossier revient à Fribourg, où il ouvre en 1862 un atelier à la place du Collège. Il y accueille la bonne société et les éminences du clergé, mais photographie également la ville, ses monuments, ses ponts, la campagne, en parallèle à une activité similaire à Einsiedeln. Trois ans plus tard, il épouse Catherine Barbe Kaelin, qui lui donne un fils et qui meurt en 1867, à l’âge de 24 ans. Puis les pistes se troublent. Rossier retourne à Paris et disparaît des mémoires. Aujourd’hui, on ne sait rien de la fin de sa vie, pas même la date de sa mort.

Depuis une dizaine d’années, plusieurs spécialistes tentent de reconstituer l’œuvre de «ce photographe qui n’a pas d’autres équivalents en Suisse à cette époque», selon Claudio Fedrigo, responsable des collections iconographiques à la BCU. Désormais considéré comme un personnage important dans l’histoire de la photographie, le Fribourgeois a récemment eu droit à un long chapitre dans Unseen Siam, une somme qui vient de paraître aux Editions River Books.

En marge des reproductions de ses images, la BCU présente un diaporama 3D en haute résolution, avec des vues rassemblées par l’ethnologue Philippe Dallais, doctorant à l’Université de Zurich et japoniste confirmé. Une exposition déjà montrée à Nagasaki, qui présente, avec les techniques actuelles, les émerveillements qu’ont dû produire ces vues aux yeux des hommes du XIXe siècle.

Fribourg, Bibliothèque cantonale et universitaire, exposition Japon-Fribourg, Pierre Joseph Rossier – un pionnier de la photographie en Extrême-Orient, jusqu’au 12 novembre. www.fr.ch/bcuf

A (re)lire: Pierre Joseph Rossier, photographe – une mémoire retrouvée, Pro Fribourg, 2006

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Collégiale Saint-Nicolas et ancienne douane. Atelier Rossier à Fribourg (1863–1872). Carte stéréoscopique, tirage albuminé, 8.5 x 17.5 cm. Fonds Pro Fribourg/Bourgarel, BCU

 

 

 

 

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