Stéphane Winter: une banalité si extraordinaire

Depuis l’adolescence, le Lausannois Stéphane Winter photographie ses parents. Réunies dans le recueil Die Winter et exposées dès samedi dans le cadre du Festival Images Vevey, ses images dépassent le simple cadre de l’intimité familiale.

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par Christophe Dutoit

Cette histoire commence il y a bientôt quarante-deux ans, en Corée du Sud. Un jeune orphelin d’une année est adopté par Pierrette et Röbi Winter, un couple suisse allemand installé dans la banlieue de Lausanne. Le bambin tro­que son prénom asiatique contre celui de Stéphane. «Depuis tout petit, mes parents ont pris des photos de famille. Comme tout le monde. Des images d’amateurs, souvent floues. Mais ils s’en fichaient. L’important était d’être dessus», raconte le photographe, en plein montage de son exposition à vernir samedi à la Galerie LAC, dans le cadre du Festival Images Vevey.

«J’aimais expérimenter»
Vers l’âge de 14 ans, Stéphane Winter prend ses premiers clichés. Avec un Pocket 110, puis un Kodak Disc. «Mes parents étaient bien posés. Très “suisses allemands”. Moi, j’aimais bien expérimenter.» En apprentissage chez un fabricant de papier, il s’inscrit au photo-club de l’entreprise. «Comme j’étais le seul, j’avais l’agrandisseur Ilford Multigrade et des centaines de boîtes de papiers à disposition.» Le rêve.

Plus Stéphane Winter étudie la chimie, plus son besoin d’expérimenter l’obsède au quotidien. «Je vivais chez mes parents, dans un petit appartement prolétaire de 68 m2. Ils ont vite servi de modèles.» Il photographie son papa Röbi en survêtement, couché sur le canapé ou assis à la table de la cuisine. Vous vous souvenez, ces fameuses tables en formica qui meublaient tous les intérieurs avant l’arrivée d’Ikea. On le voit repasser un linge, sécher la vaisselle ou debout dans sa baignoire, avec un bonnet de bain rouge et blanc. Ou, souvent, près de son Opel Vectra vert foncé.

Aujourd’hui, je me dis que mes parents étaient barges d’accepter ces images. Dès qu’on avait cinq minutes, on se déguisait, on prenait des poses délirantes. L’ambiance était toujours très bonne et la photographie très spontanée. Je pense qu’ils l’ont fait parce que c’était moi.

De son côté, sa maman Pierrette devient son égérie. Avec son brushing époustouflant, ses robes à fleurs ou à motifs paisley vintage, son sourire imparable, elle prend la pose, au gré des expérimentations de son fils. Car, petit à petit, le prétexte à photographier n’est plus seulement technique, mais devient de l’ordre du jeu, le témoin d’une complicité parents/enfant extrêmement forte. «Aujourd’hui, je me dis que mes parents étaient barges d’accepter ces images. Dès qu’on avait cinq minutes, on se déguisait, on prenait des poses délirantes. L’ambiance était toujours très bonne et la photographie très spontanée. Je pense qu’ils l’ont fait parce que c’était moi.» Mais aussi parce que son papa et sa maman étaient doués d’un humour sans limite, souvent très absurde, toujours plein de tendresse. «Etaient», car Röbi meurt subitement en 2011.

Devenu professionnel
Entre-temps, Stéphane Winter entre à l’Ecole d’arts appliqués de Vevey en section photo. De passionné, il devient professionnel. Et observe ses images familiales avec un nouveau regard, avec une nouvelle distance. Il y reconnaît une universalité documentaire et une intimité rarement mise au jour durant ces années 1970-1990 en Suisse. «J’ai fait un premier tri en 2007. A la mort de mon papa, j’ai arrêté la série. Je savais que je voulais en faire quelque chose. Un jour.»diewinter054

L’an dernier, il retrouve un ancien collègue de Vevey, Jérôme Sother, directeur artisti­que des Editions Gwinzegal. «J’ai rouvert les vieux albums, j’ai pioché dans les cartons et j’ai sélectionné environ 500 images sur les milliers qu’on avait prises, explique Stéphane Winter. On a peu à peu retiré les gros gags. On voulait conserver une certaine subtilité.» Au fur et à mesure des choix, plusieurs thèmes se dégagent: la succession des hivers (die Winter, en allemand), la fameuse Opel Vectra vert foncé, les sapins de Noël, le meuble de la chambre, les rideaux à motifs, les portraits flous du petit Stéphane…Malgré les apparences, les photographies ne racontent pas davantage l’histoire d’une adoption qu’elles ne documentent l’intimité d’une famille prolétaire lausannoise à la fin du XXe siècle.

Vecteur du souvenir
Le livre Die Winter se met peu à peu en place. En regard de Röbi et Pierrette sur leur canapé, une statuette de mariés… Aux chutes du Rhin, l’image pourrait avoir été prise par Martin Parr… Dans la baignoire, elle aurait pu être l’œuvre d’un photographe d’aujourd’hui, rompu aux codes de l’art contemporain… Mais non, elles sont juste la réminiscence d’un instant, non plus décisif, comme Cartier-Bresson, mais mémorable. A savoir: digne que la photographie en soit le vecteur du souvenir.

Une chose est certaine avec Stéphane Winter: tout n’est jamais aussi simple. Samedi, Die Winter s’expose pour la première fois au grand public. Sans fard. Mais avec une simplicité éloquente.

Stéphane Winter
Die Winter
Editions Gwinzegal, 48 pages

Vevey, Galerie LAC, rue des Anciens-Fossés 8, tous les jours 11 h-19 h, jusqu’au 2 octobre

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