Philharmonie de Paris: le Velvet démythifié

Après une rétrospective sur David Bowie l’an dernier, la Philharmonie de Paris accueille une magistrale exposition sur le Velvet Underground, pour les cinquante ans du fameux album à la banane. Arte diffuse ce week-end le concert donné à Paris à l’occasion de son ouverture.

Velvet-Underground

par Christophe Dutoit

Fascinant Velvet Underground. Cinquante ans après l’enregistrement du mythique album à la banane – officiellement appelé The Velvet Underground & Nico – l’un des groupes les plus influents de l’histoire du rock fait son entrée au musée. A la Philharmonie de Paris plus précisément, ce nouvel écrin audacieux et guindé de la musique symphonique. Joli paradoxe.

Fascinant, car le groupe de Lou Reed et John Cale a connu une trajectoire d’étoile filante, dans le New York du milieu des années soixante, avant de s’éclipser lamentablement cinq ans plus tard. Incompris, trop frontal, sans doute trop en avance sur son temps, il s’échoue en 1970 sans même avoir connu un frêle succès d’estime. Aujourd’hui, ce même Velvet Underground est considéré comme l’une des influences majeures de la fin du XXe siècle. Une légende que raconte en six chapitres l’exposition New York Extravaganza, à voir jusqu’au 21 août.

The Velvet Underground naît d’un accident: la rencontre fulgurante entre Lou Reed et John Cale. Le premier est issu d’une famille de petits-bourgeois de Long Island, engagé par une maison de disques pour écrire des chansons sucrées à la chaîne. Le second est un fils de mineur gallois, altiste virtuose et lauréat d’une bourse qui le conduit à étudier la musique minimaliste dans la Grande Pomme.

Les deux hommes s’aimantent comme Adam et Eve, John et Paul ou Mick et Keith.

Les deux hommes s’aimantent comme Adam et Eve, John et Paul ou Mick et Keith. Surtout, ils trouvent en l’artiste Andy Warhol le pygmalion idéal, l’homme qui les propulse sur le devant de l’avant-garde artistique. L’histoire est connue. Le groupe enregistre ses premières chansons au printemps 1966, mais le disque attend un an avant de faire un flop commercial. Alors que la côte ouest découvre le LSD, le Grateful Dead et la déferlante hippie, le Velvet Underground affiche son esthétique sombre, limite SM. Teint blafard et lunettes sombres contre fringues bariolées et drogues euphorisantes. En 1967, l’Eté de l’amour californien l’emporte sur l’album à la banane, qui se vend avec peine à 30000 exemplaires en cinq ans…

Las de cette galère, Lou Reed fait le ménage dans son entourage: exit l’égérie Nico, qui enregistre dans son coin le sublime Chelsea girl. Puis bye-bye Warhol, mentor à la tutelle trop pressante. Enfin, le mesquin chanteur débarque sans ménagement son alter ego John Cale, justement en conflit avec son ego. Avant de quitter à son tour le radeau à la dérive, deux ans et deux albums plus tard. Fin de chapitre. Début de la légende.

Repaire de junkies et de poètes
L’exposition parisienne s’ouvre sur une galerie de portraits vidéo des principaux instigateurs. Toujours sur un fil, les commissaires Christian Fevret et Carole Mirabello réussissent le pari de raconter l’histoire aux non-initiés tout en agrémentant le récit de documents inédits, dont raffoleront les passionnés. Ils s’attachent à présenter le New York fiévreux des sixties, repaire de junkies et de poètes géniaux (et parfois les deux en même temps). Impossible d’écouter I’m waiting for the man sans penser à Allen Ginsberg et à son Howl, acte fondateur de la beat generation.

L’accrochage permet la redécouverte de ce Manhattan d’avant le film de Woody Allen. De replonger dans la Factory de Warhol, ce laboratoire de la déviance où drogues et sexualités pleines permettent toutes les outrances. Qu’il soit fan ou non-initié, le spectateur prend en pleine face ces films inédits où la crème du cinéma underground s’empare du Velvet. A l’image de Jonas Mekas, auteur d’hallucinées captations en couleurs, qui propose – malgré ses 93 ans – une installation inédite dans l’exposition.

Equipé d’un casque audio, le visiteur n’a qu’une envie: se perdre parmi les innombrables témoignages et les extraits musicaux proposés. Il apprendra l’influence de la musique noire sur Lou Reed, qui montait à Harlem pour acheter des cassettes de gospel. Il écoutera le témoignage émouvant de sa sœur Merrill sur son asociabilité et son traitement aux électrochocs. Il comprendra ainsi mieux la tension entre narcissisme et haine de soi de cet être parfois d’une adorable gentillesse, souvent d’une méchanceté sans égale. Ce Lou Reed, malsain et persifleur, doué d’un humour acide et d’une clairvoyance si fine sur la noirceur des hommes, leur déchéance, leur perversité. Leur humanité, finalement.

A la sortie de l’expo, on entend d’une autre oreille ce Velvet si mystérieux, déclencheur de vocations, désinhibiteur, ambigu, visionnaire, pourfendeur de certitudes et si éclectique. Cette «boîte à fantasmes» qui a inspiré tant de musiciens.

Christian Fevret et Carole Mirabello, The Velvet Underground New York Extravaganza, Editions La Découverte. www.philharmoniedeparis.fr

 

Quand John Cale se réapproprie un pan de son passé

Longtemps désintéressé par l’héritage du Velvet Underground – mais aussi parce que Lou Reed en conservait jalousement les clés – John Cale a donné, le 3 avril 2016, une relecture de ce pan de passé dans la splendide salle de la Philharmonie de Paris (à découvrir dans la nuit de samedi à dimanche sur Arte). Une banane à la main, le Gallois entonne I’m waiting for the man, comme lors de la tournée de la réunion en 1993. Evidemment, l’aura de Lou Reed est omniprésente, bien que John Cale y fasse à aucun moment référence. Ici, ses guitares sont reléguées à l’arrière-plan, remplacées par un quatuor de cordes et des couches d’électro dissonante. Des images psychédéliques défilent sur l’immense écran derrière les musiciens. Comme jadis. Dans ce nouveau haut lieu de l’art lyrique à l’architecture flamboyante, l’illusion est parfaite. Le trouble aussi. Cinquante ans plus tard, John Cale ne ressuscite pas le Velvet, il le fait juste rejaillir à la lumière.

Evincé du groupe en septembre 1968, l’altiste peut enfin livrer sa version des faits. En l’absence de la batteuse Maureen Tucker, le dernier rescapé a convoqué une poignée d’invités pour donner corps à ses réappropriations. A commencer par Carl Barât et Pete Doherty (The Libertines), heureux comme les allumettes dans ce magasin de feux d’artifice. Qui d’autre pour des relectures tendues et bruyantes de White light/white heat, Run run run et surtout European son, taillées à leur démesure? Certes, on est loin des agressions sonores qui caractérisaient The Velvet Underground en 1965, lorsque le groupe s’est fait virer du Café Bizarre pour avoir joué une fois de trop Black angel’s death song.

A quoi bon?
Très proche du disque, Venus in furs confirme qu’elle figure parmi les plus belles chansons du monde. Tout comme Sunday morning, malgré ses nappes de synthés un peu cheap. Avec son accent frenchy et sa voix freluquette, Etienne Daho ne donne en revanche pas à I’ll be your mirror l’ambivalence que Nico laissait alors planer. Tout comme Lou Doillon qui, malgré sa voix râpeuse, livre une version bien morne de Femme fatale. Animal Collective (There she goes again), Mark Lanegan (All tomorrow’s parties) et Saul Williams (Heroin) s’en tirent, par chance, à meilleur compte.

Evidemment, il a manqué à ce panégyrique des perles telles Pale blue eyes ou Sweet Jane, des titres postérieurs au départ de John Cale. La rancune semble tenace… Quoi qu’on en dise, The Velvet Underground sans Lou Reed, c’est un peu comme de la bière sans alcool: ça y ressemble, mais à quoi bon?

Arte, dimanche 12 juin, 0 h 30. Le film du concert est également visible sur le site http://concert.arte.tv.

 

 

 

 

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