Paolo Fresu: «Le mystère de la musique vient du silence»

Avec ses complices Richard Galliano et Jan Lundgren, Paolo Fresu présentait la semaine dernière Mare Nostrum II au Cully Jazz festival. Rencontre avec le trompettiste sarde.

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Par Guy Fragnière           

Il est probablement un des trompettistes de jazz contemporain les plus talentueux et renommés. Incontournable de la scène internationale, Paolo Fre­su multiplie les projets avec une curiosité sans cesse renouvelée. Jouant sur trois ou quatre projets en parallèle, il a développé un rapport très intime entre sa musique, le monde et sa propre existence.

Habitué du Cully Jazz Festival, c’est en compagnie de Richard Galliano et Jan Lundgren qu’il est venu présenter leur nouvel album: Mare Nostrum II. Un concert empreint de la sensibilité qui leur est propre. Ici, la mer n’est pas agitée, mais se révèle douce et bienveillante dans l’osmose lyrique qui lie les trois musiciens. Rencontre avec le trompettiste sarde, avant le concert, entre le sound check et la séance photo.MareNostrum_01__c__ACT__Thomas_Schloemann

Comment a débuté cette collaboration en trio?
J’ai joué quelques fois avec Richard Galliano dans le passé et Jan a rencontré Richard au Japon. C’est René Hess, notre producteur, qui nous a demandé si on avait envie de faire un projet ensemble. Nous sentions évidemment qu’il y avait quel­que chose. Nous nous sommes vus, nous avons commencé à jouer et c’était facile, naturel. Normalement, mes projets naissent d’une manière très spontanée. Celui-ci est né à travers quelqu’un qui ne fait pas partie du groupe et c’est une de ses spécificités.

Le premier opus de Mare Nostrum date de 2007. Aujourd’hui, ce nom résonne fortement avec la migration et l’opération du même nom qui a eu lieu en 2013 au large de Lampedusa. Reliez-vous cette actualité à votre musique?
Sûrement. D’abord, Mare Nostrum était un thème composé par Jan Lundgren, que nous avions enregistré dans le premier disque. C’est devenu le titre du CD et le nom du groupe en 2007. Aujourd’hui, alors que que tout le monde connaît la problématique en Méditerranée, on a gardé le même nom.

Je viens de la Sardaigne, une petite pierre dans le Méditerranée. Si on garde un nom comme celui-là, nous sommes obligés d’utiliser la musique pour réfléchir sur ce qui se passe. Toutes les fois qu’on parle de Mare Nostrum, soit avec la musique soit avec les paroles, on donne une petite contribution pour trouver une résolution du problème. On est complètement dedans. Même si on ne veut pas… On ne peut pas oublier, il ne faut pas oublier.

Cette question de la migration était déjà présente dans votre collaboration de 2006 avec Gianmaria Testa, qui nous a quittés récemment…
Oui, absolument. Le projet de Gianmaria et tout ce qui vient après… Nous, les Italiens, nous avons migré énormément et nous connaissons bien ce thème.

Avec Gianmaria, c’était magnifique. Il y avait une grande amitié et une complicité entre nous. Nous partagions cette idée de mettre la musique au centre de l’univers, pour changer le monde. On aimait beaucoup la bouffe, on aimait beaucoup le vin. C’est difficile de parler de lui maintenant parce qu’il laisse un trou énorme. On a beaucoup souffert, lui surtout, mais moi aussi.

Je pense que Gianmaria, avec son originalité, a changé un peu l’idée de la chanson italienne. C’était un musicien très engagé et quelqu’un qui préférait toujours vivre simplement, dans un rapport de proximité avec le public. On partageait un peu cette idée de la musique.

Aujourd’hui, au travers de votre image et de vos nombreux voyages, ressentez-vous le devoir d’ouvrir à votre public un autre regard sur le monde?
Absolument. J’étais en Haïti dernièrement pour une opération humanitaire. La situation est vraiment grave. Et, en tant que musicien connu, on a la responsabilité de voyager, de voir des choses et d’offrir une vision sur elles. Je pense qu’il ne suffit pas de faire la musique. Il faut s’engager avec la musique pour d’autres choses. Parce que le sens, aujourd’hui, d’être artiste contemporain, c’est cette façon de voir, de lier la musique à la vie.

Dans une interview précédente, vous évoquiez la recherche du son. A quel moment avez-vous rencontré votre identité sonore?
J’avais la chance de partager la musique, depuis le premier moment où j’ai joué de la trompette, dans la fanfare du village. Nous étions 50: ce n’est pas tout à fait donné, car il y a des mecs qui font des études au conservatoire, mais qui ne jouent jamais avec personne. C’est une différence énorme. Pour moi, la musique est une chose collective. C’est la festa.

Le mystère de la musique vient du silence. Si on joue toujours, il n’y a pas de mystère. Le silen­ce, c’est l’inconnu. Le silence, c’est la spiritualité

Quand j’étais tout seul à la maison, je jouais et je n’avais pas de plaisir, parce que le son de la trompette toute seule, sans les autres, était pour moi quelque chose d’inutile. Je n’avais pas un plaisir personnel intérieur. Jusqu’au jour où j’ai joué une note à la maison et où j’ai senti que quelque chose était passé. Comme une fenêtre qui tout à coup s’ouvrait. Je ne l’ai pas oublié et, à partir de ce moment-là, tout a changé.

Votre travail de l’instrument fait souvent écho à une notion de self-control et de pratique méditative. Trouvez-vous dans la musique une certaine forme de spiritualité?
Il y a un mystère, dans la musique, qui appartient à la spiritualité. Quelque chose d’inconnu. On est encore là à jouer parce que chaque jour on regarde, on voit, on touche des choses qui ne sont pas là. Je pense que ça, ça appartient à la spiritualité. C’est l’émotion, c’est la poésie. Ce sont toutes des choses que l’émission du son nous provoque et qui peut faire que la musique est très intérieure.

Derrière le son, il faut qu’il y ait quelque chose. Le mystère de la musique vient du silence. Si on joue toujours, il n’y a pas de mystère. Le silen­ce, c’est l’inconnu. Le silence, c’est la spiritualité, c’est l’espace où l’on peut imaginer les choses.
Paolo Fresu, Richard Galliano, Jan Lundgren, Mare Nostrum II, Act Music

Posté le par Eric dans jazz, jazz, Musique Déposer votre commentaire

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