Grand Blanc: une histoire de rage, de style, de liberté

Avec un premier album intense, Grand Blanc secoue le pop-rock français. Entretien avec Benoît David, chanteur et parolier, alors que ces quatre jeunes Français jouent ce soir au Nouveau Monde, à Fribourg.grandblanc

par Eric Bulliard

Il leur a suffi d’un EP (en 2014) et de ce premier album pour que Grand Blanc soit catalogué «nouvelle sensation de la scène pop-électro française». Avec l’impressionnant Mémoires vives, ces quatre jeunes musiciens défient les étiquettes à coup de rock intense et lettré. Avant leur venue au Nouveau Monde, à Fribourg (ce soir), entretien avec Benoît David, parolier et voix masculine du groupe, Camille assurant la voix féminine.

Votre album démontre une liberté totale: aviez-vous toujours en tête ce refus de tout formatage?
Benoît David: Quand on a pensé à ce premier album, nous avons eu le réflexe de nous demander comment les gens allaient le recevoir et ça nous a fait stresser. On a recentré la question en se disant que la seule qui comptait, c’était de savoir ce que nous, nous en pensions. Ce n’était pas un refus des codes extérieurs: nous ne sommes pas militants contre tel ou tel style de musique, mais nous avons essayé d’y mettre nos libertés individuelles, parce que nous sommes quatre, avec de gran­des gueules à parts égales et des goûts assez différents.

Comment se passe concrètement la création?
On pose tout sur ordinateur: on ne joue presque pas en live pour composer les morceaux, ce qui permet de fragmenter les choses. Et celui qui n’est pas batteur peut écrire une batterie… Tout le monde a tous les instruments et l’initiative du morceau peut venir de tous les quatre.

Nous étions des musiciens acoustiques ou électriques sans trop savoir ce que ça pouvait vouloir dire «produire de la musique» et pas simplement la jouer. Quand on a découvert ça, au lieu de juste reprendre les vieux morceaux, on a fait n’importe quoi avec et voilà!

Avez-vous toujours procédé ainsi ou au départ aviez-vous une approche plus traditionnelle, avec de vrais instruments?
Au début, j’avais quelques chansons, écrites avant le groupe. On a commencé par faire du réarrangement, qui est très vite devenu de la recomposition. Nous étions des musiciens acoustiques ou électriques sans trop savoir ce que ça pouvait vouloir dire «produire de la musique» et pas simplement la jouer. Quand on a découvert ça, au lieu de juste reprendre les vieux morceaux, on a fait n’importe quoi avec et voilà!

Vos textes travaillent la langue comme une matière, ce qui les rend poétiques, mais parfois mystérieux…
On est assez à l’aise avec le mystère… En fait, c’est un peu théorique, mais il n’y a pas de texte dans le disque, ni sur scène: nos mots existent uniquement sous la forme d’une voix qui les dit, les hurle ou les chante. On écrit du texte pour qu’il soit dit dans sa matérialité sonore, dans son rythme. Pour nous, c’est la manière la plus pleine de signifier avec la langue. Nous aimons tous beaucoup lire, nous sommes relativement littéraires, mais la musique est un art vivant. Le texte est un matériau mort ou en sommeil et nous, on le chante.

Vous montrez aussi que le français peut sonner admirablement, contrairement à ce que certains continuent à prétendre…
On essaie… Plein de gens l’ont fait: des types comme Gainsbourg savaient très bien faire sonner le français. Mais ce n’est pas facile de trouver cette langue et le style d’écriture de Grand Blanc. En travaillant énormément sur le son, un truc formidable se passe: la propriété du texte, du poème ou de la chanson s’efface. Quand j’écris un texte, je ne raconte pas ce que je pense, j’essaie de chercher ce qui peut sonner étrangement et signifier par son étrangeté. Ça ne m’appartient pas en propre, ça appartient à la langue et à mes trois amis avec qui je fais de la musique.

On insiste souvent sur votre côté sombre: ne faut-il pas plutôt y voir une énergie, une rage de vivre?
Nous sommes plutôt joyeux dans l’existence, mais aussi un peu inquiets: ce qu’on aime, c’est faire passer dans notre musique la complexité de l’existence, où il y a une part sombre et une part claire. On ne fait pas de la musique mélancolique, on fait de la musique rageuse. Elle a certainement une part sombre, mais contre laquelle elle se bat et nous cherchons cette espèce de tension interne. Nous vivons quand même dans un bon gros monde de publicité et de divertissement où il ne faut pas inquiéter les gens, ne pas parler de la mort. On ne se reconnaît pas dans ce monde de carton-pâte. Du coup, on ne passera peut-être jamais sur NRJ parce qu’on fait des chansons sur l’angoisse existentielle, mais on s’en carre… Si le jeu pour avoir le droit de s’exprimer c’est de ne dire que des conneries ou la moitié des choses, on ne le jouera pas.

Il y a aussi un écho avec le côté trépidant de notre société et de la vie urbaine…
Oui, c’est la problématique essentielle pour nous et pour les gens autour de nous: ils cherchent juste à vivre et à savoir qui ils sont. Depuis que l’homme a une conscience, c’est à peu près ce qu’il essaie de faire: on n’est pas très originaux, on parle de l’amour, de la vie, de la mort… Mais ce sont des concepts et ils prennent réalité quand on les vit dans tel endroit avec telle personne.

Nous prenons notre quotidien, nos villes et nous en arrachons des bouts très concrets pour atteindre ces grandes questions. Quand des peintres peignent la lumière, ils ont besoin d’un lac pour qu’elle se réfléchisse dessus. On fait ça: pour parler de l’amour, on le réfléchit sur le trottoir d’en bas.

Il paraît que Mano Solo fait partie de vos références…
C’est une de mes références à moi, les autres ne sont pas trop concernés. Je trouve qu’on n’en parle pas assez et qu’on se méprend: on le prend pour un chanteur français, un type à l’accordéon alors que c’est beaucoup plus que ça… C’est un punk, c’est un survivant, c’est un poète! Il faut écouter Mano Solo!

Les autres, dans Grand Blanc, dès qu’ils entendent trois notes d’un truc qui ressemble à de la chanson française, ils piquent un fard et ça me saoule… C’est pour ça aussi qu’on tient à s’éloigner des codes de la chanson, qui a un truc un peu sacral et lourd. On n’a pas envie de le cautionner ni d’en pâtir. Ça nous embêterait qu’on ne nous écoute pas parce qu’on se dirait «tiens, encore de la chanson française…».

Fribourg, Nouveau Monde, jeudi 7 avril, 20 h 30.

www.nouveaumonde.ch Grand Blanc, Mémoires vives, Sony Music

 

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