Les cases suspendues de Jon McNaught

La bande dessinée comme miroir d’un quotidien apaisé. En trois ouvrages, Jon McNaught pose un regard frais sur le 9e art, celui de la normalité sublimée.Page 10

par Romain Meyer

Ils sont peu nombreux, les auteurs de bande dessinée, à pouvoir utiliser la forme de leur art pour transmettre un message ou une vision du monde, à articuler un gaufrier – l’agencement de cases identiques – pour que chaque espace, chaque page qui se tourne prenne un sens. Il y avait Chris Ware (Jimmy Corrigan, Building Stories…) ou Richard McGuire (Ici), il y a maintenant aussi Jon McNaught. En trois ouvrages, l’auteur anglais propose un nouveau regard sur le quotidien et sur le 9e art.

Pas de déflagrations destructrices, de flingues ni de gros bras, pas le moindre extraterrestre belliqueux ni animal parlant, même pas d’action, à peine quelques mots… Le silence et le calme d’une banlieue pavillonnaire ou d’une île, la répétition des heures et des jours, les événements de rien. Le monde de Jon McNaught pourrait n’être qu’une expression d’un ennui à répétition. Il est en fait celui de la redécouverte du temps qui passe, des petites choses – pas forcément belles d’ailleurs – qui animent l’immobile, qui modifie un tableau en apparence figé.

Changement et continuité
Chaque page de l’auteur anglais est une construction parfaitement régulière, dans laquelle évolue presque au ralenti un personnage qui n’a de spécial que d’être parfaitement commun. Les cases représentent un détail, un moment fugace – un sac plastique, la lumière du ciel, le vol d’un oiseau, un vélo qui passe – qui le rend toutefois unique par une variation infime et donc essentielle. Chaque élément est isolé dans sa vignette qu’il occupe entièrement, lui donnant vie et, surtout, créant une forme d’aparté, d’autonomie à l’intérieur de la séquence, lui conférant une signification particulière et faisant de sa présence, pourtant éphémère, un instantané fort et nécessaire. Dès lors, il y a une audace inattendue dans les œuvres de Jon McNaught, un positionnement à contre-courant de ce qui se fait habituellement dans le 9e art. Une forme de révolution tranquille.Page 11

Une audace que l’on retrouve aussi dans son style graphique: très souvent en bichromie, il a éliminé le relief et la profondeur, limant les silhouettes des animaux et des gens. Les couleurs sont des aplats répétitifs et géométriques et les vignettes s’alignent minutieusement, comme un film monté image par image, où seules quelques onomatopées viennent rythmer le silence. Rien d’étonnant à ces créations minimalistes et épurées, suspendues dans le temps et proches de certaines gravures: Jon McNaught enseigne la lithographie offset et l’impression en relief à l’Université de l’ouest de l’Angleterre, à Bristol.

Contemplations sérielles
Trois ouvrages de ce bricoleur de la bande dessinée sont à découvrir ou à retrouver. Dargaud vient en effet de ressortir Automne, qui a reçu le prix Révélation lors du festival d’Angoulême en 2013 et qui était auparavant publié chez Nobrow, tout comme Dimanche, petit livre lui aussi republié, mais accompagné d’une nouveauté, Histoires de Pebble Island. Ces deux petits volumes se trouvent reliés par un poster plié et original de l’auteur.

Il y a là une rencontre des générations sur fond d’arrière-saison, moment où les oiseaux s’apprêtent eux aussi à partir pour passer l’hiver au chaud.

Ces trois tomes constituent des moments à la fois doux-amer et nostalgiques – il y a dedans beaucoup de la jeunesse de Jon McNaught, né en 1985. Ils sont dans la quiétude et dans l’observation. Automne, par exemple, est constitué de deux récits, celui du garçon de cuisine de la maison de retraite de Dockwood et celui d’un livreur de journaux qui termine sa tournée. Chacun parle du départ, qu’il soit définitif ou espéré, et de la fragilité de l’existence humaine: il y a là une rencontre des générations sur fond d’arrière-saison, moment où les oiseaux s’apprêtent eux aussi à partir pour passer l’hiver au chaud.

Dimanche et Pebble Island s’opposent géographiquement: le premier prend place dans une banlieue résidentielle aux mille maisons reproduites en sérigraphie, le second sur une île, loin de toute agitation du monde (McNaught a passé une partie de sa jeunesse dans les Malouines). Pourtant le silence est presque le même: contemplatif ou à peine perturbé par les passages d’un film. L’essentiel est bien ailleurs, dans la redécouverte du monde que l’on savoure par de tout petits riens, par une forme d’harmonie naturelle aussi. Une douceur dans la forme et dans le fond. Une respiration.

Jon McNaught, Histoires de Pebble Island/Dimanche et Automne, Dargaud

Page 12

 

 

Posté le par admin dans BD Déposer votre commentaire

Ajouter un commentaire