Le rock grande classe des noirs Tindersticks

Boudés par le grand public depuis plus de vingt ans, mais adulés par la critique, les Anglais de Tindersticks viennent de sortir un sublime dixième album, The waiting room, agrémenté d’une série de courts métrages d’auteurs. Le groupe se produira le dimanche 6 mars à L’Octogone de Pully.

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par Christophe Dutoit

S’il fallait désigner le groupe de rock le plus classe de ces trente dernières années, Tindersticks serait certainement sur le podium. Actifs depuis le début des années nonante, Stuart A. Staples et ses acolytes n’ont jamais cessé de tutoyer l’excellence avec leur rock ténébreux, souvent mâtiné de cordes et de cuivres, toujours empreint d’une tristesse faussement larmoyante et d’une sincérité à toute épreuve.

Habitué à livrer des prestations hantées sur scène, le groupe se révèle d’une fragilité sublime en studio. Trois ans après la compilation Across six leap years, le groupe désormais réduit à un quintette vient de sortir un dixième album, The waiting room. Dès les premières notes de melodica, Tindersticks revisite le thème des Révoltés du Bounty, en forme d’introduction au sublime Second chance man. Quelques accords d’un orgue désuet, une basse finaude, des balais sur la caisse claire, de discrets arpèges de guitares en mode mineur et, surtout, la voix grave et murmurée de Stuart A. Staples, de plus en plus ensorcelante au fil des ans. Près de vingt-cinq ans après ses débuts, Tindersticks n’a rien perdu de sa magie noire.

La voix troublante de Lhasa
Les onze titres du disque sont à l’unisson. Une basse tournoyante, des guitares sur le vif et des nappes de violons romantiques servent d’écrin au torride Were we once lovers? sous influence krautrock. En effet, le groupe n’a jamais caché son amour pour l’éclectisme, puisant autant du côté du jazz que des brass bands. Sur Help yourself, Staples mêle par exemple sa voix de crooner à un afrobeat très funky, chaleureusement appuyé par une section de cuivres au garde-à-vous.tindersticks2

Dans ce champ de vision à 360 degrés apparaît la voix troublante de Lhasa de Sela sur le fiévreux Hey Lucinda. Amie de longue date, la chanteuse avait enregistré une démo peu avant son décès en 2010. Un moment de grâce que le groupe a réarrangé pour lui donner la splendeur d’une perle. Une seconde voix féminine permet à cet album de tutoyer les sommets. Celle de Jehnny Beth, la chanteuse de Savages, qui pousse Stuart A. Staples dans les cordes sur l’incroyable We are dreamers, sans doute la chanson la plus intense et la plus tendue que le groupe ait composée. Une merveille.

Onze courts métrages non narratifs
Habitué à confronter sa musique aux images mouvantes, Tindersticks a en outre participé à un projet ambitieux lancé par le Festival du court métrage de Clermont-Ferrand et la Blogothèque. Faire réaliser par des vidéastes des clips non narratifs pour les chansons de l’album. Le résultat est stupéfiant, tant dans la perspective artistique, parfois très inspirée par Bill Viola, que dans la simple ivresse des images, tournées pour quatre titres par Stuart A. Staples et son épouse, elle-même artiste.

Tindersticks, The waiting room, Lucky Dog.
Pully, L’Octogone, dimanche 6 mars, 20 h 30, www.theatre-octogone.ch

Tindersticks en trois temps forts

tindersticks_secondSecond Album (1995). Après s’être appelés un temps Asphalt Ribbons, six musiciens de Nottingham forment Tindersticks en 1991 sous l’impulsion du chanteur Stuart A. Staples. Alors que le grunge de Nirvana déboule sur les ondes, les Anglais prennent le contre-pied avec leur musique aérienne et torturée, à l’image du sublime 45-tours Marbles. Remarqué dès son premier – double – album, le groupe tourne en première partie de Nick Cave et gagne chaque soir de nouveaux adeptes lors de prestations enivrantes. En 1995, Tindersticks sort son deuxième disque, toujours sans titre, mais doté d’une classe hors norme. Avec sa voix de baryton, Staples susurre des mélodies contagieuses, tandis que son groupe tisse des atmosphères fiévreuses à grand renfort de cordes, de cuivres, d’une basse entêtante et de guitares indomptées. En concert, le groupe s’acoquine parfois avec un orchestre, comme au Bloomsbury Theatre de Londres en mars 1995, prestation mythique d’un groupe qui atteint là son zénith.

tindersticks_hungryThe Hungry Saw (2008). Après avoir enregistré six albums en dix ans, dont l’excellent Curtains en 1997, les membres de Tindersticks croient avoir tout dit en groupe et préfèrent se consacrer à des projets solo. Stuart A. Staples sort deux albums de son côté, tandis que Dickon Hinchliffe compose des musiques de films. En 2006, le groupe est invité à interpréter son deuxième album au Barbican Centre et retrouve le feu sacré. L’année suivante, trois des fondateurs se retrouvent dans le Limousin, nouveau pied-à-terre du chanteur, et composent ensemble The hungry saw. Tour à tour qualifiées de funèbres et de fragiles, ces douze nouvelles compositions remettent les Anglais sur les rails. Toujours aux antipodes du succès, le groupe poursuit son exploration de l’âme humaine, dans un esprit de plus en plus soul. Porté aux nues par la critique, mais boudé par le grand public, Tindersticks poursuit désormais sa route dans la marge et publie régulièrement des albums racés, tels le jazzy The something rain, en 2012.

tindersticks_scoresClaire Denis Film Scores (2011). En 1995, la metteure en scène française Claire Denis demande à Tindersticks de pouvoir utiliser la chanson My sister pour son film Nénette et Boni. Intrigué par l’idée de composer pour le septième art, Stuart A. Staples lui propose non seulement d’intégrer cette chanson dans son long métrage, mais surtout de composer l’entier de la bande originale, ce que la réalisatrice accepte avec bonheur. Cette première expérience est si concluante qu’elle débouche sur une collaboration main dans la main pour six films, dont Trouble every day (2001), White material (2009) ou Les salauds (2013). En 2014, les Anglais poussent encore le bouchon plus loin en créant la bande-son d’une exposition autour de la bataille d’Ypres, une ville belge entièrement rasée durant la Première Guerre mondiale. Une fois encore, la musique de Tindersticks se mêle à la perfection aux images – davantage dans la suggestion que la simple illustration d’ailleurs – jusqu’à devenir un élément à part entière du groupe.

 

 

 

 

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