Guy Oberson: «Peindre ce qui échappe»

De son enfance glânoise à ses séjours à Berlin ou à Paris, Guy Oberson a suivi un parcours atypique, avant de devenir un peintre reconnu au niveau international.

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par Christophe Dutoit

D’aussi loin qu’il s’en souvienne, Guy Oberson a toujours aimé dessiner. «J’avais une dizaine d’années quand un ami de mon grand frère m’a appris à utiliser la gouache. C’était ma passion.» Silence. Pour accompagner ses gestes amples, il se lève et se dirige vers une commode. Dans le tiroir du bas, il sort un cartable. «Celui-là est daté de 1970. J’allais à l’école primaire. A l’époque, je dessinais des formules 1 et des portraits de Jo Siffert, mon héros.»

Il commence à neigeoter à Lentigny derrière les grandes baies vitrées de son atelier. Alors que le poêle à bois délivre sa douceur, l’artiste mesure le chemin parcouru jusqu’à ses récentes expositions à Paris, à Berlin ou au Musée d’art et d’histoire de Fribourg.

Dans la ferme familiale de Mézières où il naît en 1960, l’art n’était pas un sujet de conversation. «Les Glânois connaissaient certes André Sugnaux. Mais, à l’époque, il était incompris, car il peignait des choses très sombres.» Un premier déclic a lieu lorsqu’un de ses enseignants remarque son talent précoce et lui achète un dessin. Pour 35 francs. Plus tard, le jeune Guy décore un mur de la cuisine au grand ravissement des visiteurs.

«Le propret, le gentillet»
Sur cet élan, l’adolescent prend des cours de dessin par correspondance. Mais, pour ses parents, pas question qu’il entre aux Beaux-Arts. «Tu dois apprendre un métier pour gagner ta vie, m’ont-ils dit.» Ce sera en Suisse allemande, notamment sur des chantiers de restauration d’œuvres d’art.

Mes parents étaient très sensibles au qu’en-dira-t-on. Il ne fallait surtout pas choquer.

«Mon éducation a été dominée par le propret, le gentillet. Il fallait se conformer à la norme sociale très marquée par la religion catholique, explique Guy Oberson de sa voix de cinéma. Mes parents étaient très sensibles au qu’en-dira-t-on. Il ne fallait surtout pas choquer.» Il évoque cet épisode marquant lorsque sa maman jette à la poubelle ses premiers nus féminins. «La perte de liberté a fait naître ma révolte et mon incompréhension. Je ne pouvais plus adhérer à ce catholicisme qui surveillait les gens comme un régime communiste.» Cette religion qui permettait, par exemple, au curé de rabrouer sa mère dans sa jeunesse, parce qu’elle avait un jour coupé ses cheveux trop courts…

«Il a fallu que je m’échappe.»
Après avoir beaucoup appris sur la technique et le genre humain, il abandonne la restauration d’art pour celle des âmes meurtries. Le jeune homme devient éducateur social, fonde une famille et élève ses trois enfants. La peinture reste présente, en sourdine, exercée à des moments volés. A 25 ans, Guy Oberson expose pour la première fois au centre commercial d’Avry. «Comme ma vie, ma peinture était bien rangée et pas du tout contestataire. Je cherchais surtout la prouesse technique.»

Je me suis reconnecté à des choses très profondes et très libres.

En 1988, le Fribourgeois connaît un choc fondateur lors d’une visite à la Collection de l’art brut, à Lausanne. «J’ai été totalement fasciné par cet univers qui touche à cette folie que je côtoyais dans mon travail social. J’ai tout à coup retrouvé le plaisir de peindre comme lors de mon enfance. Je me suis reconnecté à des choses très profondes et très libres.»oberson-couleur-carré

Quelques années plus tard, Guy Oberson perd son papa. «Il n’avait pas eu la possibilité de faire tout ce qu’il avait envie.» Il se dit que lui non plus. «J’étais établi, j’avais un poste à responsa­bilités. J’étais bien-comme-il-faut et je me disais: “Un jour, je serai peintre.”»

Après avoir baissé son temps de travail, il franchit enfin le pas et se consacre désormais pleinement à son art. «Je ne regrette pas ces années “conventionnelles”. J’ai aimé la vie de famille. J’ai pu offrir un terrain favorable à mes enfants.» Il expose alors dans les principales galeries du canton, chez Jean-Jacques Hofstetter ou à La Schürra.

La montée à Paris
Dans le canton, le peintre se sentait solitaire. «J’allais voir les expos, mais je ne connaissais pas les artistes. Je ne faisais pas partie de leur monde.» Sa première demande d’adhésion à la société des artistes (l’ancêtre de Visarte) lui est refusée pour cause de «manque de langage personnel». Un comble.

Je suis autant heureux devant une œuvre de Richter que face à un dessin de Holbein ou un tableau de Titien.

A cette époque, il demande au peintre René Guignard de critiquer son travail. «Un moment important.» Il suit des cours chez Viviane Fontaine à Cerniat. En 2002, Guy Oberson décide de monter à Paris, avec son cartable à dessins sous le bras. «Ça m’a demandé un effort, mais il fallait que je sorte. Pour voir les choses différemment. Sans doute pour me mesurer aux autres.» Peu à peu, Guy Oberson forge sa personnalité. Il découvre l’expressionnisme, Basquiat, Baselitz, la figuration libre, Twombly. «Je suis autant heureux devant une œuvre de Richter que face à un dessin de Holbein ou un tableau de Titien.» En 2011, il séjourne six mois à Berlin dans la résidence d’artistes du canton de Fribourg.

«Je me suis reconnecté avec ma folie intérieure, les choses intimes qui me font vivre, raconte-t-il en toute pudeur. C’est une banalité de dire que je peins mon rapport au monde. Mes tableaux ne naissent pas d’une réflexion. Ils l’accompagnent. J’aime peindre des choses qui échappent à la simple description. J’adore pouvoir toucher ce qui échappe au contrôle. Me laisser surprendre, me laisser emporter.»

Ces dernières années, l’ailleurs a alimenté l’inspiration de Guy Oberson. Des voyages avec sa compagne, la romancière Nancy Huston, en Chine, à Cuba, tout au nord du Canada. «C’est riche de partager ces moments avec un autre artiste. L’approche est complémentaire.»oberson07_alberta_burning

Aujourd’hui, le peintre de 56 ans est reconnu sur le plan international et poursuit une œuvre flamboyante. «J’ai longtemps souffert de ne pas avoir eu un parcours traditionnel. Mais je me rends compte maintenant que mes expériences préalables ont nourri mon travail. C’est de là que j’ai compris que ma peinture est en équilibre entre les sens, l’intellect, l’esprit et les émotions.»

Réconciliation interposée
Avant son décès en 2009, la maman de Guy Oberson a pu apprécier le parcours de son fils. «Elle est passée d’une incompréhension profonde à une certaine reconnaissance. Elle a vu la création de mon atelier sans bien comprendre pourquoi des gens achetaient ma peinture. La seule œuvre qu’elle ait vraiment appréciée est un portrait de ma fille. Ce fut comme une réconciliation interposée.» Un long silence. «Je comprends mieux à quel point je l’ai bousculée. A la maison, j’écoutais Pink Floyd, The great gig in the sky, ce titre où une femme chante comme un orgasme. Ça devait lui être insupportable. A la maison, on était mal à l’aise devant l’émotion.»

Dehors, il fait blanc. L’heure de midi interrompt la discussion qui aurait pu durer jusque tard dans la nuit.

Des okis pour miroir intime

Lors d’un récent voyage dans l’Alberta (Canada) avec Nancy Huston, Guy Oberson s’est rendu dans la région de Fort McMurray. Une ville de chercheurs d’or à la Mad Max, recouverte à l’année d’une fine pellicule de poussière. Très inspiré par ces terres hostiles et dévastées, il leur consacre une série d’aquarelles exposées dès vendredi à la Galerie du Rhône, à Sion.

 

De retour dans son atelier de Lentigny, Guy Oberson s’est également mis en tête de peindre des okis, ces puissants esprits qui accompagnent les Indiens hurons depuis des siècles. «Je les dessine dans une sorte de méditation», explique-t-il. Devant ces «êtres invisibles» sans nez ni bouche – mais extrêmement évocateurs – le spectateur semble face à des miroirs intimes. A moins que ses Okis ne soient autant d’autoportraits…

Sion, Galerie du Rhône, Guy Oberson, Eaux lointaines, du 23 janvier au 27 février

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