Yann Mingard, nuit américaine entre le Haut et le Bas

Neuchâtel s’est mis au diapason d’autres cantons romands et vient de lancer sa première enquête photographique. Au Musée des beaux-arts du Locle, Yann Mingard montre ses paysages ténébreux récoltés sur le tracé imaginaire qu’aurait dû emprunter le Transrun.

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par Christophe Dutoit

Très souvent depuis sa naissance en 1839, la photographie a servi d’outil de documentation. Asservie au réel par nature, elle offre le matériau idéal pour fixer les strates de toutes mutations. Mandaté par le canton de Neuchâtel pour sa première enquête photographique, Yann Mingard a pris le contre-pied de cette démarche classique. Choisi parmi 35 candidatures, il donne à voir des paysages qui auraient dû être modifiés par le Transrun, ce projet de liaison ferroviaire entre Neuchâtel et La Chaux-de-Fonds, refusé en 2012 en votation populaire. Il montre des lieux impassibles et d’une ordinaire banalité. Comme le constat d’un non-lieu.

Les territoires de Yann Mingard échappent à l’identification et peu de lieux sont reconnaissables tant ses cadrages sont serrés et ses images sans contexte.

Pour aboutir à ses images, le photographe né à Pompaples s’est assigné un protocole. Le tracé du RER est devenu une ligne de jeu invisible, qui impose de manière aléatoire ses points de vue. Ensuite, l’homme de 42 ans s’est fixé la verticalité comme seconde contrainte. Pour éviter – à ses dires – cette vision panoramique si souvent associée au paysage. Un parti pris qu’il atténue toutefois avec des diptyques qui renouent avec l’horizontalité.

Images sans contexte
A l’évidence, Yann Mingard ne cherche pas à dresser une topographie de Neuchâtel: ses territoires échappent à l’identification et peu de lieux sont reconnaissables tant ses cadrages sont serrés et ses images sans contexte. Quelle différence entre le Haut et le Bas, ces deux entités antagonistes d’un canton bicéphale? Ne la cherchez pas dans les images. Le débat est ailleurs.mingardb

Car Yann Mingard prend surtout plaisir à questionner l’idée de paysage. En guise d’introduction, il met en perspective un triptyque de Léo-Paul Robert, peint à la fin du XIXe siècle et visible dans le hall d’entrée du Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel: Neuchâtel ou la vie intellectuelle, Le Val-de-Ruz ou la vie rustique et La Chaux-de-Fonds ou la vie industrielle. Trois strates qui affleurent dans ses images. Plus loin, il convoque Blaise Cendrars et Denis de Rougemont, deux écrivains locaux à l’aura internationale, pour donner une caution intellectuelle au projet. Mais encore. Sur les images du Vaudois, le territoire se dérobe et s’efface au profit de textures photographiques: plus que tout, le photographe apprécie les aplats de rocailles ou de branchages, les surfaces de prairies qui semblent avoir perdu leur troisième dimension.

L’humain absent
Souvent, les tirages de Yann Mingard font penser à des tapisseries miniatures. Sans crier gare, ils habillent les imposants volumes du Musée du Locle comme des musiques d’ascenseur, dont la beauté n’est perceptible que si on y prête une attention prolongée.mingarda

Certains verront une poésie des sombres dans ces paysages neuchâtelois amers comme l’était jadis l’absinthe du Val-de-Travers. Les verts y dominent, des verts sapin pris entre chien et loup, des verts pâturage sans troupeau, dans ces lueurs d’aube ou de crépuscule qu’affectionne le photographe. Le cadrage est ici un simple prétexte, le hors-champ peu bavard, le temps de pose comme congelé par des neiges éparses. Comme une évidence, l’humain est absent de ces lieux muets. La vision de Yann Mingard a le mérite d’être claire: dans une nuit américaine volontairement sous-exposée, elle est noire comme l’asphalte de Travers, ténébreuse comme la symbolique entrée de ce tunnel qui mène vers la nuit.

Pour sa première enquête photographique après Fribourg, Vaud et le Valais, le canton de Neuchâtel assume de confier son image à un plasticien, davantage qu’à un documentaliste. De la sorte, il accepte de se voir retourner non pas l’image d’un miroir, mais la vision artistique d’un monde délibérément maussade et désenchanté. Là réside sans doute la force des images de Yann Mingard: ne pas être destinées à l’Office du tourisme neuchâtelois, mais directement aux Neuchâtelois. Comme une flèche en plein cœur.

Yann Mingard
Ligne de fond – Enquête photographique neuchâteloise
Scheidegger & Spiess

Le Locle, Musée des beaux-arts, jusqu’au 31 janvier 2016, www.mbal.ch

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