Oxmo Puccino, la voix céleste du rap

Avec La Voix lactée, Oxmo Puccino retrouve le plaisir de ses débuts. Cette nouvelle galette prouve que le «black mafioso» savoure son art. Rencontre à Lausanne, quelques jours avant la sortie du disque, un certain vendredi 13 novembre…oxmo

par Laurent Rumo

Comment vieillir dans le rap? La recette n’est pas dans les livres, évidemment. A 41 ans, Oxmo Puccino ne semble pas perturbé par la question. Le rappeur parisien vient de sortir son septième album et se délecte à retrouver des plaisirs simples, tout en abordant de nouveaux thèmes. A la veille de la publication de La Voix lactée, il livrait à La Gruyère ses impressions et quelques confidences dans une langue savamment alambiquée, complexe. Confuse parfois. Avant tout, il avoue s’être concentré sur la positivité du message.

«Je ne m’étais pas pareillement amusé en rappant depuis bien longtemps. Les amateurs le reconnaîtront.» Le plaisir comme mot d’ordre, presque une obsession. Avait-il disparu? «Non. Mais sur les derniers albums, l’effort était ailleurs.»

En studio, on m’a incité à faire ce que je savais faire: rapper.

Ailleurs? Sur le processus de composition musicale, principalement. Depuis plusieurs années, Oxmo s’est entouré de musiciens tant sur scène qu’en studio. Quelques semaines avant la sortie de l’album, il achevait une tournée intimiste en trio acoustique avec un guitariste et un violoncelliste. «Une bulle aventureuse, une tournée de repos», comme il la définit lui-même.

Or, dans la création de ce nouvel opus, Oxmo a pris tout son monde à contre-pied. Exit les musiciens. Un instru, une basse, une boîte à rythmes. Le flow du maître fait le reste. «En studio, on m’a incité à faire ce que je savais faire: rapper.» A l’ancienne.

Plume affûtée et subtile
Le résultat est musicalement un peu plus sec que les dernières tentatives, certes. Mais tout autant efficace. Ce retour aux sources met en évidence ses qualités d’écriture. Une plume toujours aussi affûtée et subtile, bien que naïve par instants (le dispensable Slow life et le sujet quelque peu forcé de Surprise birthday). Les silences viennent cette fois-ci compléter son éventail de figures de style et aèrent avantageusement ses textes. Une preuve supplémentaire de maturité.oxmo-vertical

Tous âges, tous sexes
Etonnamment, Oxmo n’a pas cherché à créer un concept ni une cohérence thématique sur La Voix lactée. «Contrairement à mes débuts, je me retrouve aujourd’hui avec un public de tous âges, de tous sexes. Mon rap est devenu universel. Je parle de la paternité, de la famille, de la rupture, du divorce et des enfants qui en paient le prix.»

Dans ce même registre, la «voix de miel» maîtrise l’art du clin d’œil et des références à sa propre discographie. Les fans apprécieront Les Potos, titre frais et coloré qui fait écho évident à Avoir des potes, écrit il y a une dizaine d’années. A tel point que même le thème musical est similaire. «Je suis arrivé à un point où j’apprécie de traiter les mêmes sujets qu’à mes débuts, mais avec une expérience totalement différente. Ecrire Les Potos à 40 ans ou chanter Avoir des Potes à 30 ans, c’est le même sujet, mais ce n’est pas du tout la même manière d’aborder l’amitié. C’était aussi l’occasion de faire un morceau d’homme. J’y raconte des choses qu’on ne se dit qu’entre nous; les femmes ne peuvent pas comprendre. C’est rare que l’on s’intéresse à ce que pensent les hommes.»

Le côté urbain est fantasmé
Lieu de naissance du rap en France, la rue a disparu des strophes de l’imposant MC. Oubliée la substance urbaine? «La plupart du temps, le côté urbain du rap est fantasmé. C’est du spectacle. En revanche, le social est quelque chose qui touche tout le monde. L’essentiel est là; peu importe où on habite, les émotions sont les mêmes. Le quartier, on s’est battus pour en sortir. Ce n’est pas pour continuer à le mettre en musique et faire croire aux gens que c’est super.»oxmo-voix

Après tout juste vingt ans de carrière, le Parisien ne se prive pas d’un petit coup d’œil dans le rétroviseur. Son titre 1998 – date de la sortie de son premier album Opéra Puccino, notamment – revient sur une période qu’il chérit. En évitant avec adresse le piège de la nostalgie. «Je cherchais à parler de la France d’aujourd’hui. Je voulais suggérer une solution pour qu’elle aille mieux. Sans être moraliste. Le seul moyen que j’ai trouvé était de parler de mon pays au moment où il était à son meilleur. Je parle au passé composé uniquement sur le premier couplet. Toute la suite est au présent. Je n’exprime aucune tristesse; en ce sens, mon texte n’est pas nostalgique.»

«La joie peut ressurgir»
Zidane, la victoire à la Coupe du monde: les références sont évidentes. Mais le grand frère du rap français étaye son propos: «Pendant quelques mois, on a connu une effervescence qui a changé le pays. Mais elle a disparu. C’est l’impulsion de tous qui a créé ce mouvement. Beaucoup de problèmes actuels viennent du fait qu’on a oublié que c’était possible. Avec 1998, j’exprime l’idée que cette joie peut ressurgir si vous y mettez du vôtre.»

Par La Voix lactée, le rappeur sous-entendait «une voix apaisante, chaude, lumineuse». Triste ironie de l’histoire, l’album est arrivé dans les bacs un certain vendredi 13 novembre. Une semaine avant sa sortie, le rappeur parisien soupirait dans un élan de lucidité presque prémonitoire: «Après ce qui s’est passé en janvier dernier, il est plus qu’urgent de trouver un accord, parce qu’on sait où on va maintenant. Et il vaut mieux en avoir peur.»

Oxmo Puccino
La Voix lactée
Cinq 7 / Wagram Music

 

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