Dave Gahan & Soulsavers: une infidélité pour retrouver la flamme

Pour la seconde fois, le duo anglais Soulsavers s’est adjoint les services de Dave Gahan, l’emblématique chanteur de Depeche Mode. Une nouvelle collaboration resplendissante et revigorante.

gahan-soulsavers

par Christophe Dutoit

A 53 ans, Dave Gahan n’a plus rien à prouver. Chanteur charismatique de Depeche Mode depuis 1980, l’Anglais a joué dans les plus prestigieux stades de la planète, il a vendu un nombre incalculable de disques, il a joué à la vie de rock star, il a abusé de toutes les drogues et des groupies les plus faciles. Que demander de plus?

A l’inverse, Rich Machin et Ian Glover courent depuis plus de dix ans après un succès qui semble indéfiniment leur filer entre les doigts. Producteurs inventifs et révérés par la profession, ils ont déjà composé quatre albums sous le nom de Soulsavers, quatre perles incontournables qui n’ont atteint qu’une poignée d’aficionados. Eux en demandent vraiment davantage… C’est dire si l’annonce d’une seconde collaboration entre Dave Gahan et Soulsavers suscitait quelque attente depuis leur premier album composé ensemble en 2012.

Composition à distance
Dès la première écoute d’Angels & ghosts, l’alchimie fonctionne à nouveau à merveille. Bien que les musiciens aient travaillé dans leur studio en Angleterre et que le chanteur ait écrit ses textes et enregistrés ses parties dans son appartement de Manhattan, la distance semble n’avoir joué aucun rôle dans la cohésion du groupe.

J’ai enregistré quelques idées à la maison que j’ai envoyées à Rich. Ça l’a inspiré pour l’écriture de Don’t cry et il a convié un chœur de gospel au studio Electric Lady.

Au contraire de la tyrannie interne à Depeche Mode, Dave Gahan a trouvé dans cette infidélité provisoire un nouvel espace d’expression, une liberté d’expérimentation qu’il avait perdue au sein de sa machine à succès. Une forme d’urgence également, très éloignée du confort luxueux des sessions avec son comparse de toujours Martin L. Gore. «J’ai enregistré quelques idées à la maison que j’ai envoyées à Rich, explique le chanteur dans une récente interview à Rolling Stone. Ça l’a inspiré pour l’écriture de Don’t cry et il a convié un chœur de gospel au studio Electric Lady. Nous sommes arrivés tôt et nous avons travaillé jusqu’aux petites heures du matin. Nous avons essayé plein de choses, avec la contrainte du temps. Pas question d’avoir le luxe de recommencer le lendemain…»

Au gospel et au blues
Poussé dans les cordes, Dave Gahan a trouvé en Rich Machin et Ian Glover deux alter ego nourris au blues et au gospel américains, deux musiciens de l’ombre capables de composer des mélodies imparables et de dresser des arrangements sublimes avec quelques guitares échappées de l’univers de Tom Waits (Don’t cry), un orgue d’église ou un piano minimal en écho à Nils Frahm (One thing).

Plus intéressant encore, Dave Gahan et Soulsavers ont décidé de rendre enfin leur musique sur scène. Avec l’appui de membres de Spiritualized et de Porno for Pyros, ils donnent ces jours une série de six concerts dans des petites salles, dont La Cigale à Paris lundi prochain. Lors de la première à Los Angeles, le 19 octobre (l’entier du concert est disponible sur internet), le groupe a livré une prestation d’une classe à part. Avec son magnétisme de prédicateur, Dave Gahan n’a jamais semblé aussi envoûtant que Nick Cave et ses Bad Seeds au meilleur de leur forme. Ressourcé à cette fontaine de Jouvence, Dave Gahan n’en sera que plus inspiré pour l’écriture du prochain album de Depeche Mode, qui semblerait imminente.

Dave Gahan & Soulsavers
Angels & ghosts
Sony

 

Soulsavers en quatre temps forts

Soulsavers1Tough guys don’t dance (2003)
Encore très marqués par la vague big beat et le mouvement électro anglais, Rich Machin et Ian Glover forment The Soulsavers Soundsystem, qui se simplifie rapidement en Soulsavers. Les deux solides producteurs se font remarquer dès leur premier album Tough guys don’t dance en 2003. Déjà, ils préfèrent aux froids samplers la chaleur de «vrais» instruments de musique, quitte à les faire sonner comme des machines. A l’aide de boucles hypnotiques, ils forgent un univers électro-décalé qui puise autant à la source de la techno déjà sur le déclin qu’aux racines du gospel et de la soul. Déjà, Soulsavers s’adjoint les services d’un chanteur de luxe, Josh Haden, fils du contrebassiste Charlie Haden et lui-même leader de Spain, qui interprète trois titres envoûtants.

 

Soulsavers2It’s not how far you fall, it’s the way you land (2007)
De plus en plus sous le charme de l’Amérique, Rich Machin et Ian Glover entament une première collaboration avec Mark Lanegan, crooner à la voix de baryton, chanteur des excellents Screaming Trees et comparse des Queens of the Stone Age. Dans un registre à contre-emploi, ils lui composent un faramineux gospel introductif (Revival), avant de le lancer dans un road trip halluciné entre électro, soul et rock décadent (Paper money). Plus sombre que le précédent, It’s not how far you fall, it’s the way you land marque l’obsession de Soulsavers pour les forces de l’au-delà, notamment avec une incroyable reprise de Spiritual, de Spain. Parmi les invités, le groupe compte également Will Oldham, qui reprend avec Lanegan l’immense Through my sails de Neil Young.

 

Soulsavers3Broken (2009)
Plus en verve que jamais, Soulsavers remet l’ouvrage sur le métier avec Mark Lanegan en 2009. Sur Broken, la fièvre monte encore d’un cran dès le très post-grunge Death bells, qui semble tout droit sorti d’un film de David Lynch. La suite est à l’unisson, dans un univers où s’enchevêtrent sonorités électroniques, guitares massives et compositions hantées, à l’image d’Unbalanced pieces (avec Mike Patton de Faith No More) ou Some misunderstanding, sommet de ce disque qui prend toute son ampleur sur scène. En effet, entouré de nombreux musiciens dont le précieux Mark Lanegan, Soulsavers se produit en première partie de la tournée européenne de Depeche Mode, et notamment lors du concert donné à Palexpo en novembre 2009. Le contact avec Dave Gahan est ainsi noué.

 

Soulsavers4The light the dead sea (2012)
Peu de chanteurs ont les épaules assez larges et la voix suffisamment singulière pour succéder à Mark Lanegan. Du coup, rien d’étonnant à ce que Rich Machin et Ian Glover aient demandé au chanteur de Depeche Mode de se prêter au jeu. Le courant a si bien passé entre eux que Dave Gahan a composé l’entier des textes et chante sur l’intégralité de The light the dead sea, le quatrième album du groupe. Dès la première écoute, cette nouvelle collaboration sonne comme une évidence. Tant au niveau des influences partagées (gospel et blues américains) que des atmosphères ténébreuses. Assez étrangement, ce rapprochement vers le parrain de l’électro anglaise marque un éloignement tangible de ces premières influences…

 

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