L’image comme enjeu mémoriel

Léguée en 1903 au canton par son fondateur Paul Vionnet, la Collection iconographique vaudoise fait l’objet d’une première mise en valeur d’envergure au Musée de l’Elysée, à Lausanne. Ce fonds de plusieurs centaines de milliers d’images est au centre de la mémoire collective des Vaudois.

elyseevache

Album de la voirie vaudoise, les Ormonts-Dessus, 1919, avec cette légende: «Les vaches ne doivent pas être attachées aux barrières des routes.»

par Christophe Dutoit

D’abord, comme un sentiment de vertige. Sur ses trois niveaux, le Musée de l’Elysée expose plus de 500 photographies anciennes, puisées dans la Collection iconographique vaudoise. Vertige à la découverte de ce panorama sur l’histoire du canton depuis le milieu du XIXe siècle et sur la manière dont les photographes ont observé ses spécificités et ses mutations durant une centaine d’années. Vertige, car le fonds patrimonial compte un million d’objets, des photographies bien entendu, mais aussi des gravures, des registres d’inventaire, des coupures de journaux…

Paul Vionnet documente avec coup d’œil et précision aussi bien la rénovation de la cathédrale de Lausanne que ses excursions dans les Alpes.

L’histoire de cette collection remonte à la figure de Paul Vionnet (1830-1914), pasteur à Etoy et amateur très précoce de photographie. Redoutable technicien, il réalise dès l’âge de 19 ans des papiers salés, des négatifs sur verre au collodion, des tirages albuminés, des aristotypes, des cyanotypes… Surtout, il documente avec coup d’œil et précision aussi bien la rénovation de la cathédrale de Lausanne que ses excursions dans les Alpes. Parfois, il se transforme en reporter, comme lors de l’explosion de l’arsenal de Morges en 1871. Une année plus tard, sa pratique de la photographie en dilettante le mène à une première et unique publication: un inventaire des blocs erratiques préhistoriques du canton, édité à compte d’auteur.

chaudron

Paul Vionnet, Construction du pont Chauderon, 1904

La trace photographique
«Paul Vionnet collectionne peu à peu tout ce qui touche à l’histoire du canton, des médaillons, des plans, des objets militaires», explique Anne Lacoste, commissaire de l’exposition. Mais, au tournant du XXe siècle, il se retrouve face à la difficulté de conserver ces objets en tant que tels. «Il garde ainsi leur trace photographique, poursuit Olivier Lugon, professeur à l’Université de Lausanne, associé au projet. A cette époque, les premiers musées documentaires font leur apparition.» Sur les pas de Léon Vidal à Paris, Eugène Demole fonde à Genève le Musée suisse de photographies documentaires, qui récolte quelque 20000 documents de 1901 à 1909. Mais cette collection est aujourd’hui démantelée, au contraire de son homologue vaudoise.

Une entreprise collective En 1903, Paul Vionnet lègue à l’Etat de Vaud son fonds, dont il demeure le conservateur. Jusqu’à sa mort en 1914, il favorise le dépôt de divers travaux d’amateurs ou de professionnels sous le nom de Musée historiographique. L’entreprise devient alors collective et les Vaudois se l’approprient peu à peu. Aujourd’hui, le Musée de l’Elysée et la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne, légataires successifs du fonds depuis la Seconde Guerre mondiale, ont mis au jour 1200 boîtes d’archives, dont seule une petite partie – un dixième selon Anne Lacoste – a été étudiée ces trois dernières années.

Dans les combles, le Musée de l’Elysée expose ainsi une sélection de thématiques qui ont fait l’objet de commandes, des séries aussi éclectiques qu’un inventaire de coupes de communion dans les églises, d’enseignes ou de quelque 2000 fontaines dans le canton. «Ces images ont été prises à des fins documentaires, comme ont pu le faire Eugène Atget ou Charles Marville en France à la même époque», analyse Olivier Lugon. Cette ambition d’inventaire, propre à l’esprit Belle Epoque, sera reprise dès les années 1970 par des plasticiens contemporains, à l’image du couple Bernd et Hilla Becher en Allemagne, qui photographient de manière systématique des châteaux d’eau, des gazomètres ou des maisons typiques dans une forme proche du documentaire, mais avec une vision artistique assumée.

Un très sympathique album daté de 1919 évoque les problèmes rencontrés par la voirie à cause de l’arrivée de l’automobile, où l’on peut lire en légende d’une photographie prise aux Ormonts-Dessus que «les vaches ne doivent pas être attachées aux barrières des routes».

A ce titre, visiter l’exposition La mémoire des images s’apparente autant à un dépoussiérage d’archives qu’à une chasse au trésor. On y découvre notamment un très sympathique album daté de 1919, qui évoque les problèmes rencontrés par la voirie à cause de l’arrivée de l’automobile, où l’on peut lire en légende d’une photographie prise aux Ormonts-Dessus (ci-dessus) que «les vaches ne doivent pas être attachées aux barrières des routes». Une véritable perle.

leman

Max Maier, Sans titre, 1925

Les grands noms au sous-sol
Au sous-sol, les commissaires mettent en lumière les grands noms de la photographie vaudoise, à commencer par la dynastie De Jongh, dont le fonds est riche de plus de 400000 images. On retrouve également des tirages d’Eugène Würgler (dont une partie du fonds repose au Musée gruérien), mais aussi Emile Gos ou André Schmid. Assez étonnamment, on observe dans cette section des tirages de Rodolphe Schlemmer, James Perret ou Max Maïer, qui quittent déjà le champ absolu du document pour réaliser des images pictoralistes du plus bel effet.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, la Collection iconographique vaudoise n’avait jamais fait l’objet d’une étude en tant que telle auparavant, bien qu’un grand nombre d’images puisées dans ce fonds eussent été régulièrement publiées tout au long du XXe siècle. «Nous allons désormais mettre davantage l’accent sur nos propres collections», avoue Tatyana Franck, la nouvelle directrice du Musée de l’Elysée. En outre, un colloque international est organisé en parallèle les 5 et 6 novembre par les Université de Lausanne et Genève, notamment à propos de la place actuelle de la photographie documentaire.

Lausanne, Musée de l’Elysée, jusqu’au 3 janvier 2016, ma-di 11 h-18 h. Le catalogue de l’exposition La mémoire des images est édité par Infolio.

La Collection iconographique en quelques dates

femme

Gaston de Jongh, Portrait de Madame Jane Rosier, 1940-1950

1849. Agé de 19 ans, Paul Vionnet pose sur un autoportrait, dix ans après l’invention de la photographie.

1872. Consacré pasteur en 1856, Vionnet publie un unique ouvrage où figurent ses photographies des sites préhistoriques vaudois.

1896. Retraité, Vionnet se consacre pleinement à la photographie et à la récolte d’objets patrimoniaux.

1903. Vionnet remet à l’Etat de Vaud sa collection privée qui devient la Collection historiographique vaudoise, déposée au Musée cantonal des antiquités (sic).

1945. Après s’être appelée Musée historiographique vaudois, la collection est rattachée à la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne (BCUL) et devient le Cabinet iconographique, puis se transforme en Département des estampes en 1966.

1981. Ancienne documentaliste à la BCUL et parfaite connaisseuse de cette collection, Elisabeth Breguet publie 100 ans de photographie chez les Vaudois 1839-1939, le livre de référence sur ce fonds.

1985. La Collection iconographique vaudoise est déposée au Musée pour la photographie, premier nom du Musée de l’Elysée.

Prochainement. La BCUL et le Musée de l’Elysée se répartiront la Collection iconographique vaudoise selon leurs attributions respectives.

dejongh

De Jongh frères, Ouvriers chaudronniers en Russie, vers 1898

 

 

 

Posté le par admin dans Photographie Déposer votre commentaire

Ajouter un commentaire