«Steampunk», quand le futur prend des airs rétro

Machines temporelles, automates à vapeur et fauteuils à hélice… Ou comment le «steampunk» réinvente le passé et son futur à la lumière de Jules Verne et d’H. G. Wells.

steam

par Romain Meyer

Imaginez que le Nautilus ait bel et bien existé, tout comme l’Albatros, la machine volante de Robur le Conquérant… Supposez un monde plein de savants fous, de machines étranges et de gigantesques dirigeables survolant la ville de Londres d’un autre XIXe, totalement victorienne dans sa fantasmagorie, complètement imaginaire dans sa réalité.

Imaginez que Jules Verne, Albert Robida ou H. G. Wells n’aient pas décrit l’avenir de la science, mais son présent. Pensez encore à une société faite de verre et de cuivre, de charbon et de boulons, que ni l’électricité ni le pétrole n’auraient retransformé. Pas de robots, mais des automates. Pas de moteur à explosion, mais seulement de la vapeur mécanisée dans un décor oscillant entre dandysme fin de siècle et art déco. Vous y êtes? Alors bienvenue dans le monde «steampunk».

Là, le passé rencontre allègrement le futur, l’imagination nouvelle hérite dignement d’un siècle de culture populaire, les chapeaux hauts de forme se conjuguent parfaitement avec les masques à gaz, et cela de façon bien moins fortuite que la rencontre sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie. Et surtout, voici un genre en pleine vague créative.

Garçons dans la vapeur
Formellement, le «steampunk» se «constitue» dans les années 1980, lorsque plusieurs artistes se penchent sur la vision du futur élaborée par la science-fiction d’autrefois. Trois amis et auteurs décident alors de rendre hommage à l’âge suivant la Révolution industrielle: K. W. Jeter (Morlock Nights), James Blaylock (Homunculus) et Tim Powers, dont Bragelonne vient de republier l’œuvre phare et fondatrice, Les Voies d’Anubis.

Ce roman porte en lui toutes les composantes du genre: l’utilisation de la vapeur («steam»), la contestation sociale («punk»), le voyage temporel, ainsi que l’uchronie, ce procédé de réécriture de l’histoire qui s’élabore sur un point de divergence avec la réalité («Et si Napoléon avait gagné à Waterloo?»). Mais on peut trouver aussi la présence de personnages historiques et – surtout – l’adjonction à ces univers scientifiques et industriels du XIXe siècle, souvent lourd et oppressant, de grandes pincées de fantasy et de fantastique. Ainsi, le livre de Tim Powers n’hésite pas à utiliser les thèmes du loup-garou et de la sorcellerie égyptienne.

Créations multiples
Les années 2000 marquent la véritable reconnaissance du genre. Les œuvres se sont multipliées, se nourrissant elles-mêmes de créations plus anciennes et en influençant d’autres. On trouve en effet de nombreuses traces vaporeuses en dehors des productions «labellisées steampunk». En vrac, on pourrait ainsi multiplier à la fois les références et les supports: les films Flash Gordon ou Brazil, même le Metropolis de Fritz Lang; Les aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec, la BD incontournable de Tardi; Le château ambulant, immense dessin animé de Hayao Miyazaki ou le Steamboy de son compatriote nippon Katsuhiro Otomo, le père d’Akira; les séries télévisées comme Les mystères de l’Ouest ou aussi le jeu vidéo à la Bioshoc, etc.

De courant d’origine littéraire, il s’est étendu à toutes les facettes de la création, sans limite. On le retrouve dans la photographie, la mode, les arts plastiques ou le design, comme celui de la station Arts et Métiers du métro parisien. Le «steampunk» s’est construit une esthétique propre et globale.

Initiation vaporeuse
Quatre titres récents de l’éditeur Bragelonne permettent de se plonger dans ces univers victoriens. Outre le roman classique de Tim Powers, on peut y découvrir le premier ouvrage de Mark Gatiss, scénariste de Doctor Who et cocréateur et acteur de l’excellente série Sherlock, dans laquelle il interprète Mycroft, le frère du héros éponyme. Le Club Vesuvius raconte la première aventure de Lucifer Box, dandy, portraitiste et agent des services secrets de sa Majesté, un James Bond avant l’heure, décadent et fier de l’être. Son histoire de savants disparus et son étrangeté – des mœurs et des situations – donne à l’ouvrage un sel délicieux et un esprit très british.

Dans une atmosphère plus lourde, aux tableaux changeants, Mark Hodder livre avec le deuxième tome des aventures de Burton et Swinburne un roman prenant et intelligent. L’étrange cas de l’homme mécanique profite d’une écriture limpide et précise pour se révéler tout en finesse. Signalons encore Une étude en soie, variation sur Sherlock Holmes (encore!) par Emma Jane Holloway, qui met en scène la nièce du détective dans un récit un peu long mêlant magie, romance et enquête.

Vivement l’an 3000!
Genre en soi, le «steampunk» appartient pourtant à une famille plus large issue de la science-fiction, le «rétrofuturisme». Celui-ci réinterprète une vision passée du futur, sans la contenir à la seule période à vapeur. Bien plus qu’un exercice de style, ce courant consiste généralement, selon Etienne Barillier et Raphaël Colson (Tout le steampunk, Editions Les Moutons électriques) «en un réenchantement nostalgique de l’imaginaire futuriste».

Nous vivons dans un monde qui a cessé de penser son futur après le passage de l’an 2000 – il faudra bien fixer une nouvelle date butoir. Un monde qui a fait du présent l’unique intérêt de sa réflexion sur le passé – que l’on veut à jamais recycler – et sur l’avenir, que l’on souhaite semblable à aujourd’hui. Le «rétrofuturisme» représente bien la nostalgie d’un temps où l’on osait rêver le monde. Il serait temps alors de réenchanter les temps à venir.

Mark Gatiss, Le Club Vesuvius, Bragelonne
Mark Hodder, L’étrange cas de l’homme mécanique, Bragelonne

 

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