Faith No More, le retour victorieux des insaisissables insoumis

A la fin des années huitante, Faith No More fait partie de ces jeunes pousses qui vont permettre au rock alternatif américain d’atteindre le grand public. Après dix-huit ans de silence, le groupe revient en force avec un excellent nouvel album.

par Christophe Dutoit

Tout comme l’enfer, l’histoire du rock est parfois pavée de bonnes intentions. A l’automne 1992, Faith No More choisit de ne plus jouer en concert leur sauvage reprise de War pigs de Black Sabbath. Histoire de perdre un peu cette connotation metal qui colle aux baskets des Californiens, habitués depuis dix ans à faire le grand écart entre rock et jazz, hip-hop et fusion. Sur le coup, le groupe commence à jouer Easy, le tube soul des Commodores qu’il transforme en un slow langoureux avec ce fameux solo sur lequel tous les apprentis guitaristes ont un jour esquinté leur plectre.

En deux temps trois mouvements, Faith No More fait aussi bien que Scorpions (rappelez-vous Still loving you) et vend ses 45-tours par palettes entières. Les stations radio n’ont d’oreilles que pour ce titre bien-pensant, cet arbuste qui cache une forêt d’insoumission et d’affranchissement à tous les codes. En quelque sorte le dernier hold-up du XXe siècle.faith no more

C’est bien sous ces angles-là qu’il faut écouter Sol invictus, le nouvel album de Faith No More, qui sort cette semaine après dix-huit ans de silence discographique. Sans doute en guise de clin d’œil, le titre éponyme débute aussi avec des notes de piano insidieuses. Facile. Puis la voix de Mike Patton donne dans la fausse roucoulade anxieuse. Pour peu, on y croirait presque.

Retrouvailles fructueuses
Dès Superhero, Faith No More retourne à ses amours juvéniles: basse au premier plan, guitares rageuses, claviers omniprésents, batterie carrée… Rien ne manque à l’inventaire, ni les envolées lyriques de ce caméléon de Patton ni le mélange hétéroclite des genres, avec ce piano complètement décalé et si entêtant. Manifestement, les retrouvailles ont été fructueuses. Sunny side up convoque les fantômes de la soul des années septante et permet au chanteur de virevolter entre ses registres charmeurs et ses colères contenues. Avec Separation anxiety, le groupe renoue avec ses ambiances les plus bizarres et provoque à l’auditeur cette étrange impression de n’avoir encore rien entendu de pareillement foutraque.

Dérapages incontrôlés
Après la première écoute déconcertante de ce Sol invictus, on finit par en redemander. A l’image de Cone of shame, avec son intro western, puis ses démarrages en trombe et ses dérapages incontrôlés sous un déluge de hargne prépubère. Et surtout Rise of the fall, peut-être le moins chaotique du disque malgré son mélodica décalé et ses riffs de guitares sauvages.

Sol invictus aurait été un bon album de la résurrection, honnête dans sa production (faite main par le bassiste) et de loin pas moins inspiré que la moyenne des sorties actuelles. Sauf que… Il faut attendre la fin de l’album et les folles six minutes de Matador pour se rendre compte de la véritable ambition de ce disque. Quelques accords de guitare lâchés dans la nature, un piano en déshérence puis, comme si tous les faisceaux convergeaient en un seul point, la voix de stentor de Patton fait ressurgir du passé aussi bien des influences wagnériennes que sa colère adolescente. Rien que pour ce titre très XXIe siècle, Faith No More justifie pleinement sa reformation.

Faith No More
Sol invictus
Musikvertrieb

Faith No More en trois jalons

Real-thingThe real thing (1989). Il aura fallu près de dix ans à Faith No More pour connaître le succès mondial. Formé à San Francisco autour du bassiste Billy Gould et du batteur Mike Bordin, le groupe végète jusqu’à la sortie de We care a lot, titre précurseur de la vague fusion, mélange explosif entre le phrasé rappé de son chanteur Chuck Mosley, la basse slapée de Billy Gould et les riffs rock de Jim Martin. Il faut cependant attendre l’arrivée de l’emblématique chanteur Mike Patton pour que le groupe s’envole enfin avec la sortie de The real thing, en juin 1989, sorti deux mois avant Mother’s Milk des Red Hot Chili Peppers. Avec des titres coups de poing tels Epic, Zombie eaters ou War pigs (repris de Black Sabbath), le groupe met un point final à des années huitante déprimantes et signe le premier apogée du rock alternatif. Non loin de là, le grunge est sur le point de poindre…

Angel-DustAngel dust (1992). Au tournant des années 1990, Faith No More met le feu à toutes les scènes où il se produit, comme en témoigne le Live at the Brixton Academy. En 1992, le groupe enregistre Angel dust dans un souci de s’affranchir encore davantage de toutes les barrières. Bien sûr, il affiche toujours en étendard ses guitares agressives, sa basse souveraine et le chant décalé de sa majesté Patton, à l’image du tube Midlife crisis et de son sample des Beastie Boys. Le monde du metal n’est jamais si loin, tout comme celui du funk, du hip-hop ou de la soul, à l’image de la reprise d’Easy, le slow langoureux des Commodores de Lionel Richie, qui propulse le groupe au sommet des charts. Désormais, il tourne avec les mastodontes du genre (Metallica, Guns n’ Roses ou Soundgarden) et se taille la part du lion au festin du rock nineties.

album of the yearAlbum of the year (1997). Après le fourre-tout et finalement très décevant King for a day… fool for a lifetime en 1995, le groupe signe son sixième album deux ans plus tard. Nettement plus rentre-dedans que les précédents, Album of the year se hisse en tête des ventes malgré le flot de critiques acerbes. Depuis la mort de Kurt Cobain, le rock alternatif américain a perdu sa cote et Faith No More ne survit pas aux envies mutuelles de projets solitaires. A commencer par Mike Patton, qui retourne à ses premières amours avec Mr. Bungle, puis forme notamment Fantômas avec la crème des métalleux californiens. Chanteur aux multiples facettes, antithèse de la rock star décadente, il multiplie les expériences délirantes, souvent avec une volonté jusqu’au-boutiste et sans aucune visée commerciale. Jusqu’à ce que lui reviennent, en 2009, des envies pressantes de reformer Faith No More…

 

 

 

Posté le par admin dans Anglo-saxon, Musique 1 Commenter

Répondre à Faith No More, le retour victorieux des insaisissables insoumis

Ajouter un commentaire